I
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C’est l’hiver.
Il fait froid, il fait gris, il fait moche. Si au moins il y avait de la neige, on pourrait luger à la sortie des cours ! Si au moins c’était un froid bien sec, le soleil blanc apporterait un peu de lumière et de douceur, mais c’est vraiment l’hiver, morne et déprimant, alors Ludivine est un peu beaucoup déprimée. Heureusement, elle est bien au chaud dans sa classe de cinquième C du collège Anatole France.
La cloche retentit. Garçons et filles rassemblent leurs affaires et se précipitent en désordre dans le couloir. « La rue est à nous, que la joie vienne ! Mais oui, mais oui, l’école est finie ! » chantait une jeune gloire d’autrefois, une « idole », comme on disait en ce temps-là. Mais pas de joie dans la rue, seulement la grisaille, de plus, elle n’est pas à nous, et comme pour colorer un peu ce gris des nuages bas, Ludivine s’est vêtue de son sempiternel manteau rouge à capuche. Elle le porte tout l’hiver, ce manteau. Les camarades s’en moquent un peu et l’ont affublée de sobriquets de circonstance ; mais elle ne s’en soucie point. L’important pour elle, c’est de se sentir bien au chaud et d’ailleurs, le rouge est sa couleur préférée, on lui dit parfois qu’elle lui va à ravir. Une longue écharpe, tout aussi rouge, protège sa gorge, sa bouche et son nez, ne découvrant de son visage que ses jolis yeux bleus et son front masqué d’une frange blonde.
Après avoir salué sa mère d’un baiser sur la joue, elle monte dans sa chambre, dépose son cartable et son écharpe sur son bureau d’écolière. Avant de se séparer de son manteau, elle fouille instinctivement dans ses poches et en tire une page de cahier pliée en quatre.
« Tiens, se dit-elle ! Un amoureux qui n’ose pas me dire franchement les choses ! »
Elle déplie le billet :
« Qu’est-ce que ça veut dire ? »
On y avait écrit à l’encre bleue :
PCR méfi-toi (sic) de GML.
« Au lieu de m’écrire des bêtises, il ferait mieux d’apprendre l’orthographe ! »
Car Ludivine est bonne en orthographe, ainsi qu’en grammaire et en rédaction. Elle est bonne aussi en anglais, un peu moins en mathématiques. Elle déchire le billet en menus morceaux qu’elle jette avec mépris dans la corbeille.
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La jeune fille a passé une nuit blanche, ne pensant qu’à ce fameux billet. Qui donc l’avait fourré dans sa poche, et surtout, qu’est-ce qu’il pouvait bien signifier ?
PCR… On dirait le nom d’un mouvement politique : Parti Communiste Républicain ? Ou Révolutionnaire ? Je ne m’occupe pas de ces gens-là, qu’ils me laissent tranquille !
Elle se tourne sur son lit du côté droit, puis du côté gauche. Elle ne parvient toujours pas à dormir. Elle pense.
« Mais bien sûr ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? PCR, c’est moi : Petit Chaperon Rouge ! Ils m’ont collé ce surnom à cause de ma fameuse capuche. “Petit Chaperon Rouge, méfie-toi de GML”. Mais qui est donc ce GML ? Probablement les initiales de quelqu’un, Georges, Gérard ou Gaston. Je ne connais personne qui s’appelle comme ça. À moins que ce soit une fille. Ginette ? Georgette ? Géraldine ? Gastounette ? Je n’ai pas ça dans ma classe. Gertrude ? Non plus. Ghislaine ? Mais oui ! C’est elle, évidemment. C’est cette grande flemme de Ghislaine Leduc ! Je n’ai pas attendu qu’on me le dise pour me méfier de cette chipie. Et d’ailleurs, ça colle pour les initiales : GL. Pour l’M, ça reste un mystère. C’est peut-être son deuxième prénom. Il faut que je mène ma petite enquête. »
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Comme nous l’avons dit, Ludivine est une jolie petite fille aux yeux bleus pétillants de jeunesse, aux longs cheveux blonds toujours impeccablement tressés. Elle s’endormit à six heures et demie, son réveil sonnant à sept heures.
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En cours de géographie, Ghislaine plongea la main dans une de ses poches. Elle sentit du papier à l’extrémité de son doigt.
« Allons bon ! s’exclama-t-elle en silence, il y avait longtemps ! »
Plus tard, profitant de la discrétion d’un petit local destiné à la satisfaction de besoins naturels, elle tira de sa poche un feuillet d’éphéméride. Sous la date était imprimé en caractères gras, suivi d’un court commentaire :
« Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, N’endurcissez pas vos cœurs. – Hébreux 3.15 »
« Il faut qu’elle arrête avec ça ! Si les copains tombent là-dessus, de quoi j’aurais l’air ? Ils vont me prendre pour une vieille bigote. »
Il n’y a donc pas que Ludivine qui trouve des petits mots dans ses poches, mais pour Ghislaine, il n’y a pas tant de mystère. Sa mère est une croyante « pratiquante ». Quand Ghislaine était petite, elle était bien obligée de l’accompagner à l’église, mais maintenant, elle a choisi son camp. Lassée de l’exhorter, la brave mère se contente de lui glisser un feuillet, de temps en temps, quand elle trouve « un verset pour elle ».
Et justement, c’est bien un verset pour elle, car après avoir tant de fois entendu l’appel de l’Évangile, elle a définitivement endurci son cœur.
« Je n’ai plus l’âge de croire au père Noël et je ne veux plus qu’on me parle de toutes ces bêtises. »
Elle transforma le feuillet en une boulette compacte qu’elle jeta rageusement dans la cuvette, et elle tira la chasse d’eau.
Ghislaine est une grande fille de quatorze ans. Si elle est encore en cinquième, c’est qu’elle a redoublé plusieurs fois. Elle n’est pas studieuse, mais elle est sportive. La nature l’a dotée d’une stature qui lui fait paraître plus que son âge. Elle est, non seulement la plus grande, mais aussi la plus forte des élèves de son collège. Même les garçons de troisième ne lui chercheraient pas la bagarre, encore moins Ludivine qui la juge très antipathique, mais qui est plutôt chétive. D’ailleurs, la grande ne manque jamais une belle occasion de se battre, la petite en a peur.
Autant la chevelure de Ludivine est blonde et lumineuse, autant l’admirable queue de cheval de Ghislaine, qui se déroule jusqu’à ses hanches, est noire et reluisante comme l’obsidienne. Ludivine a des yeux de saphir, Ghislaine a des yeux d’émeraude.
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