III
Macha décide d’aller dire deux mots à Yolande. Celle-ci se trouve bien occupée à cuisiner dans un grand chaudron. Drôle de cuisine, car le chaudron, au lieu de pendre à une crémaillère dans la cheminée, comme tous les chaudrons, repose sur un foyer de pierre et de bois, au beau milieu de la maison. Faut-il s’en étonner puisque ce n’est pas la cuisine d’une ménagère ordinaire, mais celle d’une sorcière ?
« Que fais-tu là, petite chenille ? Je ne t’ai pas invitée, et tu as certainement l’estomac trop délicat pour apprécier ma tambouille.
– En effet, ce n’est pas très appétissant et ça sent mauvais. Qu’est-ce que tu fais bouillir, là-dedans, qui pue comme ça ? Des tripes sans doute.
– Jeune gorgone, tu ne sais pas ce qui est bon ! N’as-tu jamais lu les contes de Grimm ? C’est de ton âge.
– J’ai lu Grimm, et Goethe, et Schiller. J’ai lu aussi Voltaire, et Rousseau, et Tolstoï, et Pouchkine. Je suis une petite fille très cultivée. Je connais même par cœur la table des sept.
– C’est bon ! Arrête de ramener ta science. Si tu as lu Grimm, tu dois savoir ce que les sorcières font cuire dans leurs marmites.
– Des enfants, la plupart du temps.
– Comment ça, la plupart du temps ?
– Tu n’as pas lu tout Grimm. Par moments, ce sont les enfants qui font cuire les sorcières dans de moches marmites comme celle-ci, et je ne vais pas m’en priver. »
À cet instant même, Yolande a perdu son arrogance. Elle a peur. Son visage devient vert comme celui dont elle est à la fois la maîtresse et la servante.
« Tu as raison de me craindre, je suis ta Gretel. »
D’un coup de pied volontaire, Macha renverse le chaudron. Les pieds et les jambes ébouillantés, la devineresse s’enfuit en criant et en jurant dans toutes les langues de la Communauté européenne. Un vent se met à souffler dans la maison, éteignant le foyer. Un rayon de soleil éclaire aussitôt la sinistre demeure.
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Laverdure avait décidé que la guerre ne serait pas terminée tant que ses ennemis ne seraient pas exterminés jusqu’au dernier. Il voulait surtout en finir avec l’ours Michka qui le narguait sans cesse, mais il détestait les enfants par-dessus tout, l’une d’entre eux en particulier. Il avait fait placarder dans tout son royaume le portait de Macha, accompagné de l’inscription : « Morte ou vive. Morte de préférence. »
Il voulait tuer tous les enfants. Il lui fallait encore des armes et pour acheter des armes, il lui fallait de l’argent. Il chercha Yolande, mais ne la trouva pas.
« Je vais aller taper mon vieux copain Bouledevent. Il saignera son peuple à blanc selon son habitude. Non seulement il me donnera des armes, mais des tas de bonnes choses pour faire la fête : du vin, du saucisson, du fromage... »
Puis, il réfléchit :
« Il finira bien par en avoir assez de me donner des sous. Je vais lui envoyer ma femme. Elle va lui faire un câlin. Il adore ça. »
En effet, la femme de Laverdure est blonde et pas trop vilaine. À son arrivée au royaume de Bouledevent, elle fut accueillie par une vieille dame colorée de blond. Elle lui présenta les excuses du roi qui, retenu par quelque orgie urgente, n’était pas en mesure de le recevoir avec plus d’égards. En attendant, elles décidèrent de faire en ville quelques emplettes. Madame Laverdure avait beau être venue pour plaider avec larmes en faveur de son peuple opprimé et réduit à la misère, elle et sa commère dépensèrent en une heure, rien qu’en sacs à main, chaussures et chapeaux, l’équivalent de trois années de salaire d’un ouvrier.
Quand elles furent de retour, le roi était disposé à recevoir son invitée. Il lui fit un câlin. Il renouvela ses excuses pour n’avoir pas pu la recevoir selon les honneurs dus à son rang.
« Vous êtes tout excusé, d’ailleurs, je ne me suis pas ennuyée. Votre mère, qui est une femme tout à fait charmante, m’a fait faire les boutiques.
– Ma mère ? interrogea Bouledevent avec des yeux ronds.
– Eh bien ! oui... cette grand-mère tout à fait charmante qui m’a accueillie à mon arrivée.
– C’est ma femme. »
La boulette !
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