22. Agrandissez votre territoire
Les fils de Joseph parlèrent à Josué, et dirent : « Pourquoi nous as-tu donné en héritage un seul lot, une seule part, tandis que nous formons un peuple nombreux et que l’Éternel nous a bénis jusqu’à présent ? » Josué leur dit : « Si vous êtes un peuple nombreux, montez à la forêt, et vous l’abattrez pour vous y faire de la place dans le pays des Phéréziens et des Rephaïm, puisque la montagne d’Ephraïm est trop étroite pour vous. » Les fils de Joseph dirent : « La montagne ne nous suffira pas, et il y a des chars de fer chez tous les Cananéens qui habitent la vallée, chez ceux qui sont à Beth–Schean et dans les villes de son ressort, et chez ceux qui sont dans la vallée de Jizreel. » Josué dit à la maison de Joseph, à Ephraïm et à Manassé : « Vous êtes un peuple nombreux, et votre force est grande, vous n’aurez pas un simple lot. Mais vous aurez la montagne, car c’est une forêt que vous abattrez et dont les issues seront à vous, et vous chasserez les Cananéens, malgré leurs chars de fer et malgré leur force. »
Josué 17.14/18
Enfin l’écurie !
Quel plaisir, après un long et pénible voyage, de retrouver enfin ses chers pénates !
Il faut dire que le voyage des israélites dans le désert n’avait rien d’un voyage organisé. Parce qu’ils ont manqué de foi et ont eu peur des Cananéens qui habitaient le pays, cette entrée en terre promise leur avait été une première fois refusée. Après quarante années de pérégrinations et d’épreuve, ils peuvent enfin pénétrer dans le pays promis.
Le temps n’est cependant pas encore venu d’enfiler les charentaises. Il y a du terrain à défricher, mais il y a surtout des batailles à gagner. Les Cananéens dont la génération précédente avait tant soit peu exagéré la force et la taille, étaient néanmoins présents, et peu enclins à laisser la place au peuple de Dieu. Le livre de Josué nous explique les détails de cette conquête.
Enfin, le pays est gagné, le drapeau est planté. Il faudra maintenant partager le pays en dix provinces qui seront attribuées à chacune des dix tribus d’Israël. Je dis bien dix, et non douze, puisque deux d’entre elles, Gad et Ruben ont décidé de demeurer à l’extérieur.
Sitôt le gâteau cuit, il faut le partager, et c’est là que les problèmes commencent.
Et pourquoi ta part est-elle plus grosse que la mienne ? Il faut se munir d’un rapporteur d’angles et d’un compas pour éviter les jalousies, et plus les convives sont nombreux, plus le partage est difficile. En l’occurrence, dix familles d’Israël vont découper la pizza de Canaan.
Les plus mécontents sont les deux tribus issues de Joseph, c’est-à-dire Ephraïm et Manassé.
Ça ne va pas du tout, Josué ! Nous sommes un peuple nombreux, l’Éternel nous a bénis, nous voulons encore nous agrandir, et tu ne donnes à chacun de nous qu’une toute petite part de rien du tout. Et regarde Juda ! Eux ils ont un bon tiers du pays pour eux tout seuls. Tu veux savoir ce qu’on en pense ? Eh bien ! Tu fais du favoritisme ! Voilà !
Cela me rappelle les conversations que j’entends tous les matins dans les travées de la distribution :
« Ta tournée est plus petite que la mienne !
– Ce n’est pas vrai !
– Regarde mes cases. Elles sont plus pleines que les tiennes. Tu as une tournée de femme enceinte !
– J’ai moins de volume, mais plus de kilomètres. J’ai peut-être une tournée de manchot, mais pas d’unijambiste. »
Et nous ? Berger, chien ou brebis de l’assemblée du Seigneur ? De quel clan sommes-nous ? D’Ephraïm ou de Manassé ? Car, ne le nions pas, nous nous sentons souvent lésés dans la part que nous avons reçue. Entre le ministère dont je rêvais à l’école biblique et celui que Dieu m’a donné, la marge est large. Mais j’ai appris à m’en satisfaire.
Et d’ailleurs, pourquoi sommes-nous une petite église ? Qu’est-ce que le Seigneur attend pour envoyer le réveil ?
Ce ne sont pas les excuses qui manquent :
- D’abord le terrain est trop dur ici.
Trop de catholicisme. Trop d’occultisme dans les campagnes. Trop de ceci, trop de cela…
Sous prétexte que notre vision est limitée, nous pourrions nous autoriser à limiter Dieu. Il ne peut pas intervenir dans notre région. Pourquoi ne nous a-t-il pas envoyé deux cents kilomètres plus au sud ?
- Ensuite la ville est trop petite.
Évidemment ! Dans une agglomération de 6000 habitants, on ne peut pas avoir une église de 10 000 membres !
C’est vrai, notre foi est souvent proportionnelle aux statistiques.
Paris compte plusieurs centaines d’églises de toutes obédiences, mais les petites villes n’ont-elles pas le droit, elles aussi, de compter plusieurs communautés, correspondant à des sensibilités spirituelles différentes ?
En vacances dans les Boutières, je suis descendu un dimanche avec ma famille visiter à Lamastre une église libre. Après le culte, nous avons eu une conversation avec le pasteur : « Dans cette ville de quatre mille habitants, nous disait-il, il y a une église réformée, une église darbyste, une église pentecôtiste, et enfin nous-mêmes, et tous ces gens s’entendent très bien. »
Ce gros village est-il une exception à la loi du Far West ?
« Cette ville est trop petite pour nous deux, Lucky Luke, dégaine ! »
Revenons au pays de Canaan.
Josué donne une réponse directe aux revendications :
« Vous êtes à l’étroit ? Eh bien ! Vous n’avez qu’à faire de la place.
– Oui, mais comment ?
– Avec une hache. »
J’appartiens à la génération à laquelle on a lavé le cerveau avec le même message : « Il faut à tout prix faire avancer la civilisation industrielle, quitte à bousiller la planète ». On nous a rempli la tête d’un auteur qui abondait dans cette idéologie : André Maurois. Dictée extraite des œuvres d’André Maurois. Rédaction : « Commentez cette phrase d’André Maurois. » Grammaire : « Dans cette phrase d’André Maurois, où se trouve le complément d’objet direct ? »
Sans oublier ces beaux vers d’Alphonse de Lamartine qui ont révolté mon âme d’adolescent, alors que je rêvais de changer le monde :
« La caravane humaine un jour était campée
Dans des forêts bordant une rive escarpée
Et ne pouvant pousser sa route plus avant
Les chênes l’abritaient du soleil et du vent… »
Il fallait absolument que l’humanité poursuive sa route, ce qu’elle n’a pu faire qu’en détruisant la forêt pour construire un pont.
La solution de Josué, elle non plus, n’était pas très écologique : pourtant les forêts d’autrefois n’avaient rien de commun avec celle de Fontainebleau. C’était un espace inutile, mais aussi inculte et dangereux. Non seulement il n’y poussait pas de blé, mais c’est dans la forêt qu’on risquait d’être attaqué par des bêtes féroces ou des brigands.
J’étais il y a peu de temps en République tchèque où l’on nous a recommandé, si nous nous promenions en forêt, de ne pas nous écarter des chemins balisés. Nous pourrions dans le cas contraire rapporter des tiques qui peuvent provoquer chez l’homme des maladies graves.
Dans notre contexte biblique, la forêt, c’est ce qui freine la croissance du peuple de Dieu.
Qu’est-ce qui empêche l’Église du Seigneur de grandir ?
Commençons par le découragement.
Les Israélites ont été découragés par les géants qui peuplaient la terre promise. Ne sommes-nous pas, quelquefois découragés par l’immensité de la tâche à accomplir ?
Toute l’assemblée éleva la voix et poussa des cris, et le peuple pleura pendant la nuit. Tous les enfants d’Israël murmurèrent contre Moïse et Aaron, et toute l’assemblée leur dit : » Que ne sommes-nous morts dans le pays d’Égypte, ou que ne sommes-nous morts dans ce désert ! Pourquoi l’Éternel nous fait-il aller dans ce pays, où nous tomberons par l’épée, où nos femmes et nos petits enfants deviendront une proie ? Ne vaut-il pas mieux pour nous retourner en Égypte ? » Et ils se dirent l’un à l’autre : « Nommons un chef, et retournons en Égypte. »
Nombres 14.1/4
Que peut faire une église avec un pasteur découragé ?
Que peut faire un pasteur avec une église découragée ?
Parlons aussi de nos exigences qualitatives.
Il nous arrive d’être des chrétiens difficiles. Nous implorons le Seigneur de nous accorder des âmes nouvelles et, parfois, souhaitons remplir notre église de chrétiens adultes et sans histoire.
Refuserons-nous l’accès de l’église locale aux « cas sociaux », aux sans-abri, à ceux qui ont des problèmes dans leur foyer ? Avons-nous établi dans notre église des calibres tellement serrés que même en rentrant le ventre, personne ne passe ? Oublions-nous que nous-mêmes y sommes entrés en y introduisant de pesants fardeaux ?
Jésus n’a-t-il pas déchiré les mailles de nos tamis lorsqu’il a réagi ainsi :
On lui amena des petits enfants, afin qu’il les touche. Mais les disciples reprirent ceux qui les amenaient. Jésus, voyant cela, fut indigné, et leur dit : « Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas ; car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent. »
Marc 10.13/14
Nous commençons par fabriquer deux cents prospectus, nous les distribuons et nous nous attendons à ce que cet effort soit récompensé par un réveil, mais personne ne vient aux réunions.
« Est-ce que ça vaut la peine de continuer ? »
Lorsque nous serons une grande église, nous aurons des moyens financiers, nous aurons un beau bâtiment, nous aurons des musiciens, nous aurons de belles chaises. Alors, nous pourrons commencer à travailler, nous ferons de l’évangélisation.
Mais si nous ne travaillons pas, comment l’église va-t-elle grandir ?
Fort heureusement, Dieu ne nous demande pas de commencer par nous équiper. Si nous en avons les moyens, nous le ferons pour sa gloire. Si nous n’en avons pas les moyens, le Seigneur utilisera le peu que nous avons et même ce que nous n’avons pas.
Je vous propose une petite expérience musicale : installez-vous conformément dans votre fauteuil, et écoutez la cinquième symphonie de Prokofiev. Je vous garantis que vous verrez un train traverser votre salon à toute vapeur.
Avez-vous déjà vu démarrer un train à vapeur ? Une bielle se met en mouvement. Les roues avancent d’un demi-tour. On a l’impression que le voyage va s’arrêter là, mais la locomotive avance à nouveau d’un demi-tour de roue, puis d’un tour entier. À cette vitesse-là, nous serons à Marseille dans six mois. Autant y aller à pied.
Il en est ainsi de la plupart des églises qui démarrent laborieusement. Une fois qu’elles sont lancées, rien ne peut les empêcher de grandir.
Alors il reprit et me dit : « C’est ici la parole que l’Éternel adresse à Zorobabel : Ce n’est ni par la puissance ni par la force, mais c’est par mon Esprit, dit l’Éternel des armées. Qui es-tu, grande montagne, devant Zorobabel ? Tu seras aplanie. Il posera la pierre principale au milieu des acclamations : Grâce, grâce pour elle ! » La parole de l’Éternel me fut adressée, en ces mots : « Les mains de Zorobabel ont fondé cette maison, et ses mains l’achèveront ; et tu sauras que l’Éternel des armées m’a envoyé vers vous. Car ceux qui méprisaient le jour des faibles commencements se réjouiront en voyant le niveau dans la main de Zorobabel. Ces sept sont les yeux de l’Éternel, qui parcourent toute la terre. »
Zacharie 4.6/10
Comme nous venons de le dire, la croissance ne se fait pas du jour au lendemain. Une automobile ne peut pas démarrer en cinquième vitesse. Il faut partir en première et au moment opportun, passer la seconde, puis la troisième, et ainsi de suite…
Et si nous avons tellement peur de caler que nous ne passons jamais la seconde… ?
On est bien dans notre petit groupe, c’est sympathique.
Et puis personne ne vient nous ennuyer. Nous ne risquons pas d’introduire des loups dans la bergerie. De plus, on ne peut pas nous accuser de faire du prosélytisme, vu que nous ne faisons pas d’évangélisation.
Démarrez avec un petit noyau présente des avantages, mais s’entêter à rester un petit noyau entraîne bien des problèmes. On s’observe, on focalise sur les défauts de l’autre, on ne se supporte plus.
Je connais sur ma tournée de facteur une maison habitée par un couple âgé. Il n’y a pas de boîte aux lettres, mais la porte est toujours ouverte et je dépose le courrier sur la table. Sur cette table, j’ai aussi découvert de quoi donner un infarctus à Brigitte Bardot : deux énormes poissons dans un minuscule bocal. Les petits poissons rouges engraissés aux daphnies ont grossi, mais leur espace vital n’a pas suivi l’évolution.
Pourvu que notre église ne ressemble jamais à cet aquarium, ou que le Seigneur me reprenne avant de le voir !
Le pays aurait dû être nettoyé des peuples de Canaan avant l’installation du peuple de Dieu, non par xénophobie, mais parce que ces peuples, qui offraient à leurs idoles des sacrifices humains, risquaient d’initier les Israélites à leurs pratiques monstrueuses. C’est ce qui s’est d’ailleurs produit, à maintes reprises, dans leur histoire.
Qui sont ces Cananéens qui menacent d’arrêter l’Église, une fois celle-ci en marche ?
D’abord la suffisance :
Nous avons accompli notre mission, nous avons atteint notre objectif.
– Quel objectif ?
– Nous avons un local de cinquante places et le dimanche, toutes les chaises sont occupées. S’il arrivait encore du monde, nous ne saurions plus où le mettre.
Le Seigneur Jésus nous a fixé un objectif :
Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait.
Matthieu 5.48
En plaçant la barre aussi haut, Jésus sait très bien que personne ici-bas n’atteindra le but.
Si nous avons une église de cinquante membres, il faudrait en théorie construire une salle de cent places. La vue des chaises vides à chaque culte nous rappellerait que le but est encore bien éloigné.
Ensuite, la baisse de consécration et de vigilance :
Quand nous ouvrons une œuvre nouvelle, l’immensité du travail à accomplir est évidente, puisque rien n’est fait. Tout le monde se mobilise. Lorsque l’église locale est bien implantée, on perd la notion de l’urgence. On a suffisamment travaillé, on a bien le droit de souffler un peu.
Et c’est pratique, quand les hasards de la mobilité nous conduisent dans une ville qui possède une église établie. Il n’y a plus qu’à s’asseoir.
Avez-vous d’ailleurs remarqué que la distance entre l’église mère et l’église fille est toujours plus longue qu’entre l’église fille et l’église mère ?
« On aimerait bien venir vous encourager, mais tout de même, c’est loin ! »
Quand on a le sentiment que les moments les plus difficiles sont derrière nous, il est naturel de baisser un peu la garde. L’ennemi profite naturellement de cette baisse de vigilance pour attaquer. En ce qui concerne les moyens, il ne fait pas preuve d’une grande inventivité.
- Orgueil du responsable spirituel :
« J’ai bâti mon église tout seul. »
- Formation de clans :
« Moi j’aime mieux quand c’est Dédé qui prêche. »
- Introduction de fausses doctrines :
« Dieu a-t-il réellement dit ? »
Ne limitons pas notre vision à notre quartier.
J’ai tenu à ce que notre association ne s’appelle pas « Église Évangélique de Châteaudun ». Elle s’est d’abord intitulée « Mission évangélique de la Vallée du Loir », puis « Mission Protestante Évangélique du Loir et du Perche ». Ainsi nous manifestons notre volonté de ne pas restreindre notre vision aux limites administratives de notre commune.
Voici ma vision de la croissance de l’Église pour la France : je veux y voir autant d’églises que de bistrots.
Ce point de vue ne correspond malheureusement pas à la vision française : on ne veut pas de clocher à moins de cinquante kilomètres du nôtre ; ça nous fait de l’ombre.
Faut-il alors s’étonner que les Américains qualifient la France de « cimetière de missionnaires » ? Faut-il s’étonner que le terrain soit si dur ?
En France, ce n’est pas le terrain qui est dur, c’est le cœur des chrétiens.
Que nous soyons à l’œuvre dans une implantation d’église (défricher la forêt) ou dans une église établie (chasser les Cananéens), il est nécessaire d’avoir une bonne vision et surtout de la conserver.
J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi. Désormais, la couronne de justice m’est réservée ; le Seigneur, le juste juge, me la donnera dans ce jour-là, et non seulement à moi, mais encore à tous ceux qui auront aimé son avènement.
2 Timothée 4.7/8
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