Araignées
Je n’aime pas les araignées, j’en ai grand-peur !
Leurs quatre paires d’yeux et leurs jambes velues,
Qu’elles soient tégénaires ou qu’elles soient faucheur,
Attend la faible proie sur sa toile ténue.
Pourquoi te plaindre d’elles, ô poète sans cœur ?
Gendarmes, scolopendres, punaises, scarabées,
Sauterelles, grillons accroupis sous les fleurs
Sont-ils plus séduisants, dis-moi, que l’araignée ?
Pour te convaincre, ami, laisse-moi te conter
Deux récits véridiques, incroyables histoires.
Ainsi l’a voulu Dieu, tu ne dois pas douter
Que le monstre à huit pieds serait digne de gloire.
****
Un huguenot fuyait, harassé, vagabond,
Aboyant après lui des chiens de mercenaires,
Pour sa foi poursuivi par les royaux dragons,
Soldats privés de cœur, meurtriers sanguinaires.
Qu’adviendrait-il de lui s’il était capturé ?
Le fouet sur le parvis, le gibet, les galères ?
Courant sur les talus, fourbu, désespéré,
S’il trouvait seulement quelque abri salutaire !
L’antre sombre d’un ours ou bien d’un sanglier,
Voici sous les racines une caverne obscure.
L’homme y entre, rampant, puis se met à prier,
C’est là qu’elle intervient, hideuse créature.
Notre araignée paraît, vois son habileté,
Artiste sans cachet, brodeuse infatigable,
Débobine sans fin son long fil argenté.
Dieu lui a-t-il parlé : « Sauve ce misérable » ?
Les poursuivants zélés trouvent le terrier :
« Il est entré par-là, refuge ridicule !
Saisissons l’hérétique et qu’il soit châtié !
Le fer pour le félon, la roue pour la crapule ! »
« Allons ! dit un soldat, l’homme n’est pas ici.
Regardez cette toile tendue juste à l’entrée.
Le fugitif est loin, dans ces bois, Dieu merci !
S’il avait pénétré il l’aurait déchirée. »
****
Ma seconde araignée habite Châteaudun,
Je fus assez longtemps facteur en cette ville,
Des plis recommandés j’en fis signer plus d’un.
Un jour, je tricotais[1] sur ma tournée, tranquille.
Je tricotais, vous dis-je, un matin de printemps
La rue des Martineaux, faubourg pavillonnaire,
– J’aime tant mon métier, surtout s’il fait beau temps. –
Je m’apprête à remplir une boîte ordinaire.
Ruisselant de rosée, ouvrage dentellier,
Tout près, dans les fusains, la toile était tendue.
Aussi fier qu’un pacha le monstre familier
Ne semblait point peser sur la trame ténue.
Selon Victor Hugo, « la rosace est de moi ! »
Aurait dit l’araignée : un travail admirable
Aux dessins réguliers, décor digne d’un roi,
Pour le prince indolent un abri confortable.
Qui donc a sur son dos tracé cette croix d’or ?
Que pensait le Seigneur quand il créa l’épeire ?
Immobile, elle est là, on croirait qu’elle dort
Et n’a point de soucis de ce monde éphémère.
Et moi, sans y porter la moindre attention,
Dans la fente prévue j’insère ma liasse
– C’est là mon habitude et ma profession –
J’accroche un fil tendeur, prends garde qu’il ne casse !
Et je vois le filet qui se met à vibrer
Un long moment, comme une corde de guitare,
Il secoue sans répit l’animal effaré
S’agrippant tant qu’il peut. Tenez bon les amarres !
Mais longue est ma tournée, je poursuis mon chemin
Sans me préoccuper des malheurs de l’épeire.
Tous les jours sont pareils, je repasse demain ;
Elle paraît m’attendre au centre de son aire.
L’octopède ne veut être à nouveau surpris :
Reconnaissant ma barbe et mon œil amblyope,
Au bord de son domaine, pour se mettre à l’abri
Cours, affolé, rapide autant que l’antilope.
Je regardais la bête, et sa fuite, et sa peur.
L’homme n’accepte pas les leçons de l’Histoire
Mais l’être insignifiant, léger comme vapeur
Use intelligemment de sa pauvre mémoire.
Pourquoi le Créateur à l’infini savoir
Dota d’un tel esprit la servante si frêle,
L’araignée qu’on méprise et donnant crainte à voir,
Et les tristes humains de si peu de cervelle ?
[1] En langue de métier, on appelle tricoter le fait de distribuer une rue en changeant de côté chaque fois que nécessaire.
Créez votre propre site internet avec Webador