Acte V

Illustration : Stéphanie Lebeau.

Premier tableau

Décor du premier acte. Dariana entre habillée en bergère, armée de sa fronde et de son bâton. Le manteau royal est posé sur le trône.

Scène première

DARIANA

Je le tuerai, l’assassin de mon père,

L’empoisonneur aux crochets de vipère.

Mon vieux bâton lui brisera les os.

Je frappe fort, ce sera mon cadeau.

J’attends le jour de son anniversaire.

 

Avec Fergon, point de douces manières,

Je réduirai ses côtes en poussière,

Fracasserai ses jambes et son dos.

Je le tuerai.

 

Dans cette fronde, j’arme une lourde pierre,

Je vise juste et j’en fais mon affaire.

La tragédie s’est achevée : rideau !

C’est ma promesse en forme de rondeau.

J’ai ce matin la verve meurtrière.

Je le tuerai.

Oui, je le tuerai. Une bonne pierre dans ma fronde et je lui règle son compte. Non, je serai décapitée, la belle avance ! Alors je m’enfuirai.

Je m’enfuirai loin des yeux de Fergon.

N’attends de moi ni pitié ni pardon.

Je partirai loin de ta face immonde.

J’emporterai mon bâton et ma fronde,

T’abandonnant la harpe comme un don.

 

Je m’en irai, pareille au vagabond,

Tu connaîtras le poids de l’abandon.

N’entends-tu pas ma vengeance qui gronde ?

Je m’enfuirai.

 

Bien-aimé roi, je m’en vais pour de bon.

Plus de gouzli, même de violon.

Tu n’entendras ma voix chaude et profonde,

Ne verras plus mes longues tresses blondes.

Pour ton plaisir restent tes champignons.

Je m’enfuirai.

Je vais m’enfuir, l’abandonner à sa folie sans espoir de délivrance. Bien fait pour lui ! Mais où aller ? Il finira bien par me retrouver et je devrai me remettre à jouer pour lui, les chevilles enchaînées, qui plus est. Et puis, si, après tout, je m’étais monté le bourrichon ? Si Claudinius n’était pas mon père ? Il faudrait que j’en sois sûre. En attendant, je n’ai pas d’alternative.

Si j’ai repris mon habit de bergère, c’est que j’y suis plus à l’aise. Et puis, ce petit roi ne mérite pas l’honneur que je me fasse belle pour lui.

Tiens donc ! Sa Majesté est partie là où même un roi s’en va tout seul, oubliant son manteau royal.

(Elle s’en pare.)

Mais cette peau d’hermine sur ma peau de brebis me sied bien. Et mon solide bâton de cormier me sert de sceptre. Il ne me manque plus que la couronne.

(Elle s’installe sur le trône.)

Mais je l’entends qui gronde. Ce n’est pas encore l’heure de la vengeance. Remettons tout cela en ordre.

Elle remet le manteau à sa place et se tint debout devant le trône. Fergon fait irruption sur la scène dans un état de démence.)

Scène II

DARIANA – FERGON

FERGON

Ô conspiration !

Infâme félonie !

Ignoble trahison !

À jamais sois bannie !

DARIANA

C’est de moi que tu parles-là ?

Que de colère et quel éclat !

FERGON

Loin de ma vue, mégère !

Va-t’en loin de mes yeux

Ou je te tue, vipère,

T’immole par le feu !

DARIANA

Là, franchement tu exagères !

Ça surchauffe sous tes cheveux.

FERGON

Monstrueuse erinnye,

Mi femme et mi démon !

Peste d’ignominie !

Tigre en peau de mouton !

DARIANA

Mais va-t-il enfin se calmer ?

Qui t’autorise à m’insulter ?

FERGON

Je suis ton roi, maudite,

Parlant comme il me plaît.

À jamais sois proscrite

Pour punir tes forfaits !

Tu t’assieds sur mon trône et vole mon manteau.

Veux-tu donc m’égorger pour te proclamer reine ?

Je t’avais tant aimée, traîtresse, mais tantôt

S’éteint mon amitié et t’écrase ma haine.

Me transpercent tes jolis yeux

Mais je te clouerai de ce pieu.

Bergère ingrate et régicide !

Meurs donc, perfide !

(Fergon lance son javelot contre Dariana qui l’esquive. La lance vient se ficher dans le dossier du trône. Effrayée, elle se réfugie derrière la harpe.)

DARIANA

Notre affaire devient séreuse,

Pourtant je ne suis point peureuse.

L’incident pourrait tourner mal.

C’est l’idoine moment pour un bon récital.

(Dariana se met à jouer. Pendant toute la scène, le théâtre se remplit de courtisans attirés par la musique, dont Choudasté, Choudago, Silasol. Vitriola se glisse discrètement parmi eux.)

 

 

Scène III

DARIANA – FERGON, puis CHOUDASTÉ – CHOUDAGO –SILASOL – VITRIOLA – Courtisans

DARIANA

Écoute, mon bon roi

Cette pure harmonie.

Ouvre ton cœur, je ne joue que pour toi

De cette mélodie la douceur infinie.

Merveilleux pansement

Qui transforme en bonheur ta cruelle agonie.

FERGON

Oh ! quel soulagement

Procure ta chanson, ma belle, sois bénie.

DARIANA

T’ai-je fait quelque tort

Que tu voulais ma mort ?

Dans ta folie, démarche ridicule,

Tu m’aurais transpercé comme une libellule.

FERGON

Pardonne-moi, mais joue encor.

Pardonne-moi pour cet outrage.

Par tes accords calme l’orage.

DARIANA

Pour ton plaisir, ton réconfort,

Pour la tranquillité de ton âme,

Laisse-toi bercer par ces gammes.

À cette mélodie, livre-toi tout entier,

Dans ces flots d’harmonie tu te noies volontiers.

FERGON

La paix revient, joue donc encor.

DARIANA

Entends-tu sous mes doigts habiles

Le chant du ruisseau si tranquille,

Onde limpide, frais courant,

Ou bien la fureur du torrent

Roulant les pierres du rivage,

Branches brisées sur son passage ?

FERGON

Ne cesse pas, mais joue encor !

DARIANA

Le rossignol et le pinson

S’ébattent dans les buissons.

Écoute bien le doux murmure

De la brise dans les ramures.

FERGON

Encore, encore, encor !

CHŒURS

Fergon s’extasie à tort.

Elle joue toujours plus fort.

Remarquable virtuose !

Mais elle force la dose !

Cela pourrait mal finir.

Où donc veut-elle en venir ?

Car Fergon tombe en extase.

Et tout son être s’embrase,

Ne maîtrisant plus son corps.

FERGON

Encore, encor !

De ma chair s’évade mon âme.

Quelle est cette arrogante flamme

Qui m’accable tant de chaleur

Tout en me comblant de bonheur ?

Un ange sur ses ailes

M’enlève au paradis, et je te vois si belle !

Ne cesse pas ! encore ! encor !

DARIANA

N’entends-tu pas dans le lointain

Résonner les cloches d’airain ?

Le carillon à la voix claire

Appelle à la sainte prière.

FERGON

Encor !

DARIANA

Mais vois-tu ces nuages noirs ?

C’est la couleur du désespoir.

Je ferai tomber sur ta tête

Les désastres de la tempête.

FERGON

Mais quels sont ces étranges accords ?

DARIANA

Voici l’arpège de la mort.

(Dariana termine son récital par une note suraigüe. Fergon se dresse, pousse un cri de douleur et tombe mort.)

CHŒURS

Le tyran se tord et s’écroule.

Au pied du trône à terre il roule.

Plein d’épouvante il s’est levé.

Que lui est-il donc arrivé ?

VITRIOLA

Cette bergère diabolique

L’a terrassé par sa musique.

Je vous l’avais pourtant bien dit :

Ce bel instrument est maudit.

CHŒURS

Il faut s’en saisir et la pendre,

La répugnante scolopendre !

Comment diable a-t-elle pu s’y prendre ?

La perverse a tué le roi fol

À coup de dièzes et de bémols.

VITRIOLA

N’en déplaise à vos Seigneuries,

C’est de la Sorcellerie.

SILASOL

Sorcellerie, madame ? Point du tout ! C’est de l’acoustique.

VITRIOLA

Qu’est-ce encore que ce bétail-là.

SILASOL

L’acoustique, madame, c’est la science des sons. Mais j’ignorais que notre Dariana la maîtrisait aussi bien, au point de l’utiliser pour assassiner le roi.

VITRIOLA

Je comprends de moins en moins.

SILASOL

Sous le doigt de Dariana, la harpe a donné un son très aigu, si aigu que l’oreille humaine ne peut le percevoir, mais le cerveau, lui, le perçoit.

VITRIOLA

Et alors ?

SILASOL

Alors ? Étant donné que notre bien-aimé roi – que Dieu ait son âme – n’était pas dans son état normal, son cerveau n’a pas anticipé l’ultrason qui l’a transpercé comme un poignard. Il en est mort.

CHOUDAGO

Qu’allons-nous faire sans roi ? Fergon n’a pas d’héritier.

 

VITRIOLA

Il faut trouver une solution. En attendant qu’elle soit trouvée, je le remplace, et malheur à qui s’y opposera. Pas d’objections ? Parfait. Parons au plus pressé : le meurtrier, en l’occurrence, la meurtrière doit être puni de mort.

DARIANA

Je n’ai pas porté la main sur le roi. Si j’avais voulu l’assassiner, je l’aurais frappé avec mon bâton, ou bien je l’aurais lapidé.

(à part) : Ce n’est d’ailleurs pas l’envie qui m’a manqué.

VITRIOLA

À coup de bâton ou de double croche, les fait sont là.

DARIANA

Fergon a empoisonné Claudinius. C’est un criminel et il méritait la mort.

VITRIOLA

Sa culpabilité n’a jamais été prouvée.

DARIANA

Il l’a confessé devant moi. L’omelette mortelle, c’était lui. Il me l’a dit. Il me l’a dit. Choudago, mon confident, mon ami, tu étais-là, dis-leur.

CHOUDAGO

Ma pauvre Dariana ! Aucun témoin n’a entendu la confession de Fergon ; en revanche, tu à fait périr ton roi devant toute la cour.

VITRIOLA

Voilà qui est parlé ! Qu’on jette cette aventurière au cachot dont elle ne sortira que pour être décapitée.

DARIANA

Choudasté, Choudago, ne m’abandonnez pas ! Au secours !

 

CHOUDASTÉ – CHOUDAGO

Hélas ! ma jeune amie, que pouvons-nous y faire ?

Te voici condamnée comme une meurtrière.

Quelle douleur ! Nous t’aimons tant !

Mourir à quatorze printemps !

VITRIOLA

Cessez de pleurnicher, de vous apitoyer.

Que cet infâme crime soit sans faute expié.

Pour ce serpent point d’indulgence.

Que s’accomplisse ma vengeance.

 

Deuxième tableau

La prison.

Scène IV

DARIANA

Au cachot humide et froid,

Dans l’angoisse et dans l’effroi,

Une bergère innocente

Désespère et se lamente.

 

Face à ces barreaux de fer,

Antichambre de l’enfer,

Seule et privée de lumière,

Mon secours est la prière.

 

Je partage avec les rats

Ma couchette et mon repas.

Je dors sur la paille infecte,

Ma peau nourrit les insectes.

 

Mon avenir est scellé

Car pour moi tout est réglé.

Quand on m’aura fouettée

Je serai décapitée.

(Entre Vitriola.)

 Scène V

DARIANA – VITRIOLA

VITRIOLA

En prison, je viens te visiter,

C’est pour le plaisir de te narguer.

Tu auras bientôt d’autre visite :

Mon bourreau qui tranche propre et vite.

 

Je te verrai baigner dans ton sang.

Triste mort pour fille de ton rang !

Mais tu m’apparais triste et fort laide.

Quel esprit malveillant te possède ?

DARIANA

La gorgone que voilà !

Maudite Vitriola !

Tu peux me railler, vipère

Et jouir de ma misère !

VITRIOLA

Est-ce ta peau qui sent si mauvais ?

Ouvre une fenêtre, s’il te plaît.

Voilà, ta résidence : une étable !

Tu puanteur m’est insupportable.

DARIANA (pleurant)

Cesse de me torturer !

Je suis malheureuse assez.

J’attends que la mort me prenne,

Me délivrant de ta haine.

VITRIOLA

Laisse-moi ta douleur savourer.

Il ne te sert à rien de pleurer.

Déjà l’homme à la hache s’avance.

C’est pour toi l’heure de la délivrance.

(Entre le bourreau, accompagné de Choudago et de soldats.)

 Scène VI

DARIANA – VITRIOLA – CHOUDAGO – LE BOURREAU – soldats

LE BOURREAU

C’est pour cela qu’on me fait venir,

Une fillette qu’il faut punir ?

J’ai bien décolleté des têtes criminelles,

Mais une adolescente à la face si belle...

Est-ce un ténu fétu de paille que ce cou ?

Un hachoir à persil et j’en viendrai à bout.

VITRIOLA

Vous-à-t-on demandé votre avis ?

LE BOURREAU

                                                   Par le diable !

J’ai coupé des bandits des plus abominables.

J’ai tranché des cous de serpents

Mais jamais le cou d’un enfant.

(Il aiguise sa hache.)

VITRIOLA

Montrez-moi votre savoir-faire.

Justifiez votre salaire !

LE BOURREAU

Allons-y, puisqu’il faut y aller, mais je ne promets pas d’être à la hauteur. Je n’ai jamais fait ça. Pauvre petite !

VITRIOLA

Le voilà qui fait du sentiment, à présent ! Est-ce un bourreau ou une nourrice ?

(Le bourreau place la tête de Dariana sur le billot. Entrent Choudasté et Kasrol.)

 

Scène VII

DARIANA – VITRIOLA – CHOUDAGO –LE BOURREAU – CHOUDASTÉ – KASROL – soldats

CHOUDASTÉ 

Attendez ! Attendez ! Ne coupez pas !

VITRIOLA

Quoi encore ?

CHOUDASTÉ 

Monsieur Kasrol, ici présent, est porteur d’une révélation de la plus haute importance.

VITRIOLA

Nous l’entendrons plus tard, après la décollation. En attendant, qu’on lui serve une collation.

CHOUDASTÉ 

Il faut l’écouter maintenant. Après la décollation, on ne pourra plus recoller quoi que ce soit.

VITRIOLA

Que de fâcheux contretemps ! Et, d’ailleurs, qui est cet énergumène ?

KASROL

Vous dites « énergumène »,

Admirable châtelaine.

Je suis le cuisinier royal,

Tout dévoué à vos régals.

 

Je vous concocte de bons potages,

D’onctueux entremets, de délicieux fromages,

Des rôtis tendres à souhait

Et des jambonneaux grassouillets

VITRIOLA

Cuistre, pas tant de manières !

L’heure n’est pas aux mystères.

Nous n’avons cure de vos brouets.

Venez-en promptement au fait.

KASROL

Au fait ? C’est bien embarrassant. Comment dirai-je ?

VITRIOLA

Assez louvoyé, qu’il abrège !

KASROL

J’étais debout, face au fourneau,

Préparant ma tarte aux pruneaux

Quand le duc Fergon, en cachette

– Sa démarche était des plus discrète.

Il me dit : « Changement de menu.

Des nouveaux ordres vous sont venus :

Pour le Roi Claudinius en goguette

Tu serviras une omelette ;

Une omelette aux champignons.

– J’y ajouterais bien des pignons. »

CHOUDAGO

Des champignons ! Voilà notre affaire sans toute.

Parle fort, cuisinier, tout le monde t’écoute.

KASROL

« J’ai des morilles, des cèpes et des bolets,

Des airelles dorées s’il vous plaît.

– Ajoure-y cette rouge ombrelle

Parsemée de points blancs. N’est-ce pas la plus belle ? »

Ainsi donc, j’ai obéi aux ordres du maître, je n’avais pas le droit de poser les questions. Et puis, les champignons, ce n’est pas tout à fait mon truc. J’ai toujours peur de me tromper. Et puis le duc Fergon avait l’air de s’y connaître. C’est vrai qu’il était beau, ce champignon. Une taille élancée comme une jeune fille. J’ai fait la plus belle omelette de ma carrière de cuistre, et je l’ai servie au roi Claudinius, lequel m’a félicité. Non seulement elle était belle, mais elle avait une saveur particulière qui relevait l’ordinaire. Au bout de vingt minutes, le roi a commencé à avoir mal au ventre. Au bout d’une heure il était mort avec de terrible souffrances.

Alors, j’ai eu comme un doute. J’ai tiré de mon étagère « l’Encyclopédie des Champignon » et j’ai reconnu le mien : une amampha... anima... amite hémoroïde, enfin bref ! un nom comme ça.

Claudinius mort, Fergon est monté sur le trône. Il m’a promis cinq mille écus si je me taisais, et cinq cents coups de fouet si je parlais.

CHOUDAGO

Dariana avait donc raison. Fergon a lui-même empoisonné son prédécesseur pour régner à sa place. Elle le savait, mais personne ne l’aurait crue. Pouvons-nous exécuter celle qui a tué le régicide.

VITRIOLA

Cela ne change rien. Elle est-elle même régicide. Elle doit mourir comme un régicide.

DARIANA

Claudinius était mon père. Je l’ai vengé en tuant Fergon.

VITRIOLA

Quoi ?

Quel incroyable délire !

Fillette, qu’oses-tu dire ?

Toi, fille de l’ancien roi ?

C’est vraiment n’importe quoi !

DARIANA

Je le suis quoi qu’on en dise.

VITRIOLA

Vous affabulez, marquise.

Jamais on ne vous croira

Par la peste et choléra !

DARIANA

Claudinius était mon père.

VITRIOLA

Tais-toi donc, jeune vipère !

Tu as le droit de rêver

Mais ne pourras rien prouver.

Déterre un autre artifice

Pour échapper au supplice !

DARIANA

Je suis la fille du roi,

C’est gravé au fond de moi.

VITRIOLA (au bourreau)

Expédiez enfin promptement votre affaire.

Je ne vous paierai pas d’heures supplémentaires.

CHOUDAGO

La marquise Dariana ne peut prouver qu’elle dit la vérité, mais nul ne peut prouver qu’elle ment.

CHOUDASTÉ 

Attendez ! Et si... non j’allais dire une sottise.

VITRIOLA

Dites toujours.

CHOUDASTÉ 

Eh bien ! quand notre bien aimée reine, veuve du non moins bien-aimé roi Claudinius, a donné la vie à la princesse Anastasie, il y a environs quatorze ans, j’ai eu le bonheur de prendre ce bébé dans mes bras, un bien joli poupon. J’ai remarqué qu’elle avait une tache sur la nuque, une tache en forme d’abeille. J’en ai fait la remarque autour de moi et l’on a commencé à répandre des rumeurs, qu’elle portait la marque de la bête, qu’elle apportait la malédiction, toute sorte de carabistouilles. La superstition ayant accompli son œuvre destructrice, on chassa la mère et son enfant.

CHOUDAGO

Personne ici n’a vu n’a vu la nuque de Dariana. Elle la dissimule pudiquement derrière sa longue chevelure.

VITRIOLA

Et alors ? Qu’est-ce que cela change à la question ? Je n’ai pas engagé un bourreau pour rien. Allez ! Tranchez !

LE BOURREAU

La question ou le cou de Dariana.

VITRIOLA

Ne faites pas le bouffon, c’est incompatible avec votre fonction.

LE BOURREAU

Il faudra bien que je dégage la nuque de la condamnée, sinon la hache va riper.

VITRIOLA

Alors, dégagez, mais qu’on en finisse.

(Le bourreau écarte les cheveux de Dariana, dégageant sa nuque.)

LE BOURREAU

Elle a la marque !

Elle a la marque de l’abeille

Incrustée dans sa peu vermeille.

SOLDATS

Sur son épiderme, voyez

Ce dessin si régulier

La jeune fille est marquée d’un sceau

Depuis la couche et le berceau

Et se serait fort mal s’y prendre

Que la décapiter ou la pendre.

VITRIOLA

Ce sont sornettes en vérité,

Carabistouilles et billevesées.

SOLDATS

Billevesées ce ne sont point,

Carabistouilles encore moins.

Que cette belle enfant vive

Et qu’on libère la captive.

VITRIOLA

Que cette lame bien pesée

Coupe l’abeille en deux !

LE BOURREAU

Mon bras n’a plus de force, et je ne peux...

Je ne trancherai point, je n’ai pas ce courage.

VITRIOLA

Tranchez !

LE BOURREAU

                Je ne saurais...

VITRIOLA

                                               Mais tranchez donc ! J’enrage !

LE BOURREAU

Je ne trancherai pas. Un enfant de cet âge !

Je sais qu’il doit vivre.

VITRIOLA

  Tranchez !

Allez ! plus vite ! dépêchez !

LE BOURREAU

Je ne couperai pas le cou d’une princesse.

VITRIOLA

Coupez ou vous mourrez, ce n’est vaine promesse.

LE BOURREAU

Comment me mettre à mort, si  c’est moi le bourreau ?

CHOUDASTÉ 

Il n’y a pas à contester. Nous avons suffisamment de preuves que le roi Claudinius a été empoisonné par l’infâme fergon et que la jeune Dariana, ici présente, est bien la princesse Anastasie, héritière du royaume.

CHOUDAGO

Relève-toi, mon enfant, ton cou va s’ankyloser et la tête d’une reine n’à rien à faire sur un billot.

SOLDATS

Sur le billot, face à la mort,

Son cou si fin n’a pas sa place,

Mais elle a mérité la grâce.

Nous en demeurons tous d’accord.

Honneur à notre souveraine.

VITRIOLA

Si Dariana devient reine,

Je sais comme elle va me traiter :

Elle me fait décapiter

À moins que je ne sois pendue.

Malheur à moi ! je suis perdue.

 

Épilogue