15. On se barbe à l’église
Le premier jour de la semaine, nous étions réunis pour rompre le pain. Paul, qui devait partir le lendemain, s’entretenait avec les disciples, et il prolongea son discours jusqu’à minuit. Il y avait beaucoup de lampes dans la chambre haute où nous étions assemblés. Or, un jeune homme nommé Eutychus, qui était assis sur la fenêtre, s’endormit profondément pendant le long discours de Paul ; entraîné par le sommeil, il tomba du troisième étage en bas, et il fut relevé mort. Mais Paul, étant descendu, se pencha sur lui et le prit dans ses bras, en disant : Ne vous troublez pas, car son âme est en lui. Quand il fut remonté, il rompit le pain et mangea, et il parla longtemps encore jusqu’au jour. Après quoi il partit.
Actes 20.7/11
Paul et ses compagnons font route de ville en ville pour apporter le message du salut. Ils font étape à Troas, ville d’Asie mineure dont il ne reste aujourd’hui que des ruines, et dont l’emplacement avoisine l’antique cité de Troie. Paul est donc invité, ce dimanche soir à prêcher dans une église, ou plutôt dans une maison, car en ces temps-là, les églises n’avaient pas de clocher. Les chrétiens se réunissaient tout simplement chez l’un des leurs, dans la chambre haute, sorte de grenier spacieux pouvant loger toute l’assemblée.
En ce temps-là, on ne s’encombrait pas de liturgies ni de convenances ; on commençait le culte quand tous les participants étaient réunis et l’on terminait quand on avait fini. Quant à son déroulement, il n’était guère différent de nos célébrations évangéliques : on chantait des cantiques, un moment était réservé à l’adoration, un autre à la prédication, un autre, enfin à la « fraction du pain ». Il ne s’agit pas d’eucharistie, car ni les apôtres ni les premiers chrétiens ne croyaient que le pain et le vin de la cène se transformaient miraculeusement en corps et en sang du Christ ; ils se conformaient tout simplement à l’enseignement de Jésus.
Car j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai enseigné ; c’est que le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain, et, après avoir rendu grâces, le rompit, et dit : Ceci est mon corps, qui est rompu pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. De même, après avoir soupé, il prit la coupe, et dit : Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang ; faites ceci en mémoire de moi toutes les fois que vous en boirez. Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. C’est pourquoi celui qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur indignement, sera coupable envers le corps et le sang du Seigneur.
1 Corinthiens 11.23/25
Les versets précédents me laissent supposer que les premiers chrétiens ne se contentaient pas comme aujourd’hui de faire circuler une coupe dans les rangs, et de partager quelques morceaux de pain azyme, mais qu’ils prenaient ensemble un véritable repas. Les abus de certains « pique-assiettes » ont d’ailleurs valu aux chrétiens de Corinthe des réprimandes de l’apôtre Paul.
Ces chrétiens n’avaient pas les mêmes impératifs et contraintes que nos contemporains : ils prenaient leur temps pour chanter, pour louer le Seigneur, pour prêcher, pour manger.
Je me souviens d’une réunion du soir qui touchait à sa fin. Le pasteur se hasarda à proposer : « On a peut-être le temps de chanter un dernier cantique ? »
L’un des assistants regarda sa montre et déclara : « Il est neuf heures moins deux. »
Dans l’assistance se trouvaient des anciens, des ouvriers, des diacres, ou tout simplement des chrétiens qui avaient reconnu Jésus comme leur sauveur et désiraient lui rendre hommage. Parmi eux, un jeune homme nommé Eutychus assistait aussi aux réunions, probablement en tant que fils d’un chrétien ou d’une chrétienne engagée. Il suivait le mouvement.
Être « né dans l’église », avoir eu des parents chrétiens qui nous ont enseignés selon les valeurs de l’Évangile est un avantage, mais cela ne fait pas de nous des chrétiens, tant que l’on n’est pas soi-même « né de nouveau », selon l’expression du Seigneur (Jean 3.3). Tertullien disait : « On ne naît pas chrétien, on le devient. » En d’autres termes, Dieu a des enfants, pas de petits-enfants.
Certains parents ont – hélas – laissé à leurs enfants le souvenir de l’église comme un lieu ennuyeux où il fallait rester assis et silencieux pendant une heure et demie. Chaque enfant, chaque jeune homme ou jeune fille a besoins, pour lui ou elle-même, d’une expérience personnelle avec Jésus.
Eutychus regardait ces rassemblements dominicaux avec une certaine appréhension. On ne peut pas s’amuser dans ces réunions, il n’y a que des prêcheurs à barbe blanche. Il aurait certainement préféré passer la soirée avec des garçons et des filles de son âge, mais il ne voulait pas déplaire à la famille.
Certains ont un remède classique aux sermons rasoirs : ils repèrent un tic verbal de leur pasteur, des « n’est-ce pas ? » redondants, par exemple, et armés d’un Bic et d’un calepin, ils se livrent à un comptage minutieux. Après la réunion, ils vont quelquefois même trouver le prédicateur et lui dire : « Vous avez battu votre record, ce matin : cinquante-huit ! »
Eutychus n’en était plus à ces enfantillages, il avait adopté une méthode plus attrayante : au lieu de s’asseoir sur une chaise, comme tout le monde, il avait pris l’habitude de s’installer à califourchon sur la fenêtre ouverte, une jambe dedans, une jambe dehors.
D’une oreille, il écoutait les cantiques et les sermons, de l’autre il écoutait les bruits de la rue. Il observait les gens qui allaient et venaient, il regardait passer les filles. Pas besoin de jeux vidéo !
Beaucoup de gens qui fréquentent les lieux de culte, quel que soit leur âge, lui ressemblent : une jambe dans l’église, une jambe dans le monde. Simples assistants, quelquefois assistés, ils ne s’engagent pas.
Nous comprenons très vite le danger d’une telle position. Qu’il s’agisse de notre équilibre physique ou spirituel, il est préférable de veiller à maintenir le centre de gravité au-dessus de la moquette.
La réunion se prolonge, elle va durer jusqu’à minuit.
« Qu’il est long ce Paul ! Mais il ne va donc jamais s’arrêter ! »
Un pasteur avait invité, un dimanche matin, un de ses collègues qui avait la réputation de prêcher longtemps. Il lui donna la parole en ces termes :
« Sens-toi libre au milieu de nous, mon frère, tu peux prêcher aussi longtemps que tu veux, et le soir, quand tu auras fini de parler, n’oublie pas d’éteindre les lumières. »
Les heures s’écoulaient, la parole de Dieu ne produisait aucun effet dans le cœur du jeune garçon. L’indifférence finit par engendrer l’assoupissement.
Si notre cœur est partagé entre l’amour de Dieu et celui du monde, si nous ne prenons pas position pour ou contre lui, nous serons repris par le monde, en dépit de nos apparences chrétiennes. Nous sommes endormis par les séductions et les vanités de ce siècle et finalement, nous sombrons, non pas dans les bras de Morphée, mais dans ceux du malin.
Tous ceux qui conduisent savent combien il peut être préjudiciable de s’endormir ailleurs que dans son lit. Eutychus est endormi, et il tombe. Il se serait fait moins mal en tombant du côté de la salle. Mais, hélas, il tombe du troisième étage dans la rue, et il se tue.
Ce tragique accident est riche en enseignements spirituels. Si Dieu a aimé le monde au point de lui offrir son fils unique, le diable hait l’humanité et veut, par toutes sortes de séductions, le retenir sous sa domination et le priver du salut offert gratuitement par Jésus-Christ. Il lui fait miroiter toutes sortes de vanités : gloire, argent, plaisirs. Il les endort, et les attire vers le bas. C’est la chute.
C’est ainsi que nos premiers parents ont été séduits, anesthésiés et entraînés vers la mort. Finalement, dans leur engourdissement, ils ont oublié l’accord qu’ils avaient conclu avec le Créateur :
Mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras.
Genèse 2.17
Ils avaient aussi oublié l’avertissement de Dieu : « Le jour où tu en mangeras, tu mourras. » Remarquons au passage qu’il n’a jamais été question d’une « pomme ». En mangeant ce fruit, Ève et Adam avaient simplement désobéi. Désobéir à Dieu s’appelle pécher :
Car le salaire du péché, c’est la mort.
Romains 6.23a
Sans doute êtes-vous indignés par de telles paroles. Eutychus n’a certainement rien fait de bien méchant, il a bien le droit de s’amuser comme tous les garçons de son âge. Et puis, il faut bien que jeunesse se passe.
C’est vrai.
Mais la Bible déclare qu’être pécheur, ce n’est pas seulement avoir tué, volé, être grand buveur ou grand fornicateur. Être pécheur, c’est vivre sans Dieu, même avec de bons principes moraux. C’est pourquoi aucun homme ne peut s’exclure de cette catégorie.
Je vous laisse imaginer l’émotion de l’assistance au bruit de la chute. Même ceux qui dormaient profondément sur leur chaise pendant l’interminable prédication de l’apôtre Paul se sont réveillés en sursaut.
Tout le monde se précipite en bas, dans la rue, bien que la nuit soit avancée, des passants s’attroupent auprès du corps du jeune homme.
« Plus rien à faire : il est mort. »
C’est alors que l’apôtre se montre tel qu’il est réellement : non pas seulement un prêcheur de sermons, mais un serviteur de Dieu totalement rempli de l’Esprit du Tout-Puissant.
Il écarte la rangée humaine, se penche vers le jeune homme, le saisit dans ses bras au milieu des badauds émus, des chrétiens bouleversés et des parents éplorés, Paul prononce ces paroles rassurantes :
Ne vous troublez pas, car son âme est en lui. (vs 10 b)
Ces mots qui réchauffent et consolent nous rappellent ceux de Jésus, face à Jaïrus dont la petite fille de douze ans était étendue sur le lit mortuaire et dont les funérailles avaient déjà commencé :
Pourquoi faites-vous du bruit, et pourquoi pleurez-vous ? L’enfant n’est pas morte, mais elle dort.
Marc 5.39
Cette étreinte de résurrection nous rappelle aussi l’attitude de deux prophètes face aux mêmes circonstances, devant la mort d’un enfant ; alors que les hommes disent : « Dieu est injuste ».
Voici ce que fit Élie, à Sarepta, quand le fils d’une femme qui l’avait hébergé et nourri mourut :
Et il s’étendit trois fois sur l’enfant, invoqua l’Éternel, et dit : Éternel, mon Dieu, je t’en prie, que l’âme de cet enfant revienne au-dedans de lui ! L’Éternel écouta la voix d’Élie, et l’âme de l’enfant revint au-dedans de lui, et il fut rendu à la vie.
1 Rois 17.21/22
Voici ce que fit son disciple Élisée à l’enfant d’une femme Sunamite, emporté par la maladie (probablement la méningite) :
Il monta, et se coucha sur l’enfant ; il mit sa bouche sur sa bouche, ses yeux sur ses yeux, ses mains sur ses mains, et il s’étendit sur lui. Et la chair de l’enfant se réchauffa. Élisée s’éloigna, alla çà et là par la maison, puis remonta et s’étendit sur l’enfant. Et l’enfant éternua sept fois, et il ouvrit les yeux.
2 Rois 4.34/35
À peine Paul eut-il parlé que la vie reprit sa place dans le corps du jeune Eutychus. Paul remonta avec Eutychus ressuscité, reprit sa place et continua son discours :
« Nous disions, au verset 18, le prophète Jérémie… »
Ensuite, il partagea la sainte-cène avec ses frères et sœurs en Christ, puis il reprêcha toute la nuit. Enfin, à l’aube, le culte se termina par un dernier cantique et une action de grâces, et Paul prit congé, après avoir salué toute l’assistance d’un « saint baiser ».
Cette tranquillité de Paul au milieu de la tourmente nous rappelle aussi l’attitude de Jésus, dormant comme un bienheureux sur un frêle esquif prêt à chavirer, alors que ses disciples étaient verts comme de petits martiens ; lisons plutôt :
Ce même jour, sur le soir, Jésus leur dit : Passons à l’autre bord. Après avoir renvoyé la foule, ils l’emmenèrent dans la barque où il se trouvait ; il y avait aussi d’autres barques avec lui. Il s’éleva un grand tourbillon, et les flots se jetaient dans la barque, au point qu’elle se remplissait déjà. Et lui, il dormait à la poupe sur le coussin. Ils le réveillèrent, et lui dirent : Maître, ne t’inquiètes-tu pas de ce que nous périssons ? S’étant réveillé, il menaça le vent, et dit à la mer : Silence ! Tais-toi ! Et le vent cessa, et il y eut un grand calme.
Marc 4.35/39
Jésus avait ce pouvoir sur les éléments déchaînés, sur les démons et sur la mort. Aucun ne pouvait lui résister. Ce Jésus que Paul proclamait insatiablement n’avait-il pas déclaré, face aux amies éplorées dont il allait ressusciter le frère Lazare :
Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort.
Jean 11.25
La résurrection d’Eutychus, comme celle de Lazare n’est-elle pas une preuve de l’amour immense de Jésus pour l’homme qu’il veut sauver ?
Jésus a montré le chemin de la vie après être lui-même ressuscité. Quel coup fatal il a porté à la mort qui se croyait invincible !
Car le salaire du péché, c’est la mort ; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle en Jésus-Christ notre Seigneur.
Romains 6.23
Ce Jésus qui pour Eutychus avait été le sujet des sempiternels sermons qu’il subissait à longueur de dimanche était maintenant devenu son sauveur, celui qui l’avait fait entrer dans la dimension de l’éternité, qui avait fait de lui une nouvelle créature.
Vous étiez morts par vos offenses et par vos péchés, dans lesquels vous marchiez autrefois, selon le train de ce monde, selon le prince de la puissance de l’air, de l’esprit qui agit maintenant dans les fils de la rébellion. Nous tous aussi, nous étions de leur nombre, et nous vivions autrefois selon les convoitises de notre chair, accomplissant les volontés de la chair et de nos pensées, et nous étions par nature des enfants de colère, comme les autres... Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions morts par nos offenses, nous a rendus à la vie avec Christ (c’est par grâce que vous êtes sauvés) ; Il nous a ressuscités ensemble, et nous a fait asseoir ensemble dans les lieux célestes, en Jésus-Christ, afin de montrer dans les siècles à venir l’infinie richesse de sa grâce par sa bonté envers nous en Jésus-Christ.
Éphésiens 2.1/7
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