Gare au gros minou - Yvain
Gare au gros Minou
— Yvain —
C’est de nouveau la comtesse de Champagne, son mécène préféré, qui demande à Chrétien de Troyes de lui écrire un roman d’amour et d’aventures qui plaise aux dames et seigneurs de la cour. Notre ami se met donc à l’ouvrage.
Le roi Arthur a rassemblé à sa table ronde les meilleurs chevaliers de Bretagne. Ceux-ci ont toujours d’incroyables exploits à lui raconter : ils ont vaincu des géants et terrassé des dragons ; ils ne lui ont pas encore ramené le Saint-Graal, mais ça va venir.
Voici l’histoire d’Yvain. Pourquoi est-ce qu’on l’appelle le Chevalier au Lion ? Vous aimeriez bien le savoir, alors prenez le temps de lire.
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En ce jour de Pentecôte, Arthur avait réuni sa cour à Caruel. Tous les vaillants étaient réunis pour raconter leurs exploits. Il y avait Keu, le sénéchal et moucateur officiel, Gauvain, Sargenor, Dodinel, Yvain et Calogrenant.
« Alors, messire Calogrenant, qu’est-ce que vous avez de beau à nous raconter ?
– Oh ! moi, vous savez…
– Vous avez bien livré une petite bataille, ou quelque chose.
– Oui, mais bof !
– Allez, racontez-nous ça !
– Oui, mais non, ça me gène. »
La reine Guenièvre venait de se joindre au groupe.
« Allez ! Calogrenant, dit-elle, ne faites pas la mijaurée comme ça ! racontez-nous ce combat.
– C’est que, dans l’affaire, ce n’était pas moi le héros.
– Lui, c’était plutôt un zéro, lança Keu, toujours prêt à décocher une désagréablerie.
– Ah ! vous ! Ne commencez pas ! répond sèchement la reine. Ne nous occupez pas de lui, Calogrenant, narrez ! »
Calogrenant n’avait pas envie de narrer, mais comme c’est Guenièvre qui ordonnait la narration, il narra.
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J’étais parti à la recherche d’aventures héroïques quand je m’égarai dans la forêt de Brocéliande. Ayant finalement réussi à en sortir, je trouvai un château dans lequel je fus chaleureusement accueilli. Le maître des lieux avait d’ailleurs une fille mignonissime, ce qui ne gâtait rien. J’y aurais bien pris trois semaines de vacances, surtout à cause de la fille, mais il fallait reprendre la route.
Chemin faisant, j’ai rencontré deux taureaux qui se castagnaient. J’ai eu peur qu’ils me courussent après, alors, je me suis enfui le plus vaillamment du monde, pour me trouver nez à genou avec un géant hideux armé d’un énorme gourdin. Toute réflexion faite, j’aurais mieux fait de rester avec mes deux taureaux.
« Es-tu un humain ou un démon ? lui ai-je demandé.
– Je suis un homme.
– Et qu’est-ce que tu fais ici ?
– Je suis le gardien des bêtes de la forêt : quand un taureau vient faire son petit caïd, je lui prends une corne dans chaque main et je le soulève, ça calme les autres. Et toi, qu’est-ce que tu viens faire ici ?
– Je suis un chevalier. Je cherche une occasion de jouer les héros, mais je n’en trouve pas.
– Je n’y connais rien à la chevalerie, mais si tu veux jouer les malins, il y a une fontaine un peu plus loin, vas-y faire un tour. Si tu veux des émotions fortes, tu vas être servi. Il y a là un bassin et un perron. Si tu prends de l’eau du bassin et la verses sur le perron, tu vas déclencher une tempête maison.
– Marrant ! Merci l’ami pour le conseil, et à la revoyure ! »
Je suis donc allé à cette fameuse fontaine, j’ai versé de l’eau sur le perron. Oh ! fan de chichourle ! La tempête de nonante-neuf, c’était une brise légère à côté de ça ! J’ai bien cru que j’allais y rester. Les arbres qui tombaient à droite et à gauche, la foudre qui a frappé la pointe de ma lance, et j’en passe !
La tempête finit par s’apaiser, je m’apprêtais à repartir quand un cavalier s’amène :
« Espèce de péquenaud, qu’il me dit, vous avez fait du beau travail ! À cause de vous ma chênaie est par terre et il va falloir que j’appelle le couvreur. Ça va me coûter bonbon cette affaire-là !
– Or ça, maraud ! lui réponds-je, savez-vous à qui vous avez affaire ? Je suis un chevalier de la Table ronde, moi, môssieur ! »
Et voilà qu’on se tape dessus. Dans un duel, il faut bien un perdant, ça fait partie du concept. Alors voilà, le perdant, c’était ma pomme.
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« Ah ! mais ça ne va pas se passer comme ça, s’écrie Yvain, je vais y aller, moi, à cette fontaine, et je vais te lui donner une bonne dégelée, à ce malotru.
– Allons bon, vous avez forcé sur la dive bouteille ! Avec deux ou trois coups dans le nez, on se prend pour Weissenegger !
– Keu ! Vous commencez sérieusement à me bassiner, lui répond Guenièvre.
– Ne faites pas attention à lui, Majesté. Les humains sont comme les chiens : plus ils sont petits et plus ils sont hargneux. »
Et le roi Arthur décide de partir tranquillement avec toute sa clique pour venger Calogrenant. Tout le monde applaudit sauf Yvain. Yvain, il fait la tête : c’était son idée, après tout ; Arthur, il va s’amener là-bas, il va revenir avec la tête du zigomar sous le bras, et c’est lui qui va monter sur le podium. Ah ! mais, non ! Puisque c’est comme ça, je fais tout de suite l’aller-retour sans rien dire à personne. Le temps qu’ils se remuent, qu’ils choisissent leur armure et tout le bataclan, je serai déjà revenu avec la victoire.
Yvain se retire donc en loucedé et galope vers la forêt de Brocéliande.
Il séjourne dans le château où il est reçu fort gentiment par la fille qui avait tapé dans l’œil de Calogrenant. Il passe par la prairie des taureaux et rencontre l’affreux géant qui lui indique le chemin de la fontaine.
« Moi, je ne vais pas me contenter d’un petit gobelet. Vous allez voir ce que vous allez voir ! »
Et Yvain puise une bassine d’eau qu’il verse sur le perron.
« Quel temps pourri d’un seul coup ! »
Sitôt la tempête calmée, le gardien de la fontaine, ce même gars qui avait déculotté Calogrenant arrive en roulant des mécaniques.
Et c’est la baston ! Un combat sans pitié. Yvain coupe en deux le heaume de son adversaire. Par la même occasion, il lui fend aussi le crâne et la cervelle. Comprenant que son affaire était plutôt mal engagée, le gardien de la fontaine préfère rentrer chez lui pour se faire soigner.
Comment peut-on chevaucher un kilomètre avec le cerveau coupé en deux ? Avec Chrétien de Troyes plus rien ne m’étonne. Il faut dire qu’en ce temps-là, les gens n’étaient pas aussi chochottes que nos contemporains auxquels on vend même du pain de mie sans croûte de peur qu’ils s’y cassent une dent.
Revenons à notre histoire.
Yvain tient absolument à ramener à la cour son adversaire mort ou vif, ne serait-ce que pour montrer à Keu qu’il aurait mieux fait de se taire. Il le poursuit donc jusqu’à son château. Au moment où il franchit le porche, un portail en forme de couperet tombe du plafond. Yvain a échappé au piège à un quart de cheveu près, mais son cheval n’a pas eu autant de chance. Une seconde porte-hachoir tombe entre le gardien et son poursuivant. Voici notre héros prisonnier.
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Par une porte dérobée apparaît une demoiselle.
« Vous voilà mal barré, lui dit-elle, vous avez blessé à mort notre patron, Esclador le Roux ; sa femme pleure comme le téléphone de la chanson, et quand elle sera remise de son chagrin, je ne donne pas cher de votre peau. Mais puisque vous m’êtes sympathique, je vais vous tirer d’affaire. »
La jeune fille s’appelle Lunette, non pas parce qu’elle est myope, mais parce qu’elle est comme la lune. Enfin, je veux dire qu’elle a un joli petit visage rond. Sa maîtresse, la future veuve, mais déjà éplorée, se nomme Laudine. Lunette donna à Yvain un anneau magique qui a le pouvoir de rendre invisible. C’est bien pratique dans ce genre de situation.
Lunette l’invita à prendre place sur un grand lit et le restaura. Sitôt le repas terminé, elle abandonna son protégé qui, sagement, se rendit invisible. Il était temps, car la pièce grouillait d’insectes bien armés qui ne pensaient qu’à le zigouiller. Ils avaient d’abord cherché là où ils croyaient l’avoir laissé, mais n’y ont trouvé qu’un demi-cheval.
« Ce n’est tout de même pas croyable, une affaire pareille ! Il ne s’est pas transformé en orvet ! »
Pendant que tout le monde cherchait à comprendre et cherchait tout court, Yvain, toujours invisible, voyait défiler tout le cortège funèbre. Laudine, la veuve éplorée, s’arrachait les cheveux et tombait à terre comme une hystérique, mais notre chevalier n’avait jamais vu une femme aussi belle. Soudain, voilà que le mort se remet à saigner, ce qui présage que le meurtrier est dans la pièce. On n’est pas superstitieux, mais on y croit quand même. Alors tout le monde s’agite, on cherche partout. L’invisibilité n’assure pas l’invulnérabilité. Yvain se pend des coups, mais il garde son calme.
« Il est ici et nous ne le trouvons pas, c’est encore un coup du diable.
– Diable ou pas, je le veux vivant, dit Laudine, que je l’étripe tout vif et que j’en fasse des rillettes du Mans. »
Mais Laudine eut beau invoquer tous les saints du calendrier, le meurtrier demeurait introuvable et l’on dut abandonner les recherches.
Le calme étant revenu, Lunette réapparut, elle le conduisit vers une cachette d’où il pouvait voir le cortège et surtout la belle veuve.
Voilà Yvain amoureux de sa pire ennemie !
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Petite face de lune avait tout de suite compris le problème d’Yvain, et elle était bien décidée à l’aider. C’est une fille vraiment gentille. Et comme le courant passe très bien entre elle et sa patronne, elle va parvenir à la convaincre qu’elle doit à présent épouser un homme suffisamment vaillant pour remplacer son feu mari comme gardien de la fontaine, d’autant plus qu’Arthur n’allait pas tarder à se pointer. Or, quel chevalier aurait assez de courage pour s’acquitter d’une telle mission, sinon celui qui a vaincu l’ancien gardien ?
Ce n’était pas gagné, mais à force de discussions et de disputes, Laudine finit par admettre que sa servante n’avait pas tout à fait tort, et même qu’elle avait un tout petit peu raison.
Futée qu’elle est, la petite Lunette, elle fait semblant d’envoyer quelqu’un quérir Yvain à la cour du roi Arthur alors qu’il se trouve dans la pièce d’à côté.
Enfin, elle arrange la rencontre d’Yvain et de Laudine, les amenant à la réconciliation. Finalement, ils ne vont pas tarder à se marier. Yvain est content parce qu’il va épouser Laudine, et Laudine est contente parce qu’elle a trouvé quelqu’un pour protéger sa chère fontaine. Arthur pouvait toujours venir avec toute sa chevalerie !
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Justement, le voilà qui arrive, Arthur, flanqué de toute sa clique, et Keu qui n’en rate pas une.
« Tiens ! Mais je ne vois pas notre ami Yvain ! Lui qui se vantait d’être le premier à venger Calogrenant. Une fois dégrisé, le voilà dégonflé !
– Arrête un peu ton cirque, lui jette Gauvain. Ça pourrait mal finir. S’il n’est pas là, c’est qu’il a eu un imprévu, et c’est tout. »
Le roi est pressé de faire joujou avec l’eau de la fontaine. Il en renverse un grand bol, pour voir ce qui va se passer. Et pour ce qui se passe, on commence à en avoir l’habitude : d’abord la tempête, ensuite le gardien de la fontaine qui se pointe au grand galop ; sauf que cette fois, le gardien de la fontaine, c’est Yvain, mais sous son heaume à visière, personne ne le reconnaît. Keu (de billard), encore une fois, ne rate pas une occasion de faire son malin.
« Laissez-le moi, je m’en occupe. Je vais lui faire sa fête, moi, à ce guignol.
– Tu fais comme tu veux, répond Arthur. »
Et voilà maître Keu qui se prend une magistrale volée par Yvain, volée qu’il n’a d’ailleurs pas volée.
Keu en avait d’autant plus la rachma qu’Yvain s’était fait enfin reconnaître.
Après toutes ces émotions, Arthur et toute sa cour furent ravis d’être invités à passer quelques jours de vacances chez Laudine.
Au moment de rentrer chacun chez eux, les chevaliers, Gauvin en tête, insistèrent pour continuer la fête avec Yvain.
« C’est que, maintenant que je suis marié, ça ne va pas être possible.
– Allez allez ! On ne laisse pas tomber les copains comme ça ! Ce n’est pas parce que tu t’es mis la corde au cou que tu vas passer toute ta vie à faire la vaisselle !
– Mais…
– Allez ! quoi ? Il faut bien s’amuser pendant qu’on est jeune ! Un petit tournoi de temps en temps, ça ne coûte rien. On crève l’œil des copains à coup de lance, on ne fait rien de mal. Ou alors, on coupe l’armure en deux, avec le bonhomme qui est dedans et le cheval qui est dessous. On ne peut pas faire plus convivial.
– Bon, d’accord, je vais en parler à ma femme. »
Yvain s’en va trouver son épouse chérie :
« Euh… ma petite Laudinette d’amour, mon gros canard… je t’aime beaucoup, tu sais… ma bibichoupette adorée… voilà voilà ! j’ai quelque chose à te demander… voilà ! en fait, avec Gauvain, on avait pensé qu’avant qu’on ait des enfants, tout ça, ce serait bien qu’on se prenne un peu de bon temps entre copains, tout ça, pas longtemps, faire des joutes et des tournois, rien qu’un tout petit peu…
– C’est d’accord, répond Laudine, mais alors juste un an, pas un jour de plus, si au bout d’un an tu n’es pas rentré à la maison, ça pourrait barder pour ton matricule !
– C’est-à-dire ?
– Je te plaque.
– Ah ouais ? Carrément ? »
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Yvain avait promis à sa femme de revenir bien avant la date qu’elle lui avait fixée, à moins que, par malheur ou par accident, il se soit laissé planter une lance entre les côtes.
Pourtant, notre chevalier s’était tant diverti à ces virils amusements qu’il avait complètement dépassé les délais.
Au bout de dix-huit mois, une jolie cavalière se présente à la cour du roi Arthur, elle fait la bise à tous les chevaliers, sauf à Yvain.
« Eh bien ! et moi alors ?
– Toi ? Tu peux aller te faire voir !
– M’enfin ?
– Tu n’es qu’un pauvre type, un traitre, un menteur, un perfide. Tu as trahi la confiance de ma patronne et pour elle, tu ne vaux plus un quart de franc CFA. Rends-moi l’anneau qu’elle t’avait donné. »
La fille arracha l’anneau de son doigt, remonta sur son cheval et disparut dans la nature. Depuis ce triste jour, Yvain nous a complètement pété les plombs. Il se promène hirsute et nu dans les bois, marchant à quatre pattes, attrapant son gibier avec les mains et mangeant la viande crue. Complètement ravagé du citron !
Un jour enfin, deux demoiselles se promenaient toutes seules dans les bois. Est-ce bien prudent ? L’une d’elles reconnut Yvain à cause d’une cicatrice. Elle ne manqua pas d’en informer sa compagne.
« Dommage qu’il ait perdu la boussole, car il nous aurait été bien utile contre le comte Alier, qui est aussi fou que son nom l’indique et qui menace de nous chasser de nos terres.
– Pas grave ! Il nous reste un peu de pommade de la pharmacie Morgane. »
En effet, l’onguent de la fée eut raison de la folie de notre ami qui retrouva la sienne (de raison). Il écoula une longue convalescence chez la dame de Noroison. Enfin, totalement requinqué, il rattrape largement le temps perdu. Il casse les têtes, il coupe les mecs en deux, il occis, il pourfend allègrement. Pour ajouter un peu de crème chantilly au sommet de sa pêche melba, il colle une tourlousine carabinée à l’ignoble comte Alier qu’il contraint de présenter des excuses à la noble dame de Noroison et il lui fait promettre d’arrêter de l’embêter. Non mais alors !
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Voilà notre Yvain reparti pour de nouvelles aventures. Il s’égare dans une sinistre forêt. Il entend des hurlements horribles. On dirait mes voisins quand ils s’énervent. Prenant son courage à deux mains, il fait un petit détour pour voir ce qui se passe : c’est un lion qui se fait attaquer par un affreux serpent qui crache le feu. Il nous rappelle le fameux ver du tilleul qui semait la terreur dans toute la Carinthie jusqu’au jour où le vaillant chevalier Karl Fritz Helmut von Wienerschnitezelmitkartofelsalatundtyrolerweisswein (un non dans ce goût-là en tout cas)[1] le dézingua et fonda par la même occasion la ville de Klagenfurt.
Yvain réfléchit : « lequel de ces deux animaux est le plus antipathique ? Le reptile, sans aucun doute, car c’est lui qui a entraîné l’humanité dans le péché. Le lion, au contraire, symbolise la puissance de Dieu. Mieux vaut donc secourir le lion. Oui, mais, si une fois délivré, il se met à m’attaquer ! Ce n’est pas toujours très reconnaissant, ces bêtes-là. Laissons-les se débrouiller, après tout ! »
Allez ! finalement, il se décide pour le lion. Au menu de ce soir, de la darne de dragon. Le félin remercie son sauveteur en faisant le beau, ou du moins, il se tient sur ses genoux et joint ses deux pattes de devant, exactement comme Yvain l’avait fait devant la belle Laudine pour la supplier de lui accorder son pardon et son amour. Depuis cet instant, ils deviendront d’inséparables amis, et Yvain se sera plus appelé que le Chevalier au Lion. Avouez que c’est un peu plus classe que le sobriquet de chevalier à la charrette attribué à notre ami Lancelot.
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La promenade continue. Le lion d’Yvain se révèle d’ailleurs un très bon chien de chasse. Malheureusement, il leur prend la mauvaise idée de faire un détour par la fontaine. Cela rappelle de mauvais souvenirs à Yvain. Il tombe en dépression et le lion nous fait une tentative de suicide. Il pleure tout ce qu’il sait, si bien que ses lamentations se font entendre d’une jeune fille captive quelque part dans une chapelle, pas très loin, car il est notoire que les personnages de Chrétien de Troyes souffrent généralement d’hyper-acousie.
« Qu’est-ce que vous avez à braire comme ça ?
– Je suis le plus malheureux de tous les hommes.
– Ça m’étonnerait. La plus malheureuse du monde entier, c’est bien moi.
– Vous ne pouvez pas savoir ce qui m’arrive.
– En tout cas, je sais ce qui m’arrive à moi. Je suis faussement accusée de trahison et je vais être brûlée vive. Il n’y a pas de quoi me rendre excessivement jouasse. »
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Cette jeune prisonnière n’est autre que la petite Lunette. Quand Yvain a manqué à sa parole envers Laudine, celle-ci a cru que sa servante était dans la combine, et elle le lui fait payer. Le sénéchal et deux de ses copains l’ont accusée et condamnée. Pour être tirée d’affaire, il lui faudrait trouver un chevalier capable de vaincre ces trois hommes en combat judiciaire, mais elle n’en connait que deux : Gauvain et Yvain. Le seigneur Gauvain, qui est parti délivrer la reine, enlevée par l’ignoble Méléagant, n’étant pas disponible, c’est Yvain qui va devoir s’y coller. Il promet donc à la gente demoiselle de lutter pour elle le lendemain même.
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Il était temps de chercher un gîte pour la nuit. Il y avait bien un Ibis dans les parages mais les lions n’y sont pas admis, alors il trouva un asile dans un château ruiné, tout comme ses propriétaires.
« Vous en faites de ces têtes d’enterrement ! Dites-moi donc ce qui ne va pas.
– Il y a qu’un horrible géant, Harpin de la Montagne est venu demander ma fille en mariage, comme elle lui a dit non, ça l’a vexé, alors il revient régulièrement pour tout casser dans la baraque. En plus, il a tué deux de mes six fils et il menace de tuer les quatre autres si je n’envoie personne le combattre.
– Je vois… mais pourquoi n’êtes-vous pas allé voir le roi Arthur ? Il vous aurait envoyé un chevalier de la Table ronde.
– J’y suis allé, mais il n’avait personne sous la main. Il ne restait que Gauvain, mais il a dû partir d’urgence délivrer la reine, enlevée par l’infâme Méléagant.
– J’ai compris. Ça va être pour moi. Le problème, c’est qu’il y a intérêt à faire fissa, parce que j’ai aussi une jeune fille à délivrer en urgence. »
Le lendemain, dès potron-minet, Yvain part à la rencontre du terrible géant. Je vous passe les détails et les préliminaires, le chevalier commence par planter sa lance entre les côtes du géant, ce qui a pour effet de l’énerver encore plus, puis, d’un coup d’épée, Yvain se taille un bon steak dans sa joue. Le lion, quant à lui, se sert une copieuse part de gigot dans sa cuisse d’Harpin. Yvain l’achève en lui crevant le foie d’un coup d’épée.
« Maintenant, il faut vraiment que j’y aille. J’ai un rendez-vous vachement important, et je suis déjà à la bourre. »
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Yvain et son lion courent au grand galop. Il est temps, car Lunette est déjà ligotée face au bûcher. Il est prêt à en découdre avec le sénéchal et ses deux copains.
« Ce n’est pas loyal de combattre avec un lion. »
Alors Yvain envoie le lion coucher. Et c’est la bagarre ! Seul contre tous, Yvain est en difficulté. Le lion, qui avait pourtant promis de ne pas s’en mêler, se jette sur le sénéchal et l’étripe allègrement. Puis il s’occupe du cas des deux autres.
Yvain, copieusement amoché, est déclaré vainqueur. Lunette ne sera donc pas brûlée, mais le lion s’est pris de méchants coups d’épée. Son maître lui improvise une civière avec deux lances et un bouclier.
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Yvain et son lion trouvent refuge chez un châtelain dont, par chance, les deux filles sont infirmières et se chargent de les soigner l’un comme l’autre.
Le seigneur de Noire-Épine venait de mourir et laissait pour héritières deux filles qui ne pouvaient pas se voir en peinture. L’aînée, qui est une chipie notoire, déclare tout net à sa sœur qu’elle garderait pour elle tout l’héritage et que l’autre n’aurait pas une miette.
« Puisque c’est comme ça, lui répond la cadette, j’irai me plaindre au roi Arthur.
– Fais comme tu veux, ma cocotte ! »
Décidée à ne pas se laisser faire, l’aînée galopa chez le roi et parvint à la cour avant sa sœur. Elle plaida sa cause auprès de Gauvain, enfin rentré de sa périlleuse mission. Celui-ci consentit à prendre sa défense, à condition qu’elle en garde le secret.
Arrivée après la bataille, la cadette demanda le secours du roi. Arthur lui dit qu’elle devait dans les quarante jours trouver un champion qui combattrait contre Gauvin.
Elle chevaucha donc à travers tout le pays à la recherche du chevalier au lion, mais elle ne le trouva pas et manqua de mourir d’épuisement à force de galoper. La voyant souffrante, une autre jeune fille prit le relais.
Une jeune fille très courageuse : elle n’a pas peur de chevaucher seule à travers la sinistre forêt, par le vent et la pluie. Et la voilà perdue au milieu de la nuit. Toute intrépide qu’elle soit, elle n’est tout de même pas très rassurée. Elle commence à prier la Sainte-Vierge et tous les saints qu’elle connaît. C’est alors qu’elle entendit le son du cor (le soir au fond du bois). Elle se laissa guider par cet instrument de la famille des cuivres jusqu’à un château où elle fut accueillie.
« Vous n’auriez pas vu passer un type avec un lion, par hasard ?
– La dernière fois qu’on l’a vu, il a occis trois gusses pour sauver une fille qu’on voulait brûler. Le mieux serait d’aller trouver la demoiselle en question. »
La jeune fille se hâte d’aller trouver Lunette, laquelle saute en selle pour venir en aide à sa nouvelle amie. Elle l’accompagne jusqu’au manoir ou Yvain venait d’être soigné.
« Vous n’auriez pas vu passer un type avec un lion, par hasard ?
– Vous n’avez pas de chance, il vient juste de partir. »
Au risque de passer le mur du son avec son palefroi qui commençait à avoir chaud, elle finit par trouver l’homme au lion.
Elle lui expliqua rapidement la situation, le suppliant de venir au secours de l’héritière spoliée. Yvain ne pouvait rien refuser à une jolie fille. Ils se dirigèrent donc ensemble vers le château de la Pire Aventure : un nom qui promet.
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Plus ils s’approchaient du château, et plus les gens du coin criaient après eux :
« Vous voulez entrer là-dedans ! Mais vous n’êtes pas un peu malades.
– Et alors ? De quoi je me mêle ?
– Oh ! Eh bien ! Allez-y si ça vous chante. N’allez pas pleurer s’il vous arrive des bricoles. On vous aura prévenus. »
Les voilà arrivés, le chevalier, la fille et le lion, à la porte du château.
« Vous êtes sûrs de vouloir entrer ? dit le portier. Vous risquez vraiment de le regretter, de vous en repentir et même de vous en mordre les doigts. »
Yvain n’y prête pas attention. Il entre avec toute sa compagnie.
Il y avait dans ce château trois cents jeunes filles misérablement vêtues et affamées qui travaillaient comme des esclaves. C’était une pitié.
« J’en ai assez vu, s’écria Yvain. Allons-nous-en d’ici !
– Ah non ! dit le portier, on ne sort plus. On vous avait bien dit de ne pas venir. Il fallait réfléchir avant. »
Très gêné, le chevalier va saluer ces jeunes filles qui n’osent pas le regarder tant elles se sentent humiliées. Yvain leur demande ce qui leur est arrivé. L’une d’elles enfin se décide à parler :
Il y a bien longtemps, le roi de l’île aux Fées, qui n’avait que dix-sept ans, a demandé l’asile dans ce château. Il est habité par deux individus infréquentables, issus du croisement entre une femme et un démon. Ils ont menacé le jeune roi de le tuer, à moins qu’il ne lui livre chaque année trente vierges pour en faire ses esclaves, et ceci tant que les netuns (c’est ainsi que l’on nomme ce type de démons) seront en vie. Tiens ! ça me rappelle quelque chose, cette histoire-là. Chut ! Il ne faut pas en parler. Pas d’amalgame, comme dirait mon dentiste.
Revenons à notre histoire. Vous avez certainement deviné que, pour délivrer ces pauvres filles, Yvain et son lion vont encore s’embarquer dans de sanglants combats.
Quoi qu’il en soit, Yvain ne pourra pas quitter ce maudit château avant d’avoir vaincu les deux affreux jojos, et sans l’aide du lion. On comprend mieux pourquoi les voisins ont tout fait pour le dissuader d’y entrer.
Le combat commence. Seul contre les deux colosses, Yvain ne fait pas le poids. Le lion s’énerve dans sa niche et finit par s’échapper. Il déchiquette l’un des netuns pendant que son maître s’occupe de l’autre. On a toujours besoin d’un petit lion chez soi.
Bien entendu, les jeunes esclaves retrouvèrent la liberté, et le seigneur du pays voulut récompenser Yvain en lui offrant sa fille, ce qu’il refusa puisqu’il était déjà marié, officiellement du moins, avec Laudine.
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Guidé par sa camarade, le chevalier au Lion parvient au château où l’attend, malade et désespérée, la jeune demoiselle de Noire-Épine. La voici subitement requinquée à la vue de son héros. Ils prennent dès le lendemain la route jusqu’à la cour de roi Arthur. Il était temps, car nous sommes à la veille de la date butoir.
Nos trois compères, le lion inclus, passent la nuit dans une auberge. Le lendemain, la grande sœur présente au roi son champion, Gauvain, qui garde son heaume pour ne pas se faire reconnaître.
« Je n’aurai pas besoin de lui, de toute façon. Cette petite sotte n’a pas été capable de trouver un chevalier dans les délais. Elle ne viendra pas. À moi le pactole !
– Pas si vite, répond le roi. Il reste encore quelques grains dans le sablier. »
Arthur était bien contrarié. Il avait bien discerné la méchanceté de la sœur ainée et le bon droit de la cadette. À peine avait-il remis celle-ci à sa place qu’on vit arriver la jeune fille et son chevalier, le lion étant resté à l’auberge. Le roi l’accueillit avec bienveillance et courtoisie.
Je ne vous décris pas la lippe de la vilaine grande sœur qui se croyait déjà en possession de l’héritage de la plus petite.
Les ultimes tentatives de conciliation demeurèrent vaines : la plus jeune était d’accord pour une résolution du conflit à l’amiable, mais l’aînée ne voulait rien savoir : cétamoi, cétamoi, cétamoi, epicétou !
Alors, il n’y a pas trente-six solutions, il faut castagner.
Dans l’armure intégrale, Yvain et Gauvain se connaissent mais ne se reconnaissent pas. Les amis intimes vont devenir les pires ennemis du monde. On assiste à un combat d’une violence inouïe, les heaumes sont tout cabossés, les hauberts déchiquetés, les boîtes de conserve complètement aplaties, fendues, transpercées, les tripes commencent à se rependre avec les rondelles de carottes qui les garnissent.
La journée touche à sa fin. Les deux combattants, à moitié disloqués mais toujours aussi vaillants combattent jusqu’à plus soif. Il va tout de même falloir que ça s’arrête. On ne va pas y passer la nuit. La reine Guenièvre elle-même intervient, demandant au roi d’accorder sa faveur à la plus jeune, puisque tout le monde a compris que c’est elle qui est dans son droit, mais tant que l’autre fait sa hure, Arthur n’en peut mais.
Enfin, le combat semble vouloir s’achever sans qu’il n’y ait de vainqueur. Il est temps que les protagonistes se présentent l’un à l’autre. Bien que prodigieusement amochés, ils parviennent à se reconnaître.
« Gauvain ! Vieille canaille ! Qu’est-ce que tu fais ici ?
– Yvain ? Je te renvoie la question, vieille crapule ! »
Après les gnons, les embrassades. Après s’être battus pour la victoire, ils se disputent l’honneur d’être le perdant :
« C’est moi, le vaincu.
– Non, c’est moi.
– C’est moi. »
Faute d’une solution plus virile, le roi n’a pas d’autre choix que d’appliquer la méthode Salomon.
« Où est la demoiselle qui, sans aucune pitié, a chassé sa jeune sœur de ses terres ?
– Me voici, Sire.
– Ben voilà ! Vous venez d’avouer.
– M’enfin ! »
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Tous ces problèmes enfin réglés, les blessures ayant été soignées, Yvain peut enfin penser à lui, et son problème, justement, c’est Laudine qui ne veut toujours plus de lui. Son plan pour la reconquérir est tout simple : il va retourner à la fontaine déclencher, comme dirait l’autre, des cataclymses, et comme il n’y a plus de gardien de la fontaine, il recommencera jusqu’à ce qu’elle le reprenne.
Il ne tarda pas à mettre son projet à exécution, versant de l’eau à plein baquet, provoquant une mini-tornade, comme ils le disent si bien à TF-Crét1. S’il y en a un qui se frotte les mains, c’est le couvreur.
Laudine ne sait vraiment plus quoi faire, elle demande conseil à sa petite Lunette.
« C’est tout simple, puisqu’aucun de tes hommes n’est capable de surveiller cette maudite fontaine, il faut que tu rappelles le Chevalier au Lion. »
Ça ne promet pas d’être facile, mais Lunette est devenue virtuose dans l’art de la médiation. Elle parvint, non sans détour, à rabibocher notre couple.
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Ainsi s’achèvent les aventures d’Yvain, le Chevalier au Lion. Pour une fois, Chrétien de Troyes arrive jusqu’au bout de son histoire, et il précise, non sans fierté, que si quelqu’un y ajoute quoi que ce soit, ch’é qu’in minteu.
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[1] En fait, il s’appelait tout simplement Herzog (duc) Karast von der Karnburg
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