Acte III
Décor du deuxième acte. Des journaux et du courrier sont disposés sur la table basse, près du canapé. On entend atterrir un hélicoptère. Cavalcade dans l’escalier ; les filles entrent en chahutant.
Scène première
LYNDA – ELVIRE
LYNDA
Quelle folle nuit ! J’espère que tu ne t’es pas ennuyée.
ELVIRE
Pourrait-on s’ennuyer quand on fait la java avec toi ? Et cette idée de louer un hélicoptère pour rentrer à l’hôtel ! Incroyable !
LYNDA
C’est une idée brésilienne. Les vieilles pies brésiliennes ont tellement peur de se faire enlever qu’elles prennent l’hélicoptère pour traverser la rue.
ELVIRE
Encore heureux que ce ne soit pas toi qui le pilotais, cet hélicoptère. Tu en tiens une puissante !
LYNDA
Oh ! N’exagérons rien. Je tiens très bien l’alcool. Je suis saoule, d’accord, mais je ne suis tout de même pas bourrée.
ELVIRE
Tiens-toi en équilibre sur un pied, pour voir.
LYNDA
Oups !
ELVIRE
Excellent !
LYNDA
Veux-tu goûter à mon whisky ? C’est du quatre cirrhoses, et en plus il vient de chez chauffons !
ELVIRE
Tu es vraiment bourrée comme une pipe !
LYNDA
Comme une vieille pipe.
ELVIRE
Écoute mon conseil : Évite les contrôles de polices, ils seraient capables de trouver deux grammes de sang dans ton alcool.
LYNDA
Raison de plus ! Un demi-litre de plus ou de moins, ils ne verront même pas la différence. Whisky ! À la santé du groupe Péchilaouanégaine ! À la santé de Gini Dulolo, et vive le cinéma ! Et à la santé de Cédric des Gaudillots, mon fiancé.
(Elle s’affale sur le canapé, saisit un des journaux sur la table basse, commence à lire et paraît brusquement dégrisée.)
Oh là là !
ELVIRE
Quoi ?
LYNDA
Oh là là là là !
ELVIRE
Qu’y a-t-il ?
LYNDA
« Le fiasco de Lalabrigido ».
(Elle pend un autre journal.)
« Lalabrigido : un désastre financier ».
(Elle prend un troisième journal.)
« Lalabrigido a misé sur un tocard ».
(Même jeu)
« Le suicide de Lalabrigido ».
Il s’est tiré une balle dans la tête.
ELVIRE
Pauvre Gino !
LYNDA
Par Sainte Fédorova ! Mes 400 000 euros !
ELVIRE
Envolés.
LYNDA
Mais c’est la Bérégovoy !
ELVIRE
Bérézina ! Il te reste des actions.
LYNDA
Péchinavey ! Vite ! La page boursière ! De toute façon, je n’y comprends rien.
Ah ! Le « Provocateur républicain ». Mon petit Cyril m’a promis un article élogieux. Voilà qui va me consoler de cette mésaventure. Finalement, 400 000 euros, ce n’est pas grand-chose.
Nous y voilà ! Je reconnais ma photo. Écoute un peu.
« Lynda, la starlette prétentieuse ! »
Starlette prétentieuse ?
(Elle lit tout l’article attentivement)
Le petit saligaud !
ELVIRE
Quoi ?
LYNDA
Le traître ! Le gredin ! Le bandit ! Le folliculaire ! L’écrivas-sier ! Le rat ! Le scribouillard !
ELVIRE
On dirait que sa prose te contrarie.
LYNDA
Le sacripant ! Dire que j’étais déjà amoureuse de lui ! Dire que je voulais l’introduire dans le beau monde, ce bouvier mal dégrossi ! Ce bouseux embourbé ! Attends un peu que je mette la main sur lui ! Il va passer une mauvaise demi-heure ! Regarde-moi ce torchon !
ELVIRE (lisant l’article)
« Lynda, la starlette prétentieuse.
Accourue du fin fond de la Moravie... »
LYNDA
Syldurie, Monsieur des Groscoquenauds, Syldurie !
ELVIRE
« Accourue du fin fond de la Syldurie, Lynda, princesse au nom imprononçable débarque à Paris, dans le monde impitoyable du cinéma. Son prétendu talent... etc. »... Oh ! « Petite allumeuse, » il a écrit ! « Moineau sans cervelle », « ravissante idiote ! »
LYNDA (reprenant le journal)
« Ravissante idiote ? » Il a écrit ça ? « Ravissante idiote ? »
ELVIRE
« Ravissante idiote. »
LYNDA
Le salopard !
ELVIRE
On disait la même chose de Brigitte Bardot. Je pense qu’il a voulu te faire un compliment.
LYNDA
Je me passe de ce genre de compliment.
Le comble ! Il a signé C.D.G. Le lâche ! Le dégonflé ! Pas même le courage d’écrire son nom ! Il a peur que je le reconnaisse et que je lui règle son compte. Quel faux jeton ! Mais quel faux jeton ! Si tu me trouves un jeton plus faux que celui-là, je t’invite à la Tour d’Argent.
(Elle froisse le journal en boule et le projette à travers la scène.)
ELVIRE
Tu m’as déjà invitée à la Tour d’Argent.
LYNDA
Ça ne se passera pas comme ça ! Tu ne me connais pas, mon petit bonhomme. Tu vas le regretter. Tu vas goûter à la colère de Lynda. Je me vengerai. J’aurai ta peau !
Voilà ce que je vais faire. Je l’invite à passer ses vacances chez moi, en Syldurie. Sitôt arrivé, je le fais arrêter et je le laisse macérer un an ou deux dans les oubliettes du château. Si les rats ne l’ont pas mangé, je le fais sortir, je lui fais donner deux ou trois cents coups de fouet. Non ! Je les lui donne moi-même, les trois cents coups de fouet, ce sera plus amusant. Et s’il a survécu à mes caresses, je le fais décapiter. Bien fait pour lui !
ELVIRE
Je croyais que tu ne voulais pas retourner en Syldurie.
LYNDA
Je ne veux pas et je ne peux pas. J’y suis bannie. Et je reconnais que je ne l’ai pas volé.
De plus, mon père a aboli la peine de mort et il a fait construire un centre de détention ultra moderne ; plus de rats, plus de clés, les gardiens ont une carte à puce qui ouvre tout. Et quand un prisonnier est malade, il y a des infirmières blondes qui viennent le soigner.
ELVIRE
Renonceras-tu à ta vengeance ?
LYNDA
Et puis quoi encore ? Je vais lui envoyer en guise de baiser deux ou trois coups de poing dans la figure. Au milieu du cartilage, là où ça fait bien mal. Il s’en souviendra de la ravissante idiote. À moins que ça le rende amnésique !
ELVIRE
Il va te faire un procès pour coups et blessures et tu seras obligée de lui verser mille euros par beigne. Sachant que tu as déjà perdu beaucoup d’argent, ce n’est pas le moment d’en rajouter. Aujourd’hui, tout le monde se fait des procès pour un oui pour un non. C’est la mode. Menace-le d’un bon procès pour diffamation et il te fera des excuses publiques dans sa feuille de chou.
LYNDA
Le conseil me paraît sage. N’empêche que j’aurais bien voulu lui défoncer son masque de carnaval. Je suis une femme d’action, moi.
Voyons maintenant le courrier. Peut-être y trouverai-je enfin une bonne nouvelle.
(Ouvrant une lettre.)
C’est de Stef.
ELVIRE
Stef ?
LYNDA
Stéfano de Monaqui. Il me donne sûrement des nouvelles de mon placement.
(Lisant)
« Salut, ravissante idiote. »
Comment lui aussi ?
« Salut, ravissante idiote,
Dommage pour toi que tu ne lises pas le “Nouvel économiste”, espèce de gourde ! Tu aurais compris qu’il n’y a jamais eu de Péchinavey ni de Saint-Gaudouche ! Et tu n’aurais pas confié ton capital à n’importe qui. Maintenant je suis parti très loin d’ici, dans un pays ensoleillé où je vais m’offrir une vie de pacha avec tes économies dont tu m’as si gentiment fait cadeau. Inutile de chercher à me retrouver, le monde est vaste. Je suis sur une île de rêve, mais tu ne sauras jamais laquelle.
Adieu sombre andouille. »
Ah ! Le salaud ! L’ordure ! Mon pognon ! Je le tuerai ! Je lui crèverai la panse !
(Regardant l’enveloppe.)
Le crétin ! Il y a un timbre à date sur l’enveloppe : « Papeete, Polynésie française ».
Viens, ma chérie, je t’emmène illico à Tahiti. Le temps d’acheter une Kalachnikov pour lui lester l’abdomen. Je vais le buter. Je vais le descendre. Je vais...
ELVIRE
Calme-toi, Lynda ! Je t’en supplie ! Calme-toi ! Tu me fais peur.
LYNDA
Que vais-je devenir ?
ELVIRE
Si j’ai bien compris la situation, tu es fauchée.
LYNDA
Fauchée, moissonnée et même écobuée.
ELVIRE
Et qu’est-ce que tu comptes faire maintenant ?
LYNDA
Si seulement je le savais ! Trouver un hôtel moins cher. Chercher du travail. Je n’ai jamais rien fait de mes dix doigts. Ce sera difficile. Dis-moi, Elvire, est-ce que tu pourrais m’héberger un peu chez toi en attendant de trouver une solution ? Je suis dans la mouise, là !
ELVIRE
Ce ne sera pas possible. C’est petit chez moi, tu sais ?
LYNDA
Je ne prendrai pas de place, je dormirai sur un matelas pneumatique, dans ton salon... dans ta cuisine... dans ta cave...
ELVIRE
Je regrette, Lynda, tu es assez forte pour t’en tirer toute seule. Nous avons vécu de bons moments ensemble et nos chemins vont devoir se séparer ici.
LYNDA
Qu’est-ce que tu dis ? N’es-tu pas mon amie intime ?
ELVIRE
Euh, oui, mais...
LYNDA
Oui mais quoi ? Tu ne vas pas m’abandonner maintenant, alors que j’ai besoin de ton réconfort ?
ELVIRE
Écoute, il faut que je m’en aille, maintenant, j’ai un rendez-vous important et je vais être en retard.
LYNDA
Un rendez-vous ! Eh bien voyons ! Tu restes ici et tu t’expliques. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Es-tu en train de me faire comprendre que tu m’as accordé ton amitié seulement pour tout l’argent que tu m’as fait dépenser pour toi ? C’est bien ce que je dois comprendre ? Maintenant que je n’ai plus rien à donner, tu me jettes comme un vieux mouchoir en papier ?
ELVIRE
Je suis désolée, Lynda, je...
LYNDA
J’ai vu ma carrière d’actrice se briser en éclats, j’ai perdu 400 000 euros dans l’affaire, je me suis fait voler tout mon argent par un escroc, j’ai été trahie par l’homme que j’aimais. Tout cela en à peine une demi-heure. J’ai le tempérament solide, mais c’est tout de même beaucoup. Maintenant, je suis trahie par celle que j’ai prise pour ma meilleure amie.
ELVIRE
Je suis désolée.
LYNDA (l’empoignant)
Tu es désolée ? Moi aussi je suis désolée. Je brûle du désir d’étriper quelqu’un. Il n’est plus nécessaire que j’aille à Tahiti : tu es ici en face de moi. Est-ce que tu veux sentir deux ongles fouiller le fond de tes yeux ? Dis, tu veux savoir l’effet que ça fait ?
ELVIRE
Ne me regarde pas comme ça ! Tu me terrorises. Lâche-moi, laisse-moi partir. Au secours !
LYNDA
Tu as raison. Détale ! Cela vaut mieux pour ton matricule.
(Elvire s’enfuit.)
Scène II
LYNDA – JULIEN
LYNDA
Adieu, Mademoiselle Saccuti.
(On frappe à la porte.)
JULIEN (en coulisse)
Lynda, ouvre-moi, c’est Julien.
LYNDA
C’est pas vrai ! Non mais c’est pas vrai ! Mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu ?
Qu’est-ce que tu veux ?
JULIEN
Je t’aime, Lynda.
LYNDA
Je commence à le savoir. Décampe tout de suite.
JULIEN
Ouvre-moi, Lynda. Je t’en supplie.
LYNDA
Je croyais avoir été assez claire. Tu me déguenilles. Ôte-toi de mon palier.
JULIEN
Je suis à genoux devant ta porte. Je vais ameuter tout l’hôtel, je vais faire un scandale.
LYNDA
Ça m’étonnerait. Je t’aurai assommé avant.
JULIEN
Laisse-moi entrer.
LYNDA
Moi si je sors, ce ne sera pas pour rien.
JULIEN
Je vais me jeter dans la Seine.
LYNDA
Ne fais surtout pas ça, tu pourrais effrayer les poissons.
JULIEN
Bon, puisque c’est comme ça, adieu.
LYNDA
C’est ça : adieu, et au plaisir de ne plus jamais te revoir.
(Elle hésite, puis sort rattraper Julien.)
Euh ! Julien ! Attends ! Ne t’en va pas ! Viens !
(Elle rentre en tenant Julien par la main.)
JULIEN
Tu as eu un éclair de pitié ?
LYNDA
Peut-être.
JULIEN
J’ai croisé ta copine Elvire qui détalait comme si elle avait vu le diable.
LYNDA
Elle l’a vu dans toute sa fureur.
JULIEN
C’est toi le diable ?
LYNDA
C’est moi. Cela t’étonne ?
JULIEN
Non.
Je n’ai pas de chance. J’arrive toujours au mauvais moment. Et c’est pour cela que tu es si méchante avec moi.
LYNDA
Pardonne-moi, mon petit Julien si je t’ai fait de la peine. J’ai le tempérament assez vif et j’ai des soucis en ce moment.
JULIEN
Des soucis, ma petite Lynda d’amour ? Si je peux t’aider en quoi que ce soit, dis-le-moi.
LYNDA
Des soucis, c’est un euphémisme. C’est la catastrophe, le Titanic, le tsunami, l’attentat du onze septembre.
JULIEN
Pauvre petite Lynda ! Raconte-moi tout.
LYNDA
Tu ne lis pas les journaux ?
JULIEN
Si, ça dépend.
LYNDA
Regarde.
JULIEN
« Le fiasco Lalabrigido »
Pauvre chérie ! Cela remet en question ta carrière cinémato-graphique, n’est-ce pas ?
LYNDA
Je suis grillée et même carbonisée. C’est l’inquisition !
JULIEN
Pauvre chérie !
LYNDA
Et ce n’est pas tout. J’ai investi 400 000 euros dans ce film.
JULIEN
Pauvre chérie !
LYNDA
Et ce n’est rien encore.
JULIEN
Pauvre chérie !
LYNDA
Ce génie de la finance dont je t’avais parlé : Stef. Eh bien ! c’était un escroc. Il s’est taillé à Tahiti avec mon blé. Je suis toute nue comme une grenouille.
JULIEN
Pauvre chérie !
LYNDA
Et Elvire Saccuti, cette petite roulure ! Que ne l’ai-je étranglée de mes propres mains !
JULIEN
Pauvre chérie ! Mais il te reste bien quelques amis ? Et l’homme de ta vie ? Ce fameux journaliste ?
LYNDA
Cyril ? Ah celui-là ! Il m’a bien possédée ! J’aime tant casser les autres par plaisir, maintenant je sais ce que c’est qu’être cassée. Il a brisé mon pauvre petit cœur, comme une coquille d’œuf.
JULIEN
Pauvre ch… Ah ! Je comprends pourquoi tu t’es attendrie si brusquement. Tu as tout perdu. Plus d’argent, plus d’amis, plus d’amoureux. Alors, faute de mieux, on se replie sur le Julien, avec son bonnet d’âne et sa figure d’orang-outang. Je suis la sixième roue de secours. Désolé ma jolie, mais tu viens de me guérir instantanément de ma fièvre amoureuse. Je vais devoir te laisser. Je n’aurai pas de peine à trouver une fille mieux faite que toi.
LYNDA
Non ! Julien ! Mon petit Julien. Ne t’en va pas !
JULIEN
Te voilà à genoux, à présent, toi l’orgueilleuse ! Tu m’as assez piétiné quand j’étais vautré devant toi !
LYNDA
Ne me laisse pas tomber.
JULIEN
Tu me fais pitié. Je ne t’aime plus, mais je veux bien t’aider. Relève-toi. Ce n’est pas une attitude pour une princesse, et tu vas salir ta robe de chez Dior.
Voilà. C’est mieux. Je suppose que tu vas devoir trouver du travail. Et je ne te vois pas caissière au « Mutant ». Remarque : il y a des caissières qui sont devenues ministres. J’ai quelque chose à te proposer. Ce n’est pas grassement payé, mais cela te permettrait de faire face aux besoins de la vie.
LYNDA
Je t’écoute.
JULIEN
Je m’occupe de la gestion des ressources humaines dans une maison d’édition, à Saint-Michel. Nous avons un projet sur Homère, mais j’ai beaucoup de peine à recruter une équipe de traducteurs. Tu m’as bien dit que tu avais étudié le grec ? Je t’embauche.
LYNDA
Je n’en ai jamais compris la différence entre le nominatif et le vocatif. Et j’ai manqué de défenestrer le professeur.
JULIEN
Quel tempérament ! Bon, il faudra trouver une autre solution. Je vais devoir aller travailler, maintenant. Allez, prend courage. Au revoir, petite Lynda.
LYNDA
Au revoir, Julien.
Au fait, tu ne connais pas quelqu’un qui voudrait acheter une moto ? Une Harley-Davidson ?
JULIEN
Je vais me renseigner.
(Ils échangent un baiser amical. Julien sort.)
Scène III
LYNDA
(Elle se laisse tomber sur le canapé, reste un moment immobile. Puis elle va chercher le « Provocateur républicain », le défroisse. Elle cherche la page des petites annonces.)
« Paris XVIII, chambre meublée, huitième étage sans ascenseur. W.C. sur palier, neuf mètres carrés. 450 euros, charges non incluses. »
Les requins !... Les requins !
(Pour la première fois, le public la voit pleurer. Le rideau tombe.)
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