Acte III
Illustration : Stéphanie Lebeau.
Décor du premier acte.
Scène première
FERGON – PROKOL – KOLARGOL – VITRIOLA – SILASOL – PHILIPPULLUS – CHŒURS
CHŒURS
Que faut-il pour divertir
Ce pauvre roi mélancolique ?
Le chagrin veut l’engloutir.
Il en perd la vie, c’est tragique.
FERGON
Ah ! laissez-moi donc mourir,
Car ici personne ne m’aime.
Laissez mes vieux os pourrir.
Flammes de l’enfer ! Anathème !
De Fergon le désespoir
Le précipice dans l’abîme.
Qu’ai-je fait ? Je veux savoir.
Aurais-je commis quelque crime ?
CHŒURS
Dieu l’aurait abandonné ?
Quelque odieux crime, sans doute
Qui ne sera pardonné ?
Mais plus personne ne l’écoute.
FERGON
Je suis le plus malheureux
De tous les rois vivant sur terre.
Sort cruel et rigoureux !
Nul n’a pitié de ma misère.
❖
Tous m’ont abandonné ! Tous ! Tous ! alors qu’attendez-vous pour partir et me laisser seul avec mes cauchemars, avec Claudinius et ses champignons. Je ne lui ai rien fait. C’est seulement pour son plaisir qu’il me persécute. Personne ne pourra me sauver, personne. Qui donc aura le courage de me délivrer en me tirant uns flèche dans le cœur ? Silasol ?
SILASOL
Je dirige une fanfare, pas un peloton d’exécution.
FERGON
Kolargol ?
KOLARGOL
Sire, jamais les dévoués serviteurs que nous sommes ne vous abandonneront.
PROKOL
Nous vous guérirons. Faites confiance à notre science.
FERGON
Votre science ? Votre magie, voulez-vous dire ?
❖
VITRIOLA
Qu’importe le nom qu’on lui donne
La guérison, c’est beaucoup plus qu’un art
Qui te relève et rend gaillard
Si ta douleur en mes mains s’abandonne.
Mon bon roi, cesse de te plaindre.
Dans mes deux mains réside un grand pouvoir.
Fergon, je suis ton seul espoir.
Pourquoi trembler ? Quel mal te faut-il craindre ?
PROKOL
Cette fille-là, toute seule
Prétend savoir fabriquer le salut.
La grippiette en sait toujours plus.
Rabaissez-vous, s’il vous plaît, ma filleule.
KOLARGOL
C’est moi seul qui, pour sa souffrance
Peut appliquer l’onguent miraculeux,
Quoi qu’en pensent les rebouteux.
Retirez-vous, folle, de ma présence.
PROKOL
Je suis fort las de vous entendre.
Plus un seul mot je ne veux écouter.
Faudra-t-il vous le répéter ?
VITRIOLA
Pour leur sottise, il faudrait tous les pendre !
C’est si difficile à comprendre ?
Pas besoin d’être un Archimède.
Pour un tel mal, un seul remède :
L’huile de foie d’un cétacé,
Substance infecte, et...
FERGON
C’est assez !
Vous commencez vraiment à m’agacer ;
Royalement me broyez les rotules,
Et vos simagrées ridicules...
CHŒURS
Ils commencent à nous fatiguer,
Leurs discours ne pouvons digérer.
Nous devrions écouter le sage :
Qu’il nous délivre donc son message,
Le grand prophète Philippullus.
FERGON
Oui, écoutons Philippullus.
VITRIOLA
Quoi ? Ce grand Philippullus
N’est qu’un sombre hurluberlu.
PHILIPPULLUS
Hurluberlu, avez-vous dit, madame ?
Est-ce bien moi que la sorte on blâme ?
Le Tout-Puissant va vous punir.
Que toute chair vile et mortelle,
Impie, mécréante et rebelle
Fasse pénitence à l’instant.
Repentez-vous, car il est temps.
Ainsi finit la tragédie.
Inutile d’en dire plus.
Je suis le grand Philippullus.
CHŒURS
Inutile d’en dire plus.
C’est lui le grand Philippullus.
❖
FERGON
Vous nous l’avez déjà dit. Mais enfin, grand maître, c’est bien sur vos conseils que j’ai envoyé Choudasté, ainsi que son comparse, me quérir cet enfant jouant de la harpe. Et vous voyez le résultat.
PHILIPPULLUS
Les prophéties du grand Philippullus se réalisent toujours, sinon, je ne serais pas prophète. L’enfant viendra avec sa harpe, comme promis, et il soulagera Votre Majesté.
FERGON
Il ne faut pas me prendre pour une bille ! Choudasté et Choudago en avaient assez de mes colères, ils ont saisi l’occasion, les sacripants, pour aller se cacher loin de ma face.
PHILIPPULLUS
Ils ne l’ont peut-être pas encore trouvé.
FERGON
Depuis le temps qu’ils cherchent ! Non, vous dis-je ! ces deux gaillards se sont enfuis. C’est une trahison. Qu’ils en soient châtiés ! J’ordonne qu’on les recherche dans tout le royaume, qu’on les retrouve et qu’ils soient pendus.
VITRIOLA
Que Votre Majesté ne s’énerve pas. Cette émotion pourrait provoquer une nouvelle crise.
FERGON (hurlant)
Je ne m’énerve pas, je suis calme.
❖
Je suis tranquille,
Voyez-vous ?
Ne dites pas, femme inutile,
Que je suis fou.
Tenez, madame,
Votre roi
Saura garder, quoi qu’on l’en blâme
Tout son sang-froid.
CHŒURS
Il est stoïque, et ça se voit.
Jamais ne se met en colère,
Un Olympien, chacun le croit.
Pourquoi lui chercher la misère ?
FERGON
Je désespère.
J’attends toujours mes serviteurs.
Dans cette affaire,
Ils m’ont plaqué, j’en ai bien peur.
CHŒURS
Voilà de mauvaises paroles,
Bien promptes pour accuser,
Des propos fort mal avisés.
C’est en vain que Fergon s’affole.
Voici les envoyés fidèles,
Les héros enfin de retour,
Épuisés, marchant nuit et jour,
Ne leur cherchez donc point querelle.
❖
(Entrent Choudasté et Choudago.)
Scène II
FERGON – PROKOL – KOLARGOL – VITRIOLA – SILASOL – PHILIPPULLUS – CHOUDASTÉ – CHOUDAGO – DARIANA – CHŒURS
CHOUDASTÉ
Nous sommes de retour, et nous apportons au roi Fergon ce qu’il nous avait envoyés chercher : une jolie petite fille sachant jouer de la harpe.
FERGON
Eh bien ! Qu’elle entre.
❖
(Entre Dariana, vêtue d’une peau de mouton, de sandales et d’une ceinture de cuir. Elle porte sa harpe sur l’épaule et son bâton à la main.)
FERGON
Mais quel étrange mammifère
Ignorant les bonnes manières !
Est-ce une fille ou un garçon ?
On dirait l’homme de Cro-Magnon.
CHŒURS
Est-ce une fille ou un garçon ?
On dirait l’homme de Cro-Magnon.
Comme la voilà fagotée !
Il faut être fort culottée
Pour se présenter au palais
Dans cet accoutrement ! Que c’est laid !
FERGON
Enfin, quel est ce phénomène
Que face à mon trône on promène ?
Fallait-il courir aussi loin
Pour trouver cet étrange pingouin ?
CHŒURS
Fallait-il courir aussi loin
Pour trouver cet étrange pingouin ?
Mais voyez ce méchant oiseau,
Et maigre comme un roseau !
En a-t-on jamais vu de pire ?
C’est cela qui sauvera l’empire ?
VITRIOLA
Elle n’a rien d’une marquise,
Et cependant, quoi qu’on en dise,
La jeune fille que voilà
Porte ombrage à ma Vitriola.
DARIANA
Quel accueil chaleureux ! Vous m’en trouvez surprise !
Tant de lieues parcourues pour de telles sottises !
Votre monde est infect et pue la trahison.
Pour vous point de musique, harpe ni violon.
Je ne boirai de ce poison,
Je veux rentrer à la maison.
CHŒURS
Oui, qu’elle rentre à la maison,
Cette fille de rien, ce poison !
CHOUDAGO
Vous avez tort
De lui chercher misère,
Car vous ne voyez rien encor.
Montre-leur ce que tu sais faire.
(Dariana fait tournoyer son bâton avec une étonnante dextérité. Les moqueurs se taisent.)
CHŒURS
Voyez voler ce bâton !
La gardienne de moutons
Possède une main rapide.
CHOUDASTÉ
Vous devriez la respecter.
Le cormier est un bois solide
Et vous risqueriez d’en tâter.
VITRIOLA
Je ne voudrais pas qu’elle explose ma tête.
CHŒURS
Nous non plus.
DARIANA
Mon petit spectacle vous a plu ?
PHILIPPULLUS
J’attends un musicien, pas une majorette.
FERGON
Il faut des champignons pour faire une omelette.
VITRIOLA
Plaît-il ?
FERGON
Des champignons.
Qu’ils sont mignons !
CHŒURS
En ce qui concerne sa tête,
Ça grouille sous son chignon.
CHOUDASTÉ
Es-tu prête ?
Observe bien ton roi,
Il a besoin de toi.
FERGON
Claudinius, arrête ! Arrête !
CHŒURS
Le voilà qui grince des dents,
Spectacle dégradant !
Comme un ver il rampe à terre.
Quelle pitié ! Quelle misère !
CHOUDAGO
Sais-tu ce qu’il te reste à faire ?
Saisis ta harpe et joue quelques accords.
FERGON
Je suis tourmenté par un mort.
Joue de l’instrument vite et fort.
J’ai dans le ventre une fournaise.
(Dariana joue de sa harpe. Fergon commence à se calmer.)
PHILIPPULLUS
Le grand oracle avait-il tort ?
Voyez, le monarque s’apaise.
Prend-on le grand Philippullus
Toujours pour un hurluberlu ?
Je suis Philippullus, le plus grand des prophètes.
Mais voyez comme on me traite !
À moi la gloire et l’honneur,
Le diable emporte les moqueurs.
FERGON
Petite fille, ta si douce musique,
Mélodieuse et mélancolique
Calme mon âme et guérit mon corps.
Joue mon enfant, joue encor.
(Dariana joue de nouveau. Progressivement, Fergon entre en extase.)
CHŒURS
Petite fille aux doigts de rose,
Joue donc sans soupir ni sans pause.
De tes mains caresse la corde.
FERGON
Que cette mélodie me charme pour toujours.
Dans mon grand cœur la joie déborde.
VITRIOLA
Mais regardez ces gens de cour ?
Nul ne dit mot. Cet enfant virtuose
Les a tous fascinés.
Voyez le bon roi déchaîné !
FERGON
Elle a vaincu l’angoisse de la mort.
Joue, bel enfant ! Encore ! Encor !
Ne cesse pas, je t’en supplie.
Tu guéris ma mélancolie.
KOLARGOL
Guérira-t-elle sa folie ?
PHILIPPULLUS
Elle guérira, soyez-en sûrs.
L’adolescente au front si pur
Est mille fois bénie.
Elle maîtrise l’harmonie,
Et rend au roi sa bonne humeur.
Sa musique adoucit les mœurs.
FERGON
Toute la nuit, jusqu’à l’aurore.
Sans te lasser, encore ! Encore !
(Pendant que Dariana continue de jouer, Fergon est pris d’un fou rire.)
❖
CHOUDAGO
Allons ! C’est assez joué pour aujourd’hui. Tu as rendu à roi sa gaîté, mais nous craignons que son euphorie ne le fasse tomber dans une autre forme de folie. En plus du solfège, il serait temps que tu apprennes la posologie.
DARIANA
La pause au logis ? Mais de quoi parlez-vous ? Quand je suis chez moi, je n’ai pas le temps de me reposer.
CHOUDAGO
Po-so-lo-gie. Nous allons t’expliquer :
❖
CHOUDASTÉ
La posologie
C’est l’art de la modération.
Savoir user sans passion,
Loin des excès, loin de l’orgie.
Apprenez la posologie.
CHŒURS
Mais tant d’énergie !
Pourquoi forcer l’excitation ?
À quoi bon tant d’exaltation ?
C’est fort mauvaise stratégie.
Apprenez la posologie.
CHOUDAGO
Atterrissage en douceur,
Piano la mélodie et doucement les chœurs !
Voyez-vous, le roi s’apaise,
S’assoupit, j’en suis bien aise.
❖
(Dariana passe progressivement à une mélodie plus douce. Fergon s’endort. Elle plaque un accord dissonant. Le roi se réveille.)
FERGON
Mais voyez la pendarde ! Ne serait-elle pas un tant soit peu espiègle, de réveiller ainsi son roi en sursaut ? Je commençais déjà à rêver d’une jolie fée à la chevelure blonde.
DARIANA
C’est moi qui suis ta fée, et cette harpe me tient lieu de baguette magique.
FERGON
Quelle insolence ! Elle mériterait qu’on lui donne le fouet et qu’on la jette au cachot.
CHOUDAGO
Si Votre Majesté la traite de la sorte, la jeune Dariana refusera de jouer pour Elle et plus rien ni personne ne pourra La soulager.
FERGON
Ah ! Oui ! C’est juste. Force m’est d’ailleurs, dans cette affaire de constater les compétences et les incompétences de chacun d’entre vous. Choudago et Choudasté, vous vous êtes décarcassés pour trouver cet enfant miraculeux aux confins de mon royaume. Vous avez mérité votre récompense. Vous serez anoblis. On vous appellera désormais Vicomte Choudasté de la Tronche-Lariflette et Vicomte Choudago de la Planche-Truguduche. Êtes-vous contents ?
CHOUDAGO et CHOUDASTÉ
Oh ! Oui ! Votre Majesté !
FERGON
Vous, jeune bergère, vous ne serez plus bergère. Je vous nomme marquise : Marquise Dariana de… de la… Voyons…
Bon, j’y réfléchirai. Vous avez assez travaillé pour aujourd’hui. Allez voir ma couturière et dites-lui bien que vous venez de ma part. Elle vous confectionnera une nouvelle panoplie digne de votre rang.
(aux guérisseurs)
Quant à vous…
❖
Quant à vous trois, mes magicienpointaines,
Puisqu’à la mode il faut ainsi parler,
Je vous le dis sans fureur ni sans haine :
Je ne veux pas ici vous quereller.
Soyez blâmés pour vos soins inutiles ;
Je n’ai que faire de vos contes en l’air,
Vos nuls conseil et paroles futiles.
Tristes savants arrogants et mauclercs !
Je me passerai donc de servants incapables.
Retirez-vous. Passez voir le comptable.
VITRIOLA
Mon Dieu ! Mais c’est épouvantable !
FERGON
Il est d’ailleurs tant de passer à table.
Allons au réfectoire. Il est déjà midi.
KOLARGOL
Je n’ai plus faim. Ce tyran soit maudit !
(Tout le monde quitte la scène, à l’exception de Prokol, Kolargol et Vitriola.)
Scène III
PROKOL – KOLARGOL – VITRIOLA
PROKOL
Vraiment, c’est la meilleure
De la saison !
KOLARGOL
Que je meure
Ou que j’en perde la raison.
Pareille trahison
Réclame sa vengeance.
VITRIOLA
À ce tyran plus d’allégeance.
PROKOL
Quoi ? Nous chasser comme des chiens !
Mépriser nos dévoués services !
KOLARGOL
Quand je pense à tous nos sacrifices
Pour les plaisirs de ce vaurien !
VITRIOLA
C’est intolérable !
KOLARGOL
Inacceptable !
PROKOL
Insupportable !
VITRIOLA
Allons-nous aussi
De la sorte nous laisser faire ?
PROKOL – KOLARGOL
Non merci !
VITRIOLA
Et cette fille un peu trop fière
Qui nous vint tout droit de l’enfer !
Petite pintade blanche
Avec ses quatre fils de fer
Tendus sur une branche !
PROKOL – KOLARGOL
Ainsi qu’au roi nous réglerons son sort.
Quelques tours de magie, le bon monarque est mort.
VITRIOLA
Dariana, que le diantre l’emporte,
Trois gouttes de ciguë et cette fille est morte.
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