Chapitre XVI - Bonjour la déprime !
Vous avez certainement remarqué que dans cette histoire, il est beaucoup plus question de la reine que du roi. C’est que le roi mène tranquillement sa petite vie de roi sans déranger personne.
Le roi est très amoureux de sa reine. Celle-ci peut venir le déranger en plein conseil, même quand les parlementaires se lancent des dossiers à la tête. Il se lève, s’agenouille devant elle, lui saisis les deux mains et les baise tendrement, sans plus s’occuper d’ennuyeux débats. Il l’aime tant !
Concernant le couple de Wilbur, c’est une autre romance. Son épouse n’a rien perdu de sa beauté, mais sa beauté a perdu son éclat. Elle ne se coiffe plus, ne s’habille plus, se nettoie quand elle y pense. Elle reste des heures assise, le regard vide, devant l’idole, attendant vainement qu’elle lui donne quelque signe. Quant aux championnats de trampoline sur le lit, Wilbur peut y faire une croix.
Du même coup, le prince orgueilleux se laisse, lui aussi, entraîner dans la mélancolie. Quel joyeux ménage que ces deux-là !
Wilbur ne craint plus le diable, sa charmante moitié l’a initié aux grimoires et à leur interprétation. Elle lui a appris des jeux très amusants, consistant par exemple, à déplacer des assiettes ou tordre des cuillers, seulement en les regardant. Elle a su calmer sa conscience en lui expliquant bien que, tant qu’on en faisait des plaisanteries pour divertir les convives, la magie n’était pas méchante. Tant qu’on ne s’en servait pas pour tuer les gens, il n’y avait pas de mal.
Ainsi, pour tuer l’ennui, le prince jouait au petit alchimiste, il avait un petit réchaud, une petite cornue, de petites fioles, et il s’amusait à changer l’eau en vin. Malheureusement, il n’a jamais réussi à produire du Château Pomargaux, c’était tout simplement quelques paillettes violettes dont il saupoudrait le fond du ballon. Son sommelier a voulu y goûter, il en est mort. Sabriana lui avait promis de lui apprendre à faire parler les morts en soulevant des guéridons, mais, hélas ! elle n’est plus capable de lui enseigner quoi que ce soit.
L’ennui, avec la magie, c’est qu’à l’insu de sa conscience, elle exacerbait les aspects négatifs de son caractère. Nous avons déjà dit qu’il ne se prenait pas pour une petite flaque d’urine de mouche, il ne tarda pas à se prendre pour plus qu’un homme ? Et qu’y a-t-il de plus élevé qu’un homme, si ce n’est un dieu ?
Pour soulager sa mélancolie, sachant qu’il ne lui fallait pas compter sur sa femme pour lui remonter le moral, il aimait se promener en ville, surtout le jour de marché, il y rencontrait du monde. Les braves gens le saluaient poliment :
« Bonjour Prince. La princesse se porte-t-elle bien ?
– Ma foi, la princesse se porte sur ses deux jambes.
– Saluez-la bien de ma part.
– Je n’y manquerai pas. »
Sa petite escapade s’achevait généralement par l’échoppe de Maurice.
« Bonjour, Votre Altesse.
– Bonjour, menuisier, vos planches se portent-elles bien ?
– Ma foi, Votre Altesse, mes planches se portent comme un charme, ce qui n’a rien d’étonnant, puisque c’est du charme. Tout est local, le bois me vient directement de la forêt d’Engartot. Maintenant qu’il n’y a plus de sorcière dans le coin, les bûcherons n’ont plus peur d’y aller bûcheronner.
– Je vois, cette diablesse rousse dont on nous faisait tout un plat.
– Et Son Altesse la princesse Sabriana se porte-t-elle bien ?
– J’aurais aimé qu’elle se porte comme vos planches.
– Alors je prierai pour elle.
– Encore un mot : je vous appelle menuisier, pourquoi m’appelez-vous Altesse ?
– Si vous étiez toujours palefrenier, je vous appellerais palefrenier, mais à présent vous êtes prince, alors je vous appelle Altesse ; c’est bien ainsi qu’il faut s’adresser à un prince, n’est-ce pas ?
– Cette réponse pleine de sagesse mérite une récompense. Je vous ferai nommer baron, ou vicomte. C’est vous qui choisissez.
– Choisir entre baron et vicomte ? Mais je ne souhaite devenir ni l’un ni l’autre. Je ne tiens pas à ce qu’on m’appelle Monsieur du Menuisier. Je suis heureux tel que je suis.
– Vous ne voulez donc pas fréquenter les beaux messieurs et les belles dames de la cour. C’est dommage. Enfin ! Si vous changez d’avis, faites-moi signe. »
C’est avec satisfaction que le prince franchissait les portes du palais. Parmi les gens du peuple, Maurice était le seul qui l’appelait Votre Altesse, ce qui le rendait fort sympathique à ses yeux.
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