Acte II
Même décor.
Scène première
KOUGNONBAF – SABINE
Kougnonbaf fait les cent pas. Sabine apparaît à son insu pendant son monologue.
KOUGNONBAF
Voilà bientôt une heure que j’attends. À force de tourner comme un lion en cage, je vais creuser une tranchée circulaire dans le plancher.
Est-il permis de faire attendre ainsi un homme de mon rang ? Moi, l’illustre marquis de Kougnonbaf, je devrais être servi comme un prince. Et je le serai bientôt comme un roi.
Mais que fabrique cette sorcière de Sabine Mac Affrin ? Est-elle encore dans sa cuisine à préparer d’infernales mixtures ? D’ailleurs, il faut que ce soit moi qui lui apporte les ingrédients. Il lui faut une petite poule noire, à madame, pas blanche, pas rousse, noire. Faut-il vous la plumer ? – Surtout pas ! Une poule ne se tue pas n’importe comment. Il faut la faire bouillir avec ses plumes dans le jus de je ne sais quelle plante. Ah ! Çà ! Je ne tiendrais pas spécialement à ce qu’elle m’invite à sa table. Mais c’est que j’avais l’air fin, dans la rue, avec ma petite poule noire ! Moi, le grand, le puissant marquis de Kougnonbaf ! Ça gesticulait dans le sac, ça gigotait des ailes, ça gloussait tout ce qu’elle savait ! Tout le monde se retournait sur mon passage.
Mais vais-je devoir attendre encore longtemps ? Elle m’énerve ! D’ailleurs, quand je serai au pouvoir, je lui ferai payer tout cela. Ne pas avoir de considération pour mon auguste personne ! Je la punirai sévèrement. Elle saura ce qu’il en coûte de faire attendre Ottokar Premier de Kougnonbaf, roi de Syldurie.
SABINE
Voilà dix minutes que je suis derrière toi, imbécile !
KOUGNONBAF
J’ai failli attendre !
SABINE
Vous êtes impatient de me rencontrer.
KOUGNONBAF
Avez-vous cuisiné mon gallinacé ?
SABINE
Pourquoi m’avez-vous fait venir ici ? Nous aurions pu nous retrouver chez moi. Ainsi, c’est vous qui m’auriez fait attendre.
KOUGNONBAF
Je n’aime pas aller chez vous.
SABINE
Vraiment ? Ma maison est-elle trop sinistre ? Eh bien ! Vous auriez dû m’inviter chez vous. Vous m’auriez offert le thé.
KOUGNONBAF
Je n’aime pas vous voir traîner par chez moi.
SABINE
J’ai donc si mauvaise réputation ? Moi, je n’aime pas traîner mes bottes par ici. Quand je pense que j’avais le titre pompeux de Grande Astrologue royale ! J’étais chez moi dans ce palais, jusqu’à ce que votre pieux roi Waldemar ait fait de moi une indésirable. Me voilà personnage non gratté. Si jamais cette garce de Lynda, notre nouvelle reine, me trouve ici, ça va être ma fête.
KOUGNONBAF
Comment, Sabine ? Vous êtes astrologue, devineresse, cartomancienne…
SABINE
Tarologue, s’il vous plaît.
KOUGNONBAF
Tarologue, si vous voulez. Et vous ne savez même pas que Lynda a quitté la Syldurie. Ce n’était pas écrit dans les boyaux de ma poule ?
SABINE
Lynda est partie ? La bonne nouvelle ! Où est-elle partie ?
KOUGNONBAF
Vous me décevez de plus en plus ! Elle est repartie pour Paris, si vous voulez le savoir.
SABINE
Lynda de retour à Paris ! Tiens, tiens ! C’est intéressant, très intéressant… Et pour quoi faire ?
KOUGNONBAF
À la fin vous m’agacez ! C’est vous l’astrologue, oui ou non ? Je vous paie pour répondre à mes questions, pas pour m’en poser. Je ne sais pas pourquoi elle est partie. Je ne suis pas la grande Sabine Mac Affrin. C’est sans doute un nouveau caprice. En ce qui vous concerne, ce n’était pas la peine de venir de chez les puddings pour une prestation aussi médiocre.
SABINE
De chez les puddings ?
KOUGNONBAF
Mac Affrin, ce n’est pas un nom ouzbek.
SABINE
Je ne suis ni ouzbèke, ni britannique. Je suis née dans une île perdue au milieu de l’océan Indien dont vous ne soupçonnez pas même l’existence. Je m’appelle Sabine Sivagamyramas-samy. Je tiens mon nom des dieux Siva et Rama. Mais on m’a dit que ce n’était pas commercial : trop long et pas assez européen. Ces belles choses étant dites, le temps m’est précieux, j’ai d’autres clients qui m’attendent. Entrons dans le vif du sujet : pourquoi m’avez-vous fait venir ici ? Qu’est-ce que vous voulez ?
KOUGNONBAF
La peau de Lynda.
SABINE
Rien que ça ?
KOUGNONBAF
Rien que ça !
SABINE
Et pourquoi me réclamer la peau de cette tigresse ? Vous voulez une descente de lit ?
KOUGNONBAF
J’ai des raisons la haïr.
SABINE
J’ai, moi aussi, un vieux compte à régler avec cette petite vipère. Que la peste et le choléra l’étranglent !
KOUGNONBAF
Alors, nous sommes tous deux d’accord. Envoyez-lui une facture bien ficelée, port et taxe en sus. Modelez-lui une de vos petites poupées et piquez-la à un endroit où cela fait très mal.
SABINE
Mauvaise idée !
KOUGNONBAF
Ah ! Bon ?
SABINE
Demandez-moi de vous tuer n’importe qui à distance, mais pas Lynda.
KOUGNONBAF
Mais c’est elle qui m’intéresse.
SABINE
Elle a échappé à mon pouvoir.
KOUGNONBAF
Vraiment ?
SABINE
C’était une belle proie. La Toute-puissance est furieuse.
KOUGNONBAF
La Toute-puissance ?
SABINE
Je ne travaille pas encore à mon compte.
KOUGNONBAF
Je vois : on a des comptes à rendre au diantre, au bigre, ou comme disent les Tziganes : au benk.
SABINE
Elle était mon pantin préféré, elle est devenue ma pire ennemie.
KOUGNONBAF
Expliquez-moi cela.
SABINE
Je l’ai manipulée depuis son enfance. Elle n’avait que huit ans et se trouvait fort attristée par le décès de son grand-père. Alors, pour la consoler je l’ai initiée à un petit jeu. Ma petite Lynda était très douée. Le jeu consistait, sur le pourtour d’une table ronde, à placer des lettres imprimées sur des cartes. On posait ensuite un verre au centre de cette table. Lynda posait sa main sur le verre qui se déplaçait d’une carte à l’autre.
KOUGNONBAF
C’est extraordinaire ! Son grand-père lui adressait des messages !
SABINE
Bien sûr que non ! Les morts ne parlent pas !
KOUGNONBAF
Mais elle le croyait.
SABINE
Elle le croyait. Ces messages n’étaient que mensonges : elle les recevait directement de la Toute-puissance. Je l’ai ainsi placée sous sa domination, mais aussi sous la mienne. C’est moi qui ai dirigé sa vie. Quand elle a grandi, le jeu ne l’amusait plus, mais ce que j’avais semé portait du fruit dans son cœur : elle était devenue irascible. C’est moi qui en ai fait la peste que tous connaissent. L’adolescence ne l’a pas arrangée. Son insolence envers Wladimir, la raclée qu’elle a collée à sa sœur : c’est moi qui ai tout dirigé. Aurait-elle demandé à son vieux sa part d’héritage si je ne lui en avais pas soufflé la pensée ? Quand elle est partie pour la France, j’ai tout mis en œuvre pour qu’elle dégénère dans la débauche, l’alcool, la drogue et la prostitution. Quand un gaillard a voulu la serrer de trop près, elle lui a si bien rectifié le portrait qu’il s’est pris six mois à la Salpêtrière. Elle a été sans pitié, notre petite Lynda. C’est mon Grand-maître qui lui a donné cette puissance physique et cette cruauté.
KOUGNONBAF
Où est-ce que votre plan a foiré ?
SABINE
Je n’avais pas prévu qu’elle se mettrait à lire l’Évangile, livre maudit entre tous les livres. Elle s’est laissée séduire par les bonnes paroles du Crucifié. Elle a rejoint la voie de son père.
KOUGNONBAF
Qu’est-ce que cela change ?
SABINE
Cela change qu’elle a un nouveau maître. Elle s’est revêtue du bouclier de la foi, du casque du salut, de l’épée de l’Esprit, qui est la parole de Dieu. Je cite Paul de Tarse.
KOUGNONBAF
Paul de Tarse a dit ça ?
SABINE
Dans son épître aux Éphésiens.
KOUGNONBAF
Quelle culture ! Donc, si j’ai bien compris, le Crucifié de Lynda est plus puissant que votre Toute-puissance ?
SABINE
Oui.
KOUGNONBAF
Alors, pourquoi ne le servez-vous pas ?
SABINE
Ce sont les lâches qui choisissent le camp du plus fort.
KOUGNONBAF
Je vois.
SABINE
J’ai perdu tout pouvoir et toute influence sur le roi Waldemar et sur sa famille. Malgré ma bienveillance, j’ai été remerciée.
KOUGNONBAF
Quelle ingratitude !
SABINE
Devrais-je m’en plaindre ? Au temps du roi Saül, j’aurais été lapidée.
KOUGNONBAF
Je n’ai jamais entendu parler de Saül. Il n’a pas dû régner longtemps. Saül… Quelle dynastie ?
SABINE
Saül, ignorantissime, fut le premier roi d’Israël. Il a nettoyé son royaume de toutes les magiciennes qui s’y trouvaient. Sauf une, et c’est celle-là qui l’a mené à sa perte.
KOUGNONBAF
Merci pour cette leçon d’histoire. Mais revenons à l’objet de toute ma haine : Lynda. Vous ne pouvez donc rien envisager contre elle ?
SABINE
Rien.
KOUGNONBAF
C’est très ennuyeux. Je comptais tellement sur votre aide. Je pourrais bien entendu la tuer moi-même, mais j’ai peur qu’elle ne se laisse pas faire.
SABINE
Si jamais vous la manquez, je vous promets qu’elle ne vous ratera pas.
KOUGNONBAF
Vous n’avez donc aucune solution ?
SABINE
J’en ai une. Ne suis-je pas la grande Sabine Mac Affrin ? Réfléchissons : je n’ai plus aucun pouvoir sur cette ennemie, mais je puis encore travailler son entourage. J’ai vu beaucoup de choses dans la fumée. J’ai vu une jeune fille, une Parisienne, qui était l’amie intime de Lynda. Puis cette fille l’a gravement déçue et elles se sont séparées. Elle est tout à fait disposée à servir notre vengeance. Elle a l’esprit retors, égoïste, elle sait cacher le vice sous une apparence de gentillesse. Je vais te la manipuler pour qu’elle serve nos plans. J’exacerberai sa haine et sa fourberie. Elle sera le couteau entre nos mains pour transpercer et découper cette grosse dinde avant Noël. Elle lui tendra un piège impitoyable. Agissez selon mes oracles et Lynda ne reviendra jamais en Syldurie. Vous pourrez vous proclamer roi et me rétablir dans mes fonctions de Grande Astrologue royale.
KOUGNONBAF
Je n’y manquerai pas. Mais d’abord, allons trouver cette aventurière. Donnez-moi son numéro de téléphone.
SABINE
Et puis quoi encore ?
KOUGNONBAF
Donnez-moi au moins son nom.
SABINE
Saccuti. Mademoiselle Elvire Saccuti.
KOUGNONBAF
Elvire Saccuti. Elle habite Paris. Me voilà bien renseigné ! Encore heureux qu’elle ne s’appelle pas Dupont !
SABINE
Je vous en apprendrai davantage au temps opportun. Mais il faudra que vous m’apportiez une chèvre.
KOUGNONBAF
Va pour la biquette.
SABINE
Et pour la consultation, ce sera dix mille couronnes.
KOUGNONBAF
Dix mille ! Comme vous y allez ! C’est de plus en plus cher !
SABINE
Il faut ajouter les déplacements et la prime de risque. Il va falloir que vous me quittiez. J’attends un nouveau client. N’oubliez pas : Elvire Saccuti.
Scène II
SABINE – BIFENBAF
SABINE
Voici mon client, juste à l’heure.
(Entre Bifenbaf, portant une poule dans un sac.)
BIFENBAF
Me voici, et j’ai bien apporté ce que vous m’avez demandé. Mais pourquoi diable faut-il attendre si longtemps un rendez-vous ?
SABINE
Mais parce que je suis la plus grande devineresse du royaume, et d’ailleurs la seule qui soit restée depuis que le Roi s’est mis en tête d’éradiquer l’obscurantisme, comme il le disait si bien. Sachant que sa chère fille, notre nouvelle reine, a suivi son enseignement, notre profession devra lutter pour survivre. Mais voyons votre volatile. (Elle sort la poule du sac.) Parfait. Le sacrifice de cette pauvre bête attendrira la Toute-puissance et fera réussir vos projets.
BIFENBAF
J’ai demandé à vous voir et j’espère que vous pourrez m’aider.
SABINE
Vous espérez ? Mais mon ami, vous êtes en face de la grande Sabine Mac Affrin. Sabine peut tout, Sabine voit tout, Sabine entend tout, Sabine devine tout, Sabine sait tout.
BIFENBAF
Vous savez quelle est l’affaire qui me préoccupe.
SABINE
Non, je ne sais pas.
BIFENBAF
Ça commence bien !
SABINE
Alors, ne perdons pas de temps. Quelle est l’affaire qui vous préoccupe ?
BIFENBAF
Lynda.
SABINE (à part)
Allons, bon ! Lui aussi !
(à Bifenbaf)
Et je suppose que vous la haïssez, et que vous voudriez que je lui concocte un bouillon d’onze heures à ma façon.
BIFENBAF
Non. Je l’aime.
SABINE
Vous l’aimez ? Vous ?
BIFENBAF
C’est défendu ?
SABINE
Non, mais ça m’étonne ?
BIFENBAF
Vous êtes une drôle de Miroska.
SABINE
Si ou moukat amoin, mi kounich aou.
BIFENBAF
Qu’est-ce qu’elle baragouine ? « Ama-michaou » ?
SABINE
Baragouine, c’est du pain et du vin en breton. Moi, je vous parle créole réunionnais.
BIFENBAF
Et ça veut dire ?
SABINE
Si vous vous payez ma fiole, je vous casse la vôtre.
BIFENBAF
Je n’oserais pas.
SABINE
Qu’attendez-vous de moi ?
BIFENBAF
Que vous me prépariez une de vos potions magiques, afin qu’à son retour… Car vous savez, j’espère, que Lynda est à Paris.
SABINE
Évidemment, je le sais ! Me prenez-vous pour une godiche ?
BIFENBAF
Afin qu’à son retour, elle tombe éperdument amoureuse de moi et qu’elle désire m’épouser.
SABINE (sifflant)
Pfui !
BIFENBAF
Quoi ? Pfui ?
SABINE
Je l’aurais deviné !
BIFENBAF
La recette est-elle dans vos cordes ?
SABINE
Non.
BIFENBAF
Comment, non ?
SABINE
Pas Lynda.
BIFENBAF
C’est la meilleure !
SABINE
Demandez-moi de vous faire aimer par n’importe quelle femme, mais pas Lynda.
BIFENBAF
Paméla Empersonne ?
SABINE
Il ne faut tout de même pas exagérer !
BIFENBAF
Mais j’aime Lynda ! Donnez-la-moi !
SABINE
Non.
BIFENBAF
Mais pourquoi ?
SABINE
J’ai déjà expliqué la raison à votre collègue marquis de Kougnonbaf, il va falloir que je récidive.
BIFENBAF
Parce que ce grand escogriffe de Kougnonbaf est aussi sur l’affaire ! Ah ! Le traître ! Ah ! Le forban ! Ah ! Le scélérat !
SABINE
On se calme ! Kougnonbaf ne désire pas épouser Lynda, il voulait seulement que je la lui fasse griller à petit feu.
BIFENBAF
Et vous avez refusé.
SABINE
J’ai refusé.
BIFENBAF
Vous avez eu raison. L’ignoble individu ! Convoiter le trône de la Reine, cela le regarde, mais comploter sa mort ! Ah ! L’infâme !
SABINE
Croyez bien qu’il ne s’agit pas d’une question de personne. Si l’affaire dépendait de moi, j’aurais mis tout le monde d’accord. D’abord, j’aurais étripé la petite peste, ensuite je l’aurais contrainte de vous épouser. Ça lui aurait fait les pieds. Mais votre ennemi intime, le marquis de Kougnonbaf vous expliquera très bien pourquoi je ne puis ni l’un ni l’autre.
BIFENBAF
Comme c’est fâcheux. Vous n’avez donc aucune solution, en définitive.
SABINE
J’ai une solution.
BIFENBAF
Me voilà rassuré.
SABINE
Si vous voulez plaire à Lynda, cessez de fumer, cessez de boire. Mangez moins de cochonneries et faites un peu de sport, pour vous débarrasser de ce gros ventre mou. Donnez-vous un coup de peigne dans les cheveux de temps en temps. Et puis lisez un bouquin ou deux. Les femmes intelligentes aiment les hommes qui ont un peu de culture, hormis celle de la betterave, bien entendu.
BIFENBAF
Il n’est pas nécessaire d’être Grande Astrologue royale pour me dire ça.
SABINE
D’avoir été. Ce sera dix mille couronnes.
BIFENBAF
Quoi ?
SABINE
Ne vous plaignez pas, c’est un prix d’ami.
BIFENBAF
Mais vous êtes de moins en moins efficace et de plus en plus chère.
SABINE
C’est normal. Depuis que notre bon roi Waldemar m’a congédiée, je cours de grands risques en venant traîner ici. Pour peu que le sergent Borowitch me jette dehors à coups de hallebarde ! Vous pouvez par ailleurs reprendre votre poulet. Il ne me sera finalement d’aucune utilité, et je suppose que votre cuisine est plus ragoûtante que la mienne.
BIFENBAF
Allez au diable !
SABINE
J’y suis déjà.
(Sabine sort, Kougnonbaf entre avec une chèvre.)
Scène III
BIFENBAF – KOUGNONBAF
KOUGNONBAF
Vous n’auriez pas vu Sabine ?
BIFENBAF
Vous voulez parler de la pythie dépitée, la voyante aux yeux obscurcis, l’extra-lucide aux visions opaques ?
KOUGNONBAF
Je vous parle de l’oracle illuminée, la prophétesse clairvoyante. Sabine, enfin ! Sabine Mac Affrin ! Je n’en connais qu’une.
BIFENBAF
Ah ! Sabine ? Celle qui voit tout, entend tout, mais ne sait rien ? Non. Mais dites-moi, cher marquis, pourquoi donc avez-vous amené cet animal qui sent si mauvais ? La grande Sabine Mac Affrin aurait-elle une fois de plus augmenté ses tarifs ?
KOUGNONBAF
Et vous-même ? Que faites-vous ici avec cette bête à plume ? Avez-vous l’intention de vous reconvertir dans l’élevage ?
BIFENBAF
Marquis, je vous ai posé une question, j’attends une réponse, et non une autre question.
KOUGNONBAF
Que voulez-vous ? J’ai été élevé chez les Jésuites.
BIFENBAF
Répondez, marquis !
KOUGNONBAF
Eh bien ! Oui. Sabine m’a d’abord demandé un poulet, et maintenant il lui faut une bique pour aller plus vite et plus loin.
BIFENBAF
Elle n’y va pas de main morte !
KOUGNONBAF
Et vous-même, à ce que je vois, vous faites aussi partie de sa clientèle.
BIFENBAF
Et j’ai cru comprendre à quel sujet vous l’avez consulté.
KOUGNONBAF
À quel sujet ?
BIFENBAF
Au sujet de Lynda.
KOUGNONBAF
Comment savez-vous cela ?
BIFENBAF
Je pourrais lui racheter sa boutique. Je sais aussi, misérable traître, que vous attendiez de Sabine qu’elle lui gratte un petit bout de bois.
KOUGNONBAF
Je ne comprends pas.
BIFENBAF
Vous lui avez demandé la tête de Lynda dans une soupière.
KOUGNONBAF
Mais jamais de la vie, cher marquis ! Qu’allez-vous vous imaginer ! La mort de Lynda ne servirait ni vos intérêts ni les miens. D’ailleurs, Sabine a refusé.
BIFENBAF
Refusé quoi ?
KOUGNONBAF
Euh… Je… Bon ! Je disais… Non, croyez-moi, j’ai des méthodes bien plus astucieuses. Comme vous le savez, l’objet de tout votre amour et de toute ma haine s’en est allée à Paris jouer les Jeanne d’Arc, et tout comme elle, elle a entendu la voix de Dieu. Elle a l’intention de revenir dans sa belle armure pour délivrer la Syldurie.
BIFENBAF
Ah ! Lynda… Reviens-moi vite !
KOUGNONBAF
Elle ne reviendra jamais à Arklow.
BIFENBAF
Vous allez la tuer, assassin !
KOUGNONBAF
Allons, allons, calmez-vous. J’ai dit qu’elle ne reviendra pas à Arklow. Libre à vous d’allez la rejoindre à Paris, de lui déclarer votre flamme, de l’épouser et de lui faire des tas de petits bifembafs.
BIFENBAF
Qu’allez-vous faire ?
KOUGNONBAF
Sabine m’a trouvé un complice, ou plutôt une complice : une amie parisienne de Lynda. Cette fille est une virtuose dans l’art de la trahison, une véritable judelle.
BIFENBAF
Une judelle ?
KOUGNONBAF
Judas n’a pas de féminin, il m’a fallu en trouver un.
BIFENBAF
Et qui est cette judelle redoutable ?
KOUGNONBAF
Elvire Saccuti.
BIFENBAF
Et qu’allez-vous faire avec cette Saccuti ?
KOUGNONBAF
J’en saurai plus long sur la façon de cuisiner Lynda quand Sabine aura cuisiné ma chèvre.
BIFENBAF
Ça ne me plaît pas du tout.
KOUGNONBAF
Je ne sais pas à quel jeu s’amuse la fiancée dans tes rêves, mais il me paraît peu protocolaire, et très dangereux. Malheur à elle si elle joue une fausse note dans sa partition ! Si cette oie nous fait un canard, elle est farcie. Nous lui entraverons les jambes et elle s’étalera sur le pavé. Ce sera la fin de sa royauté. Elle abdiquera, fuyant la honte et le déshonneur, elle ira se cacher dans les souterrains parisiens qu’elle connaît si bien. À ce moment, vous lui tendrez la main pour l’extraire de la fange dans laquelle elle se sera vautrée. Vous pourrez lui demander sa main, si toutefois elle vous plaît toujours. Elle fera moins la difficile. Et tout cela grâce à qui ?
BIFENBAF
Mais, marquis !
KOUGNONBAF
Quant à moi, l’illustre marquis de Kougnonbaf, je n’aurai plus rien à craindre de cette chipie. Je n’aurais qu’à caler mes augustes fesses sur ce trône qu’elle m’aura si gentiment laissé vacant.
BIFENBAF
Mais, marquis !
KOUGNONBAF
Ottokar premier, dit « Ottokar le grand » !
BIFENBAF
Mais, marquis !
KOUGNONBAF
Avec moi, les aveugles vont voir, les paralysés vont marcher. Tous les morts ressusciteront. Tous. Tous. Sans exception.
BIFENBAF
Mais ! marquis !
KOUGNONBAF
Et si par malheur la ruse de cette Elvire Saccuti échouait, je tournerai contre elle le canon de mon arme secrète.
BIFENBAF
Mais, marquis !
KOUGNONBAF
Comme vous le savez, je suis le grand patron du groupe « Kougnonbaf-Presse ».
BIFENBAF
Mais, marquis !
KOUGNONBAF
Je tiens donc en main tous les moyens d’information du pays, et surtout les moyens de désinformation.
BIFENBAF
Mais, marquis !
KOUGNONBAF
Arklow Match, Syldurie Soir, Ici Arklow, Syldurie Dimanche, et toute la presse à histoires, sans oublier la chaîne de télévision la plus populaire : TS-crét1 ; tout cela, c’est moi, et rien que moi.
BIFENBAF
Mais, marquis.
KOUGNONBAF
À partir d’aujourd’hui, toute la presse tiendra le pays au courant des faits et gestes de leur reine. Elle qui prétendait que son départ passerait inaperçu !
BIFENBAF
Mais, marquis !
KOUGNONBAF
L’encre d’imprimerie est un poison mortel que je lui ferai avaler. Je la briserai, je la calomnierai, je la piétinerai, je froisserai son honneur, je la livrerai à la haine de son peuple. Ah ! Lynda ! Maudite Lynda ! Toi que j’exècre ! Quel plaisir je prendrai à savourer ma délicieuse vengeance !
BIFENBAF
Il suffit, marquis ! J’aime Lynda et je ne vous permettrai pas de lui faire le moindre mal.
KOUGNONBAF
Entre Lynda et le pouvoir, c’est le pouvoir que j’ai choisi d’aimer.
BIFENBAF
Écoutez-moi bien, marquis : Si pour votre malheur, vous effleurez seulement sa peau du bout des doigts, je vous tuerai.
KOUGNONBAF
Quand je rencontre un obstacle entre le pouvoir et moi, je n’essaie pas de le contourner, ni de l’escalader. Je le détruis.
BIFENBAF
C’est moi qui vous détruirai.
KOUGNONBAF
Vous ? Vous êtes trop mou et trop grassouillard.
BIFENBAF
Ah ! Çà ! marquis ! Vous n’êtes qu’un paltoquet !
KOUGNONBAF
Et vous un cuistre !
BIFENBAF
Un maraud !
KOUGNONBAF
Un faquin !
BIFENBAF
Un bélître !
KOUGNONBAF
Un gueux à nasarde !
BIFENBAF
Non satisfait d’offenser votre reine, vous m’offensez, moi, Miroslav de Bifenbaf. J’en demande réparation sur-le-champ.
KOUGNONBAF
Eh ! bien ! Ne tardons pas, Monsieur. Sortons et réglons tout de suite ce différend.
BIFENBAF
Morbleu ! Je vous découperai les oreilles. Je vous amputerai, je vous étriperai.
KOUGNONBAF
Palsambleu ! marquis ! Dans votre gros ventre chargé de graisse, je signerai mon nom à la pointe de l’épée : d’un K qui veut dire « Kougnonbaf » !
(Entre Éva.)
Scène IV
BIFENBAF – KOUGNONBAF – ÉVA
ÉVA
Qu’est-ce qui justifie ces vociférations ?
KOUGNONBAF
Des vociférations ? Vous avez entendu quelqu’un vociférer, mon cher marquis ?
BIFENBAF
Non, cher marquis. Tout en ce lieu respire le calme et la tranquillité.
KOUGNONBAF
Je dirais même plus…
ÉVA
Auriez-vous l’audace de vous moquer de moi ?
KOUGNONBAF
Peut-être, dans l’ardeur de notre discussion, aurions-nous, tout à fait inconsciemment, élevé le ton.
ÉVA
Bien sûr !
KOUGNONBAF
Lorsque nous parlons de musique, et particulièrement de la musique russe, nous sommes animés d’une telle passion que, souvent, nous nous emportons.
BIFENBAF
Nous avions engagé un débat enflammé au sujet de… de…
KOUGNONBAF
De Prokofiev.
BIFENBAF
Ah ! Prokofiev ! L’amour des trois oranges, Lieutenant Kijé, Shéhérazade…
KOUGNONBAF
Ah ! Non, cher ami. Shéhérazade, c’est Rimsky-Korsakov.
BIFENBAF
Vous croyez ?
ÉVA
Me prenez-vous pour une andouille ? Je vous rappelle, messieurs, que c’est dans cette salle même que le cœur de mon père a cessé de battre. Vos éclats de voix sont une insulte à sa mémoire. Je vous promets que vous serez tous deux sévèrement punis.
BIFENBAF
Je vous demande pardon, Altesse.
KOUGNONBAF (à part)
Je n’ai jamais vu Éva montrer une telle autorité. C’est vrai qu’en l’absence de sa sœur, c’est elle la reine par intérim. Laquelle de ces deux pintades sera la plus difficile à cuire ?
ÉVA
Mais !… Aurais-je mangé de mauvais champignons ? Kougnonbaf ! Qu’est-ce que vous faites ici avec cette chèvre ? Et vous ? Qu’est-ce qui glousse et gesticule dans ce sac ? Avez-vous l’intention de monter un cirque dans ce lieu respectable ? Voilà que me scandalise ! J’exige des explications.
KOUGNONBAF (à part)
Nous voilà dans les sables mouvants !
BIFENBAF (à Kougnonbaf)
Dites-lui quelque chose, Kougnonbaf.
ÉVA
Alors, messieurs. Est-ce la faute de Stravinski, ou celle de Borodine ?
KOUGNONBAF
Ni l’un ni l’autre en vérité.
ÉVA
J’attends… Vous n’avez rien à me dire ? Parfait. Résumons-nous : dans ce salon rempli de la mémoire du feu roi Waldemar, vous vous querellez en échangeant des injures de charretier. Pire encore, vous transformez cet endroit en basse-cour. Écoutez-moi bien tous les deux, je ne suis pas d’humeur à badiner. Je vous recevrai chacun à votre tour, face à face, et je vous interrogerai. Vous ne quitterez pas ma présence tant que je n’aurai pas reçu vos explications. Et malheur à vous deux si je n’en suis pas satisfaite ! Je ne montrerai aucune complaisance à votre égard.
(Entre Sabine, sans voir Éva.)
Scène V
BIFENBAF – KOUGNONBAF – ÉVA – SABINE
SABINE
Je n’aurais pas oublié mon foulard, par hasard ?
(Apercevant Éva)
Éva !
ÉVA
Sabine Mac Affrin !
KOUGNONBAF
On peut dire que vous vous pointez au bon moment ?
ÉVA
Qu’est-ce que vous faites ici ?
SABINE
J’ai oublié mon foulard.
ÉVA
Je vous demande ce que vous faites ici, au palais royal de Syldurie où vous êtes interdite de séjour ? Ensorceleuse ! Mon père ne vous avait-il pas interdit de remettre les pieds en ce lieu ?
SABINE
Je… Je ne fais que passer. J’ai oublié mon foulard.
ÉVA
Je comprends déjà mieux la présence de cette chèvre et de cette poule. Vous manigancez tous les trois quelque sordide complot, et vous vous appuyez sur le pouvoir occulte de cette cuiseuse de mandragore.
SABINE
Mais… Je venais reprendre mon foulard.
ÉVA
Eh bien ! Prenez votre foulard et disparaissez de ma vue, avant que je vous fasse jeter dehors sans ménagement.
SABINE
Inutile de déranger toute la garde royale ! Je m’en vais.
ÉVA
N’oubliez pas votre foulard.
KOUGNONBAF
Puisque vous sortez, débarrassez-moi donc de ce bestiau qui fait des cochonneries partout. Nous ne sommes pas français pour boire le vin blanc avec du crottin de chèvre.
(Sabine sort avec la chèvre.)
ÉVA
Vous aussi, Bifenbaf, débarrassez-moi le plancher avec votre poulet, avant que ce soit moi qui vous déplume.
(Bifenbaf se dirige vers la sortie. Kougnonbaf le suit.)
Vous, restez, Kougnonbaf ! Nous avons des tas de choses à nous dire. L’interrogatoire commence par vous. À tout Seigneur, tout honneur.
KOUGNONBAF
Ottokar, mon petit, ça va être ta fête. Je la vois venir d’ici.
Scène VI
KOUGNONBAF – ÉVA
ÉVA
J’ai deux questions, j’attends deux réponses : Quel était le sujet de votre discussion avec Bifenbaf ? Que complotez-vous avec cette sorcière de Sabine Mac Affrin ?
KOUGNONBAF
Quel mauvais pas ! Il faut que je trouve vite un mensonge pour me sortir de là.
ÉVA
J’attendrai le temps qu’il faudra, dussé-je passer toute la nuit à vous regarder dans les yeux.
KOUGNONBAF
Par quelle question voulez-vous que je commence ?
ÉVA
Ne poussez pas trop loin l’opercule, Ottokar. Je suis furieuse.
KOUGNONBAF
Je me suis trompé sur toute la ligne. Cette fille est tout sauf une petite gourde. (à Éva) Je n’ai rien à vous dire.
ÉVA
Vous avez tort.
KOUGNONBAF
Vous pouvez me frapper pendant des heures, je ne parlerai pas.
ÉVA
J’ai des méthodes beaucoup moins barbares : il me suffit de vous fixer du regard jusqu’à ce que vous capituliez. C’est Lynda qui m’a appris ça.
KOUGNONBAF
D’accord ! d’accord ! Vous me faites subir une torture psychologique. Je vais parler.
ÉVA
J’écoute.
KOUGNONBAF
D’abord, pour la chèvre, je n’y suis pour rien. C’est Bifenbaf.
ÉVA
Ce n’est pas moi, c’est lui. Comme à l’école maternelle. Continuez.
KOUGNONBAF
C’est Bifenbaf qui a manigancé tout cela. D’ailleurs, il vous expliquera tout en détail quand vous l’aurez bien assaisonné. Bifenbaf, c’est un ambitieux sans scrupule, un traître, un Ganelon. Il veut profiter de l’absence de la reine pour s’approcher du pouvoir, le lâche. Pour assurer la réussite de son plan diabolique, il s’est assuré l’aide du diable. Et la sorcière lui a demandé de la viande fraîche pour l’offrir à la « Toute-puissance », comme elle dit.
ÉVA
C’est pourtant vous qui teniez la chèvre en laisse.
KOUGNONBAF
Ce n’est pas moi, je le jure, sur la tête de ma mère. Bifenbaf, il ne s’en sortait pas avec la chèvre, elle lui donnait des coups de cornes. Alors, il m’a laissé m’en débrouiller.
ÉVA
Et je vais devoir avaler ça !
KOUGNONBAF
C’est la vérité. Un Kougnonbaf ne ment jamais.
ÉVA
Nous en reparlerons.
KOUGNONBAF
Bon, eh bien !… J’apprécie beaucoup votre compagnie, mais il est temps que je m’en aille.
ÉVA
Vous n’allez pas me quitter ainsi. Vous n’avez pas répondu à ma seconde question.
KOUGNONBAF
Oh ! Altesse ! Si nos éclats de voix vous ont offensée, je vous en demande pardon. Je dois partir, à présent.
ÉVA
Vous allez rester ici, et vous allez parler. Je veux savoir la cause de votre altercation.
KOUGNONBAF
Oserai-je vous l’avouer ?
ÉVA
C’est dans votre intérêt.
KOUGNONBAF
Je n’ose.
ÉVA
Regardez-moi en face !
KOUGNONBAF
C’est bon, c’est bon. Cessez le feu, je me rends.
ÉVA
Alors ?
KOUGNONBAF
C’est Bifenbaf qui a commencé.
ÉVA
Mais voyons !
KOUGNONBAF
Bifenbaf, ce maraud, ce pendard, ce gredin, ce sacripant, cette fripouille, ce scélérat…
ÉVA
Passons sur ses titres de noblesse et entrons dans le vif du sujet.
KOUGNONBAF
Bifenbaf, ce vaurien, ce va-nu-pieds, ce roturier, ce… Il a eu l’outrecuidance, Votre Altesse, de vous qualifier de qualificatifs inqualifiables.
ÉVA
Qu’a-t-il dit de moi ?
KOUGNONBAF
Altesse, je n’oserai le redire.
ÉVA
Osez.
KOUGNONBAF
Il vous a traité de… de petite gourde.
ÉVA
De petite gourde ?
KOUGNONBAF
De petite gourde. Pouvais-je tolérer cet outrage à Votre Altesse ? Mon sang s’est mis à bouillir. J’ai exigé qu’il vous présente des excuses, mais il a refusé, alors j’ai élevé la voix, et nous étions sur le point de nous battre en duel lorsque vous êtes intervenue.
ÉVA
Mais, marquis, Bifenbaf a le droit de penser de moi ce qu’il veut. Vous vous êtes mis en colère pour bien peu de choses et vous avez risqué votre vie pour moi.
KOUGNONBAF
Risqué ma vie ? Le terme est un peu fort. Je vous aurais découpé cette espèce de gros saucisson en fines rondelles avant qu’il ait tiré son rasoir du fourreau.
ÉVA
Sans aucun doute, mais tirer l’épée pour moi…
KOUGNONBAF
Je…
ÉVA
Vous me semblez embarrassé.
KOUGNONBAF
Comment vous dire ?…
ÉVA
Détendez-vous !
KOUGNONBAF
Eh bien ! Tant pis. Traitez-moi comme il vous plaira, mais je vais tout vous dire. Si ces paroles m’ont rempli d’une telle fureur, c’est que… c’est que… Ne devinez-vous pas ?
ÉVA
Non.
KOUGNONBAF
Éva, ma jolie princesse, jamais je n’ai eu le courage d’avouer mes sentiments. Il a fallu que je capitule sous la menace de vos beaux yeux. Éva, si j’étais prêt à tuer pour vous, c’est parce que je vous aime.
ÉVA
Oh ! marquis ! Je suis abasourdie… Si j’avais pensé…
KOUGNONBAF
Vous ne me chassez pas ?
ÉVA
Oh ! Non, cher marquis.
KOUGNONBAF
Éva, vous êtes la plus grande femme du royaume, après la Reine, et je ne suis qu’un méprisable hobereau de province. Pousserai-je ma folie jusqu’au bout ? Aurai-je la témérité de demander votre main ?
ÉVA
Poussez, marquis, poussez. Demeurez fou et téméraire.
KOUGNONBAF (à part)
Voilà qui est bien enveloppé. Tout bien pesé, je ne m’étais pas trompé. Cette fille n’est vraiment qu’une pauvre petite gourde. Bien ! Je te l’ai ligotée comme il faut, Elvire va maintenant couper les griffes et briser les dents de ma tigresse. La voie est libre. Bientôt je serai roi, ce qui est pour moi un bon début. Sitôt parvenu sur le trône, je m’autoproclamerai empereur.
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