Chapitre XXVII - Si vis pacem para bellum
Wilbur gisait, étalé, face contre terre. Axel et Éliséa posaient chacun le pied sur une de ses épaules et se frappaient victorieusement dans les mains.
« Comme tu me l’as tamponné ! dit la reine.
– Et toi, répondit le roi, tu vas lui laisser de bons souvenirs. Regarde un peu ses joues ! Ce ne sont plus même des tomates, ce sont des aubergines. »
Le roi fit appeler la garde :
« Enlevez-moi cette viande amorphe et jetez-la au cachot. Je veux qu’il soit pendu demain à l’aube.
– Non, intervint la reine, pas maintenant.
– Mais pourquoi ? Le gibet qu’il avait fait dresser pour ton cousin n’attend plus que lui.
– Il ne doit pas mourir avant d’avoir vu l’effondrement de ses plans ignobles. »
Axel ne répondit rien. Il s’affaissa sur son divan, tenant sa tête dans les mains, en proie à un soudain découragement.
« Qu’ai-je fait ? Mon Dieu, qu’ai-je fait ? Pardonne-moi, Éliséa.
– Mais, je t’ai déjà pardonné. Tu le sais bien.
– Tu ne comprends donc pas. J’étais sous le charme de cette femme. Et quand je pense qu’on voulait me la faire épouser ! Pauvre Aristote ! J’ai signé la condamnation de ton peuple, et je l’ai scellée de mon sceau. Et quand le roi a scellé un décret, il ne peut être révoqué. Que faire ? Que faire ?
– Prier. Nous allons prier. Je crois fermement que Dieu nous indiquera la solution.
– Tu as raison, allons voir le veau. Il nous donnera bien quelque vision dans son disque d’or.
– Il est bien question de ce veau. Tu vas te mettre à genoux ici et maintenant. Ce n’est pas parce que je te pardonne que tu ne dois pas demander pardon à Dieu.
– Mais, la statue…
– Quand il t’aura répondu, tu me feras le plaisir de la fondre, et avec l’or que tu vas en tirer, tu achèteras du blé pour le distribuer aux pauvres, et le peuple saura que tu es un bon roi.
– Cela fait déjà longtemps que tu me parles de ce Dieu invisible. Tu as accepté le risque d’être bannie et même de mourir pour lui. Tu as certainement raison : mon veau n’est qu’un bibelot en or, mais ton Dieu est plus grand.
– Alors, invoquons-le.
– Je n’ai pas l’habitude, prier devant un Dieu qu’on ne voit pas. Il faudra que tu m’aides.
– Commençons par nous mettre à genoux. »
Les deux époux s’agenouillèrent donc. Éliséa tenait la main de son homme.
« Répète après moi. Ce sera plus facile. »
Un long moment de spiritualité. Enfin, à court de mots, Éliséa et Axel se redressèrent.
« Je ne comprends pas ce qui m’arrive, dit-il. Pendant que nous étions en prière, j’ai vu défiler toutes mes fautes passées, et je crois qu’il me les a pardonnées. C’est comme si j’étais rentré dans le sein de ma mère pour naître de nouveau. Le vieil Axel est mort. Je suis une tout autre créature. Les choses anciennes sont passées, pour moi, toutes choses sont devenues nouvelles. Un énorme joug est tombé de mon cou. »
Ils s’étreignirent longuement. Éliséa pleurait sur l’épaule de son mari.
« T’a-t-il donné la solution ?
– Oui, il me l’a donnée, mais il n’a pas promis la facilité. Wilbur vaincu, mort ou captif, ses partisans voudront le venger de toute manière. Nous ne pourrons pas empêcher ses ennemis d’agresser ton peuple, mais nous pourrons lui donner les moyens de se défendre. Je vais signer une nouvelle loi : au jour convenu pour le massacre, c’est-à-dire dans trois semaines, les Abrahamites auront le droit de tuer leurs ennemis.
– C’est donc la guerre.
– Qu’y pouvons-nous ?
– Et que ferons-nous de Sabriana ?
– Son cas ne sera pas facile à régler. La jeter en prison ? La pendre au même gibet que son prince ? N’oublions pas qu’elle est la fille du roi de Courlandie. Il nous enverra son armée et nous aurons deux guerres sur les bras, dont une guerre civile.
– Laisse-la donc. Je prendrai la tête de l’armée de mon peuple. Tu n’es pas Abrahamite et ce n’est pas ton affaire. Quant à cette mégère, elle prendra la place de Wilbur à la tête de son armée, et nous réglerons nos comptes entre filles. »
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