Chapitre X - Cinéaste et financier
La passion de Lynda pour le cinéma, aussi spontanée qu’elle lui soit venue, ne l’avait pas quittée. Au contraire, elle avait pris corps dans sa pensée. Mais notre princesse prit vite conscience de la difficulté : vers qui se tourner dans cette ville immense pour trouver une personne capable de l’aider ?
La chance pourtant lui fit un présent lorsqu’un jour, elle trouva dans le restaurant deux hommes qui discutaient du sujet en connaisseurs. Elle leur demanda fort poliment la permission de se joindre à eux et apporta à la discussion une participation enflammée qui ne manqua pas d’éblouir ses interlocuteurs.
L’un d’eux, pour son bonheur, était justement Gino Lalabrigido, le célèbre producteur.
« C’est la providence qui vous envoie. Le tournage de mon nouveau film commence cette semaine, et la vedette qui devait jouer le rôle de Jessica m’a lâché sur un caprice, mais à vous voir et à vous entendre, je suis certain que vous ferez aussi bien qu’elle, sinon mieux. »
Lynda était émerveillée, vous le pensez bien ! Le grand Gino Lalabrigido, en personne, irait la voir demain, dans sa suite. Il lui remit une copie du scénario et lui promit de venir lui apporter un contrat.
Elvire, elle aussi, fut enthousiasmée quand elle apprit la nouvelle. Elles ne sortirent pas faire la fête ce soir-là. Lynda tenait à ce que Gino la trouve en pleine forme et dans toute sa beauté.
Le lendemain, Gino se présenta à l’heure prévue devant sa porte.
« Bonjour, Monsieur Lalabrigido.
– Bonjour, mademoiselle Soucha… Souchi… Chacha…
– Vous pouvez m’appeler Lynda, ce sera beaucoup plus simple.
– Vous avez raison. Dans ce cas, appelez-moi Gino, ce sera plus convivial. »
Ils entrèrent rapidement dans le vif du sujet :
« Avez-vous lu mon scénario ?
– Oui, plusieurs fois, et je suis bien surprise. Je m’attendais à me voir confier un rôle de débutante, alors que cette Jessica est le premier personnage de l’histoire. Son rôle me conviendrait à merveille. Il colle prodigieusement à ma sensibilité.
– Dois-je en conclure que vous acceptez mon offre ?
– Oui. Sans aucune réserve.
– J’en étais sûr. Vous vous envolez vers la gloire et me tirez d’embarras. »
Gino sortit de sa poche le contrat qu’elle signa en double exemplaire sans poser la moindre question. Ils scellèrent leur marché en sabrant une bouteille de champagne, de chez Fauchon comme il se doit. Puis ils se séparèrent.
« Elvire ! cria-t-elle en sautant de joie, c’est gagné ! J’ai mon contrat ! Finissons vite ce Champagne avant qu’il s’évente ! »
Une fois l’euphorie dissipée, Lynda s’installa et se mit à lire attentivement le document qu’elle venait de signer. Son visage rayonnait de joie, assombri parfois par un froncement de sourcils.
« Quelque chose ne va pas ?
– Juste un petit détail : “Article 7, alinéa B : mademoiselle Lynda Soussaschnick-Sassouschnikof devra participer à hauteur de 20 % des frais de réalisation du film, part estimée à 400 000 euros”.
– Diable ! Cela nous fait une belle provision de caviar !
– Ce n’est pas cher quand on possède ma fortune. Attends ! Écoute la suite : “Alinéa C : mademoiselle Lynda Soussaschnick-Sassouschnikof devra apporter en dépôt de garantie un bien mobilier ou immobilier d’une valeur de 300 000 euros. Au cas où les bénéfices ne couvriraient pas les dépenses, ce bien serait saisi par maître Haubouleau-d’Audault, huissier de justice à Paris, et revendu au profit de Gino-Lalabrigido-Productions.” »
Le teint de Lynda avait blanchi. Elle comprenait soudain qu’elle venait de mettre sa Porsche en loterie. Gino Lalabrigido est un filou.
« Tu ne dois pas t’inquiéter, répondit Elvire, voyant le trouble de son amie. Lalabrigido est le meilleur producteur français. Son jugement est sûr. S’il t’a engagée, c’est qu’il est certain que tu mérites sa confiance et qu’il ne court aucun risque financier. »
Le tournage dura un peu plus d’un mois. Cinq semaines pendant lesquelles Lynda, oubliant les soirées mondaines, travaillait de toute sa force, de tout son courage, et de toute sa passion, sous l’autorité de Gino qui, souvent, la faisait quitter le plateau en pleurs.
Mais ce travail épuisant trouva sa récompense puisqu’elle reçut, une quinzaine de jours avant la sortie en salle, une visite de son patron et néanmoins ami.
« Tout d’abord, je tiens vraiment à vous féliciter, Lynda, vous avez été merveilleuse dans le rôle de Jessica. Le public va vous aduler et je vous promets une carrière fulgurante dans le septième art. Nous avons réalisé des études de marché : les instituts sont unanimes. Nous allons, vous et moi, gagner un bon paquet d’argent avec ce film. Attendons-nous à plusieurs millions d’euros de bénéfice.
– Vous savez, Gino, l’argent n’a pas beaucoup d’intérêt pour moi. C’est pour l’amour de l’art que je tourne.
– Moi aussi, ma chère Lynda, bien entendu, mais comme chantait Gilbert Bécaud : “L’argent, l’argent, tout s’achète et tout se vend”. Même l’art et même le génie. C’est triste, mais que pouvons-nous y changer ? Notre siècle est ainsi fait.
– Bien sûr ! Il faut envisager la chose avec philosophie.
– Vous avez raison, et puisque nous en sommes rendus aux questions bassement matérielles, je prends la liberté de vous rappeler les termes du contrat que nous avons signé ensemble. Il est convenu à l’article 7 alinéa B que vous devez participer à vingt pour cent des frais de réalisation du film.
– Mais parfaitement ! Je me souviens très bien de cet article.
– C’est la raison pour laquelle je vous serais reconnaissant de bien vouloir me verser 400 000 euros.
– 400 000 euros, cela me convient.
– Cette somme peut vous paraître lourde, mais soyez sans crainte, les places vendues vont rééquilibrer très largement cette dépense. Au cas où vous seriez un peu gênée, nous pouvons nous arranger. Donnez-moi 100 000 euros mainte-nant, et le solde le mois prochain.
– Je ne suis jamais gênée, cher ami. Voici mon carnet de chèques. Nous disions 400 000. À l’ordre de... ?
– “GL Productions”.
– “GL Productions”. Voilà ! Signé : Lynda, avec un Y.
– Je vous remercie, Lynda. Je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps. Je vous laisse vous reposer, vous l’avez bien mérité. Lisez bien les journaux, on va beaucoup parler de nous. »
Ce soir-là, nos deux amies rattrapèrent de longues semaines de sagesse et sortirent en un lieu de divertissement pour ne rentrer à l’hôtel qu’à l’aube.
La notoriété promise et la fortune de la jeune aventurière avaient attiré l’attention d’un autre habitué de l’hôtel. Stéphano de Monaqui, célèbre banquier et jongleur en bourse, sollicita une rencontre pour lui proposer ses services. Ils se fixèrent un rendez-vous le lendemain de cette folle nuit, heureusement en fin de matinée.
« Bonjour, mademoiselle Chachachi…
– Appelez-moi Lynda. C’est plus simple.
– Je vous remercie, vous pouvez m’appeler Stef. Cela facilitera les relations.
– Excusez mon visage fatigué. J’ai travaillé toute la nuit. J’ai très peu dormi.
– Je ne m’en suis pas aperçu. Vous êtes toujours très belle.
– Je vous remercie.
– Ainsi que nous étions convenus, je souhaitais vous rencontrer pour vous parler d’un placement financier extrêmement intéressant pour vous. Vous lisez Le Nouvel Économiste, je suppose.
– Non.
– Vous écoutez Radio Classique ?
– En effet ! J’aime beaucoup les musiques de film.
– Alors, vous devez tout savoir.
– Pour tout avouer, je ne connais rien à l’économie. Pour moi, c’est du grec.
– Ce n’est pas grave. Je vais essayer de vous expliquer tout cela simplement, dans un langage profane. Vous avez entendu parler du groupe Péchinavey, bien entendu.
– Non.
– Vous avez vraiment de graves lacunes. En résumé, le groupe Péchinavey vient d’acheter le groupe Saint-Gaudouche. C’est un événement d’une importance capitale. Évidemment, les actions Péchinavey vont monter comme des fusées. Achetez du Péchinavey maintenant et, je vous le garantis sur mes vingt ans d’expérience au service de la finance, dans deux mois, votre capital aura doublé, et dans un an, il aura décuplé. Et c’est à ce moment que vous vendrez, parce que les cours vont commencer à se stabiliser, puis à baisser progressivement. Mais je serai là pour vous guider dans vos démarches.
– Mais c’est une affaire ! Gagner tant d’argent sans effort ! J’aime l’argent ! Je ferais n’importe quoi pour de l’argent ! J’épouserais le doyen de l’humanité pour de l’argent ! Où faut-il signer ? »
Persuadé du succès de sa démarche commerciale, Stéphano avait préparé un contrat, qu’il sortit d’une sacoche noire, et sur lequel le nom interminable de sa cliente avait même été imprimé.
« Ici, en bas. Précédé de la mention : “Lu et approuvé”. Et vous me signez un chèque. »
Lynda signa encore un chèque, un très gros chèque, car en dépit de ses dépenses inconsidérées, elle disposait encore d’un capital qui lui semblait intarissable.
« Voilà ! Toutes mes économies ! Pourquoi les faire dormir sur un livret à 2,4 % ?
– Vous avez bien raison. Au revoir, mademoiselle Sichoucha... Lynda.
– Au revoir, Stef. »
Lynda jubilait, persuadée d’avoir réalisé la transaction financière du siècle. En même temps, elle repensait à la parabole de l’Évangile, étudiée avec son père.
« Mon petit papa, pensait-elle, tu devrais être fier de ta fille. Je n’ai pas enterré ton talent. Je suis en train de faire fructifier ton capital. Je vais pouvoir entrer dans la joie de mon maître. »
Mais elle ne désirait pas trop spiritualiser la situation et trouva dans cet événement l’occasion d’une nouvelle évasion nocturne.
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