Chapitre XIX - Maurice non plus
C’est jour de marché à Séquania, et de plus, il fait beau. La population, entre emplettes et promenade, s’agglomère près d’un chêne imposant sur le tronc duquel est cloué un placard. Les lecteurs réagissent avec des manifestations de mécontentement. Curieux, Maurice, le menuisier s’approche et lit :
« Avis à la population.
Par décret royal, à dater du premier du mois suivant cet avis, il est décidé qu’au passage de Son Altesse le prince Wilbur, seigneurs et manants devront se prosterner, les genoux et les deux mains à terre et crier à haute voix : gloire et honneur au prince Wilbur.
Par ailleurs, et par décision de Son Altesse le prince Wilbur, chaque citoyen devra prouver sa dévotion au dieu vivant et visible en plaçant sa statue devant sa porte chaque jour de huit heures à midi. »
« Ça mon petit père, murmura Maurice, Altesse ou pas, tu peux toujours te gratter. »
Les jours s’écoulaient, le menuisier observait en silence les comportements de ses concitoyens. Les moutons serviles, dès la proclamation exhibent leur idole sur le pas de la porte et se plongent les mains dans la poussière au passage de Wilbur qui, comme nous l’avons remarqué, aime les bains de foule. Les brebis réticentes, au contraire, ont décidé d’attendre d’y être contraintes au moment fatidique.
Le temps passe vite. La veille du grand jour, Wilbur, tout excité, effectue sa petite promenade en ville. Il considère avec joie ceux qui sont les plus prompts à obéir, les autres restent debout et le privent du « bonjour Prince » habituel et détournent les regards avec dédain. Le visage de l’orgueilleux s’assombrit.
« Ces manants osent me braver. Demain il faudra bien qu’ils plient ou qu’ils se rompent. »
Ayant bouclé sa tournée, il se dirigea vers l’échoppe du menuisier, celui-ci, selon son habitude le salue respectueusement.
« Alors, mon jeune ami, vous sentez-vous prêt ?
– Prêt à quoi ?
– Mais, vous le savez bien. Prêt à m’adorer demain comme l’être suprême après Dieu et après le roi.
– Demain sera un autre jour.
– Au moins, vous n’oublierez pas de sortir votre veau.
– Mon veau ? Qu’ai-je à faire d’un veau ?
– Comment ? Je vous parle de cette image du dieu que vous devez adorer.
– Je n’adore ni veau, ni vache, ni cochon, ni couvée.
– L’homme au rabot fait de l’esprit. Mais je n’ai plus envie de rire. Demain matin, je repasserai dans le quartier, je veux voir le veau dehors, ainsi que je l’ai ordonné, et je veux vous voir à quatre pattes, sinon : adieu notre amitié.
– Moi ? Votre ami ? Rayez cela de vos papiers. »
Wilbur s’éloigna, fort mécontent.
Quelques rues plus loin, Éliséa s’ennuie dans son petit studio. En accord avec elle, Maurice s’abstient de lui rendre visite, craignant qu’une rumeur mal intentionnée fasse de lui l’amant de la reine. Heureusement, le roi Axel, toujours amoureux en dépit des circonstances, la fait appeler chaque soir. Elle retourne chez elle après le petit déjeuner.
Ce quotidien se répéta durant deux semaines. Le quinzième jour, il ne l’appela pas. La jeune épouse en fut très contrariée. Il ne l’appela auprès d’elle, ni le lendemain, ni le surlendemain.
« Il serait malade. Mais pourquoi ne le dit-il pas ? »
Le septième jour, au comble de l’inquiétude, elle se rendit sous la colonnade. Le roi était bien en vie, mais il ne lui tendit pas son sceptre. Elle retourna chez elle en pleurant.
Elle pria.
Qu’est-il donc arrivé à ce pauvre roi ?
Le charme occulte de la perverse épouse de Wilbur s’opérait, non seulement sur la vie politique du jeune roi, mais encore sur sa vie affective. Privé momentanément de la compagnie de sa reine, du moins dans la journée, il avait trouvé, bien malgré lui, en la personne de Sabriana, un moyen de faire passer son ennui. Celle-ci le poursuivait de petits soins et de cajoleries, si bien que la pauvre victime ne tarda pas, comme son père, à tomber tout rôti dans le lit de l’intrigante. Ce soir-là, pourtant, malgré l’irrésistible beauté de sa partenaire, il eut ce qu’il conviendrait d’appeler une panne de virilité, si bien que l’adultère ne fut pas consommé. Vexée comme pas une, la fatale princesse quitta la chambre, le traitant de limace, de vieille pieuvre, d’holothurie, et regagna le lit de son légitime époux qui ne s’était pas même aperçu de son absence.
Depuis cet échec, Sabriana regarde son souverain avec un profond mépris, refusant de lui adresser la parole. Axel a gagné une telle honte de cette incartade qu’il n’ose pas même rappeler Éliséa, se jugeant indigne d’elle.
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