Deux cavaliers galopaient dans la plaine.
Deux hommes en habit de chasse, portant l’épée au côté, bottés de cuir, plume de faisan au chapeau, le plus jeune en tête, les longs cheveux ondulant dans le vent, tenant une lance en main. Son comparse, plus âgé d’une dizaine d’années, la barbe déjà ornée de quelques poils gris, portait son arc et son carquois sur l’épaule. Le brouillard de poussière soulevé par les sabots donnait à cette chevauchée une impression d’aérienne vélocité.
Soudain, le premier cavalier lève le bras gauche. La course ralentit à l’entrée d’un bois.
« Allons-y, Wilbur ! Cette forêt me semble généreuse en gras gibier. Il faudrait bien que le diable soit contre nous si nous ne rapportons pas un beau chevreuil que nous ferons griller dans la cheminée.
– En parlant du diable, on dit justement que ce bois est hanté. D’aucuns y ont rencontré une créature, mi-femme, mi-démon, à la chevelure rouge comme le feu de l’enfer.
– Les femmes sont souvent de merveilleux démons, c’est pour cela qu’elles nous font chavirer le cœur. Allons chasser ! Si c’est un cerf, il sera pour la broche, si c’est un démon, il sera pour le bûcher.
– Et si c’est une femme ?
– Si c’est une femme, je t’interdis d’y toucher avec tes grosses mains de bûcheron. »
Vexé, Wilbur grommela quelques incompréhensibles jurons. Axel s’engagea dans le sous-bois.
« Allons ! Qu’attends-tu pour me suivre ? Devrai-je te porter ?
– Je n’entre pas là-dedans ! Libre à toi de vendre ton âme au diable pour un lièvre ou un faisan.
– Paresseux et superstitieux ! Qui donc m’a fabriqué un valet pareil ? »
Axel, lui non plus, n’est pas très rassuré. Elle est si épaisse, cette forêt, il y fait si sombre ! Et si son compagnon avait raison ? Et si ce bois était habité par une sorcière ? Et si elle le transformait en crapaud, ou n’importe quel animal répugnant, lui, si fier de son visage aux traits si doux, de sa moustache en crocs et de sa courte barbe en pointe que les jeunes filles aiment tant caresser ?
« Tiens, tiens ! Comme les fougères sont couchées par ici, et ces branches brisées ! Quel chemin barbare et quelles traces peu discrètes ! Suivons-les. Elles vont nous conduire vers une grosse pièce. »
Un étrange bruit, derrière lui, le fait sursauter. On le suit. Est-ce un de ces résidents de l’enfer qui aurait pris une permission ? Un cheval hennit. Axel ose enfin se retourner. Wilbur, son craintif camarade, s’est ressaisi et le suit à distance respectueuse.
Le pénible trot débouche enfin sur une large clairière. Axel pousse un cri de surprise et d’admiration. La récompense l’attend au centre de cette verdure.
« Je n’ai jamais vu un mâle de cette taille. Quelle puissance ! Quand on me verra avec ce monstre à la croupe, tous reconnaîtront qu’Axel de Blégary est comme Nimrod : le plus grand des chasseurs devant l’Éternel.
– On dit qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué.
– Je ne me soucie guère de la peau de l’ours, mais les défenses de ce sanglier vaudront bien quelques pistoles. Regarde comme on tue le gros gibier à la mode du pays. Je te le perce avec cette lance et je te l’épingle au sol comme un papillon sur un mur. »
Et pour démontrer qu’il est bien le chasseur émérite qu’il prétend être, il brandit sa pique, lance sa cavale à l’assaut de la bête et, d’un geste athlétique, la projette sur la cible. Malheureusement, il manque son coup. La lance est là, profondément plantée dans le sol herbeux, mais pas de sanglier autour.
« Raté ! » s’écrie Wilbur.
Raté ? Pas tant que ça. Le fer a suffisamment éraflé le flanc du monstre pour qu’un filet de sang se soit répandu sur la terre.
Le sanglier est un animal pacifique, mais il ne faut pas le chatouiller quand il est de mauvaise humeur et, sur ce coup, la bête est vraiment fâchée. Elle frappe le sol de ses sabots. La terre tremble. La voilà qui charge. Le premier coup de boutoir déséquilibre le cheval qui se cabre, éjectant le cavalier. L’homme à terre considère avec angoisse le gibier devenu chasseur qui se précipite sur lui. Trop tard pour prier.
« Au secours, Wilbur ! »
Axel cache son visage derrière ses avant-bras pour ne pas voir la mort, mais il entend…
Il entend dans la même seconde un sifflement dans l’air, une sorte de rugissement, une lourde chute. Constatant qu’en dépit de toute probabilité, il est encore en vie, il se décide à ouvrir les yeux pour se trouver nez à hure avec le monstre abattu, une flèche fichée dans l’œil.
« Oh ! merci, Wilbur ! J’ignorais que tu étais un archer si habile. Tu viens de me sauver la vie. Désormais, je ne traiterai plus comme un goujat et je te nommerai marquis.
– Mais… Je n’y suis pour rien !
– Comment ça, tu n’y es pour rien ? Et ce trait ?
– Ce n’est pas moi qui l’ai tiré. Le temps que j’ajuste mon arc, tu étais déjà mort.
– Ah bon ? Eh bien tant pis, je te ferais tout de même marquis. Mais alors, qui donc a tiré ?
– Cette flèche a été décochée de nulle part. Je l’avais bien dit : cette forêt est hantée. »
Créez votre propre site internet avec Webador