Chapitre XXVIII - Ponchour l’ampiance !

Alors que l’avion royal pose son train sur la piste d’Arklow, je vous invite à pénétrer dans une somptueuse villa cachée en haut de la falaise, au milieu des pinèdes. Quel merveilleux séjour pour des vacanciers fortunés ! La terrasse ensoleillée domine la mer. Gagnons la piscine, en contrebas.

C’est une belle piscine, pleine d’eau toute claire, pour vous tout seul, à moins que vous ne préfériez vous faire bronzer sur une confortable chaise longue.

Finalement, voici une agréable compagnie, au fond du bassin s’ébat une sirène.

Non, ce n’est pas une sirène, car ses jambes n’ont pas de nageoire et ne sont pas soudées. C’est une jeune noyade, je voulais dire : une naïade. C’est Zoé qui fait onduler son corps et sa chevelure avec grâce. La voilà qui réapparaît, reprend sa respiration, et plonge à nouveau, les mains jointes en avant.

 

Finalement, elle s’est suffisamment amusée et fatiguée. Elle reparaît à la surface et, à la force de ses bras, se hisse élégamment sur le bord de la piscine. Elle fait des vagues avec ses pieds, puis, s’éloigne et s’allonge sur une chaise longue qui, comme le disait Cathos, lui tend les bras.

« Heeeelmut ! »

Personne ne vient. Elle appelle de nouveau :

« Heeeelmut !

– Foilà ! Foilà ! Ch’arrife !

– Helmut, pourquoi faut-il toujours que je m’égosille à vous appeler ? Et qu’attendez-vous pour aller me presser une orange ?

– Fos tésirs sont tes ortres. »

Puis il ajouta entre ses dents :

« Petite peste !

– Pardon ? J’ai mal compris.

– Che n’ai rien tit.

– Menteur ! Et je vous conseille de prendre l’habitude de m’appeler mademoiselle.

– Fos tésirs sont tes ortres, matmosselle. Il n’empêche que matmosselle est une petite peste.

– Ne jouez pas avec mon humeur, mon ami. Dépêchez-vous de m’amener mon jus d’orange avant que je vous fasse punir. »

Helmut s’éloigna.

« Et apportez-moi aussi un paquet de spéculoos. J’ai bien nagé, j’ai droit à quelques calories. »

Qu’est-il arrivé à Zoé ? Comment est-elle passée du statut d’esclave à celui de maîtresse ?

Judith avait été sensible à l’effort de son ennemie qui, pour les beaux yeux de Zoé, avait fini par sacrifier sa fortune perdue et retrouvée. Bien que la rançon ne fût pas intégralement payée, elle jugeait désormais inutile de traiter son otage comme une prisonnière, elle décida donc de la traiter comme une princesse. Zoé, bien entendu, ne se privait pas d’user, et même d’abuser de son nouveau privilège.

À force de traficoter avec le Malin, on finit par le devenir. La grande Juju trouvait du même coup le moyen de punir Helmut qui, lors de sa dernière mission, avait brillé par son incompétence. En plus d’être le larbin des amants maléfiques, il était devenu celui de la petite insolente.

Pendant que Zoé dégustait sa collation, Franck, dans la villa, s’énervait au téléphone. Une information l’avait contrarié :

« Alors ? Bande d’incapables ! Qu’est-ce qui se passe à Paris ?… Quoi ?… Comment ?… Eh bien ! Réglez ça tout de suite, mon vieux !… Comment ça, “que voulez-vous que j’y fasse ?” Débrouillez-vous !… Vous dites ?… Bertoche il n’est pas content ?… Moi non plus je ne suis pas content… Pardon ?… Bébert il est en train de pondre une pendule ?… Moi, si je me déplace, c’est l’horloge de la gare de Lyon que je vais vous pondre. »

Il raccrocha. Juju commença à lui masser les épaules :

« Qu’est-ce qui ne va pas, mon canard ? Tu n’as pas l’air excessivement jouasse.

– Ah ! Toi ! Ne commence pas ! Ce n’est vraiment pas le jour !

– Et de quel droit tu me parles sur ce ton ? Ce n’est pas parce que tes petits pois ne veulent pas cuire qu’il faut que tu me traites comme un chien.

– Je te parle sur le ton que je veux et je te traite comme je veux. N’oublie pas que c’est moi le maître. Je ne suis pas seulement Franck O’Marmatway, je suis le grand Thanatos : le roi de la mort.

– Grand Thanatos ! Laisse-moi rire ! Et moi je te rappelle que je suis la grande Judith Mac Affrin, héritière de la plus grande encore Sabine Mac Affrin.

– Et tu crois que c’est ton blaze qui me fait peur. J’aurais pu trembler devant ta mère parce que c’était la plus grande prophétesse et la plus grande sorcière de tous les temps, mais toi ? Qu’est-ce que tu es ? Tu peux me le dire ? Tu te crois digne de partager avec moi le pouvoir temporel et intemporel ?

– Mais…

– Tu m’es totalement inutile. Tu n’as aucune place dans mon plan. Tu veux savoir pourquoi je ne te chasse pas ? Parce que j’ai des besoins naturels. C’est tout !

– Quoi ? Je ne suis rien pour toi ? Juste un jouet pour satisfaire tes désirs ? Je me figurais notre relation autrement !

– Et tu t’imaginais quoi, grande pétasse ?

– Je croyais… je n’en reviens pas… »

Judith sanglotait.

« Tu veux savoir pourquoi je suis si désagréable aujourd’hui ? Je vais te le dire : figure-toi que les Parisiens sont en train de se révolter contre ma toute-puissance. Et après Paris, toutes les villes du monde vont lui emboîter le pas si nous n’y mettons bon ordre. Ils ont rétabli la lumière. Et ceux qui garaient leur voiture sur la Seine pour ne pas payer le stationnement ont eu une vilaine surprise, car les rebelles ont aussi rendu au fleuve sa fluidité. Tu sais comment ils s’y sont pris ? Ils lisent la Bible à tous les coins de rue. Ils prétendent que leur livre contient la lumière qui dissipe les ténèbres…

– Ce n’est pas faux.

– Et devine qui est à la tête de cet infâme complot.

– Je n’en sais rien.

– Ton ennemie intime : Lynda de Syldurie, que tu n’as même pas été capable d’éliminer. Je te rappelle que c’est de moi que tu tiens la force qui te rend capable de la vaincre, sinon, elle t’aurait laissée encore une fois sur le carreau.

– Quand elle aura payé, je t’en débarrasserai.

– Et comment se fait-il qu’elle n’ait pas encore payé ? Échanger une sale petite teigne contre vingt malheureux milliards, ce n’est tout de même pas sorcier !

– J’aimerais t’y voir.

– C’est tout vu. Et moi je ne veux plus te voir tant que tu ne m’auras pas amené sur un plateau l’argent et le cadavre de la reine Lynda. Quant à Zoé, tu me la laisses, j’ai un vieux compte à régler avec cette sauterelle.

– Et tu espères survivre à cet affront et à cette trahison ? »

Judith fit claquer son cran d’arrêt.

« Meurs misérable ! »

Est-ce la colère qui rendait Franck plus courageux que la dernière fois ? Alors que Judith se précipitait sur lui, la dague au poing, il la saisit au poignet et l’immobilisa.

« J’aime quand tu sors tes griffes, ma panthère noire. »

Il asséna à sa cavalière trois coups de poing qui l’étendirent au sol.

« Maintenant, ramasse ton épluche-patates, et disparais de ma vue.

– Je vais m’en aller, dit-elle en se relevant péniblement, mais d’abord, il faut que je passe mes nerfs sur quelqu’un, si tu as une minute… Heeeelmut !… Heeeelmut !… Et en plus il est sourd, ce crétin ! »

Helmut était toujours au bord de la piscine, s’affairant à tresser les cheveux de la jeune prisonnière dont il était devenu le prisonnier. Son téléphone sonna.

« Che vous temante parton. »

Il décrocha :

« Helmut ! »

La voix de Judith criait si fort qu’il en lâcha son portable qui faillit tomber dans le bassin.

« Euh ! Oui… c’est lui-même.

– Helmut ! Monte me voir immédiatement.

– Che m’occupe te matmosselle.

– Quand je dis “immédiatement”, on laisse tout tomber, à commencer par cette petite grue. »

Helmut regarda Zoé avec des yeux de chien battu :

« Che suis téssolé, matmosselle. Il faut que ch’y aille.

– Ne vous inquiétez pas pour moi. »

S’éloignant, il se retourna vers la jeune fille avec un regard pitoyable.

« Matmosselle, ch’ai un terriple pressentiment. Ne m’apantonnez pas. Fous croyez en Tieu, priez pour moi. »

Zoé serra ses bras autour de la taille de l’Autrichien.

« Comptez sur moi, mon brave Helmut. Allez ! Soyez courageux ! »

Helmut, le cœur chargé d’angoisse gravit l’escalier qui conduit à la maison. Zoé enveloppa son corps d’un peignoir et le suivit discrètement. Sa petite taille et son poids léger lui permettaient d’évoluer dans la propriété avec une discrétion féline.

« Vous voilà enfin, Helmut ! Combien de fois devrai-je m’égosiller à vous appeler ?

– Che vous temante parton, Matame.

– Taisez-vous ! Helmut ! Vous êtes un imbécile et un incapable. Vous loupez toutes les missions que je vous confie. Vous deviez remettre la cassette à Lynda de Syldurie et vous évaporer discrètement. Au lieu de cela, vous l’avez laissée vous choper. J’ai voulu vous donner une dernière chance et vous faire sortir de prison, mais une nouvelle fois, vous nous avez couverts de ridicule avec votre stupide fer à repasser. Regardez-moi quand je vous parle. Alors, j’ai décidé de me passer de vos services. Votre contrat est résilié, Helmut Ulkafä. »

La panthère noire enfonça son poignard jusqu’à la garde dans le ventre de Helmut, qui s’affaissa avec un cri de douleur. Elle le frappa à nouveau, puis une troisième fois. La victime, perdant des rivières de sang, s’effondra sur les genoux et sur les mains. Judith, la haine exacerbée, brandit le couteau et, frappant de toutes ses forces, le ficha comme un épieu dans le dos du malheureux. Puis elle retira l’arme de la plaie, l’essuya avec sa langue et la replia.

Zoé qui, cachée, avait observé la scène se précipita sur le corps anéanti, mais encore vivant. Elle prit entre ses petites mains la tête de l’agonisant.

Zoé priait.

Quand elle priait, des larmes coulaient sur ses joues et tombaient dans ses cheveux.

La meurtrière et son compagnon assistaient, sans oser dire un mot, à cet étonnant spectacle.

Enfin, Zoé se tut et releva la tête. Helmut aussi se redressa. Ses horribles plaies avaient disparu. Il serra l’enfant dans ses bras.

« Merci… merci…

– Alors, Helmut ! Tu vois qu’elle t’aime bien, finalement, la petite chipie.

– Eh pien ! moi aussi, che t’aime pien, petite peste.

– Mademoiselle Petite Peste ! » dit-elle en lui souriant.

Ils restèrent un long moment serrés l’un contre l’autre, comme un père et sa fille.

Franck restait figé. Soudain, son visage s’assombrit, marqué par la peur.

« Elle a retrouvé ses pouvoirs. Judith ! Fais quelque chose ! Je te demande pardon pour tout à l’heure. J’étais un peu énervé. Protège-moi ! Elle va me battre ! Elle va me tuer ! »

Judith se frotta les mains de plaisir :

« Comme il est beau, le grand Thanatos, maître de l’univers, terrorisé par une petite fille ! »

Zoé jeta sur O’Marmatway un regard chargé de mépris.

« Je n’ai aucun pouvoir : je ne suis ni Wonderwoman ni la fée Carabosse. Il est vrai que tu seras bientôt châtié, Thanatos, mais par une main plus puissante que la mienne : celle de Dieu. »

 

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