ACTE III
Une salle de tribunal.
Scène première
LAUWREL – HAWRDY
HAWRDY
Olliver Lawrel, my deer, c’est un grand joa de vô retouveille ici.[1]
LAUWREL
Pôr moi aussi, deer friend Stanley Hawrdy, c’est une grande plaisir de vô revoar.
HAWRDY
Aveille vô visiteille le magnifique cafidrôle de Chartres.[2]
LAUWREL
Haouw ! J’ai bien remarqueille un intéressant petit église avec deux clocheilles. Mais je ne suis pas veniou en France pôr cela.
HAWRDY
Of course ! Nô sommes venious pôr une proceille. Et nô ne serons pas décious, ce sera une wonderproceille.
LAUWREL
Cette tribiounole vaut bien un cafidrôle.
HAWRDY
Je souis vraillement presseille de voar ce grwenouille qui a voleille à ce chewe Newton le loa de Youniversal grwévitécheun.
LAUWREL
My goodness ! Auzudouille, c’est nô les Angleille qui mangerons grwenouille.
(Le tribunal commence à se remplir de magistrats et d’assistants, puis entrent le Juge, Dufour et Dumoulin, Chasles.)
HAWRDY
Haouw ! Je croas que le proceille va commenceille. Viens, Stanley. Trôvons-nô un camftebole pleyce.
(Les deux Anglais s’installent dans les rangs.)
Scène II
LAUWREL – HAWRDY – LE JUGE – L’AVOCAT GÉNÉRAL – DUFOUR – DUMOULIN – CHASLES –
VRAIN-LUCAS – Figurants.
LE JUGE
Mesdames et messieurs, un peu de silence s’il vous plaît. Je déclare la séance ouverte. Faites entrer l’accusé.
(Vrain-Lucas paraît à a barre.)
Veuillez décliner vos nom, prénom et qualité.
VRAIN-LUCAS
Vrain-Lucas, Denis, la patience et le courage.
LE JUGE
Plaît-il ?
VRAIN-LUCAS
J’ai dit : « Vrain-Lucas, Denis, la patience et le courage ».
LE JUGE
Est-ce que vous vous moquez de moi, pour commencer ?
VRAIN-LUCAS
Vous me demandez de décliner mes qualités, je décline mes qualités. Je pourrais même ajouter la modestie et la franchise.
LE JUGE
Je vous demande ce que vous faites dans la vie.
VRAIN-LUCAS
Ah ! Euh ! Archéologue.
DUFOUR
Archéologue ! Et moi je suis archevêque !
LE JUGE
Silence !
Monsieur Vrain-Lucas, vous êtes accusé, sur la plainte de Messieurs Dufour et Dumoulin, ici présents, de forgerie.
VRAIN-LUCAS
Oh ! Forgerie ! C’est un bien grand mot. La métallurgie n’est pas ma spécialité. Je serai plutôt un littéraire.
DUMOULIN
Et même un grand littéraire ! C’est le Victor Hugo de la forgerie !
LE JUGE
Silence ! Monsieur Vrain-Lucas. Qu’avez-vous à dire pour votre défense ?
VRAIN-LUCAS
Encore faudrait-il comprendre de quoi l’on m’accuse. Forgerie ! Est-ce que j’ai une tête de forgeron ? Je vous demande un peu ! S’il s’agit des quelques documents rares que j’ai fournis, et dont certains calomniateurs prétendent qu’ils seraient faux, j’ai travaillé dur pour trouver, de par le monde, de précieux manuscrits qui ont permis à la science de faire une grande avancée.
LE JUGE
Bien ! À ce que j’entends, vous êtes un grand nigaud. Je vais vous expliquer tout cela dans un langage que vous pourrez comprendre. La forgerie, cher Monsieur, est un délit qui consiste à fabriquer de faux documents à des fins crapuleuses.
VRAIN-LUCAS
Oh ! Crapuleuses, vous exagérez un peu.
LE JUGE
Silence !
CHASLES
Je vous demande pardon, votre honneur, mais ce brave Monsieur Vrain-Lucas n’a fait que rendre service. Les textes qu’il m’a fournis ont permis de démontrer que c’est un savant français qui a découvert la loi de la gravitation universelle. Cette révélation a ébloui les scientifiques du monde entier et toute la gloire en rejaillit sur notre pays.
LAUWREL
Ce grwenouille est vrwaiment tout gonfleille d’aier !
LE JUGE
Silence ! La parole est à l’Avocat général.
L’AVOCAT GÉNÉRAL
Votre honneur, j’ai dans les mains la dernière acquisition de mon client Michel Chasles, une lettre d’Henri IV qui lui a coûté la bagatelle de 200 000 francs.
CHASLES
Oh non ! Moins cher que ça !
L’AVOCAT GÉNÉRAL
Rectification : 199 999 francs et 95 centimes.
Je vous laisse le soin d’en faire la lecture.
LE JUGE
« Mademoiselle Dianne de Poitiers, » Deux N !
18, boulevard Voltaire. »
(Il pouffe de rire.)
Boulevard Voltaire !
Pourquoi pas « Place de la République, Paris Onzième ? »
(Il continue la lecture en riant.)
« Je te remercie de m’avoir écrit et j’espère que chez toi, à Poitiers le temps est meilleur que chez nous, parce qu’ici, Paris vaut bien une messe et la poule au pot ne nourrit pas bien son homme. »
CHASLES
Je ne vois rien d’amusant là-dedans.
LE JUGE
Silence ! Pfff !
Continuons. Je sens que ce procès ne va pas engendrer la mélancolie.
« Si je t’écris, c’est pour te dire que dimanche, je voudrais t’inviter à venir voir le nouveau château que j’ai fait construire spécialement pour toi, à Anet-sur-Loir. »
(retrouvant son sérieux)
Anet-sur-Loir, vous en êtes sûr ?
L’AVOCAT GÉNÉRAL
Sur-Marne. Anet-sur-Marne. Je connais bien, je suis briard. Entre Claye et Thorigny, sur le méandre de Jablines.
LE JUGE
Merci pour ce cours de géographie. Et y a-t-il un château à Anet-sur-Marne ?
L’AVOCAT GÉNÉRAL
Non.
(Éclat de rire du Juge.)
CHASLES
Monsieur le Juge, j’ai avec moi une quantité d’autographes dont les experts ne pourront nier l’authenticité, par exemple cette missive de Socrate à Euclide.
LE JUGE.
« Je viens vous dire par cette lettre qu’Anitus et Mélitus m’accusent d’impiété. Ils peuvent bien me faire mourir, mais ils ne sauraient me nuire. Etc. Etc. »
Monsieur Vrain-Lucas. Pourriez-vous m’expliquer comment Socrate, dont le grec était la langue maternelle, a pu s’exprimer en aussi bon français ?
VRAIN-LUCAS fouille ses poches
Ah ! Euh ! Oui… Enfin non ! En fait, c’est-à-dire… Comment dirais-je ? Oui, mais non parce que oui.
LE JUGE
Essayez d’être un peu plus clair.
VRAIN-LUCAS
L’explication est très simple, en fait, moi je trouve. Bon. Voilà : c’est très simple, vraiment très simple. C’est à la fois simple et compliqué d’ailleurs. Tout dépend du point de vue duquel on se place.
LE JUGE
Au fait !
VRAIN-LUCAS qui a retrouvé son « anti-sèche »
Alors voilà : sous le règne de Charlemagne, le célèbre philosophe Alcuin a rassemblé toute cette collection qu’il déposa à l’abbaye de Tours. Sept siècles plus tard, Rabelais les redécouvrit, en fit des copies et des traductions. Au XVIIe siècle, le vicomte de Boisjourdain en fit l’acquisition et s’exila à Baltimore pour fuir la Révolution, emportant avec lui les précieux manuscrits. Le bateau qui ramenait les descendants des Boisjourdain fit malheureusement naufrage, mais sa collection échappa au désastre, ce qui ne lui donne que plus de valeur.
CHASLES
Vous m’inquiétez. Ne m’avez-vous pas dit que vous avez fouillé toute la Mongolie pour trouver une lettre de Gengis Khan dans un yaourt ?
LE JUGE
Un yaourt ?
CHASLES
Une yourte.
VRAIN-LUCAS
Oui, euh ! Effectivement. C’est-à-dire qu’en fait voilà : la collection Boisjourdain contenait les manuscrits eux-mêmes, mais aussi des documents dans lesquels le vicomte rendait compte de ses recherches personnelles. Ce sont ses notes qui m’ont mené sur la piste mongole.
CHASLES
Me voici rassuré.
LE JUGE
Pas moi. J’appelle à la barre Sir Olliver Lauwrel.
(Lauwrel vient à la barre.)
Veuillez décliner vos nom, prénom et qualité.
LAUWREL
Lauwrel, Olliver, mèmbeure diou Royal Scientific Académy.
LE JUGE
Sir Olliver Lauwrel, nous vous écoutons.
LAUWREL
Il éille reconiou dans le monde entiéille que c’est un anglèille : Isaac Newton, qui, ayant reciou un pomme sur le figioure, a discover le loa du youniversôl grwéviteillecheune. Or, il nôs arwive que ce grwen… que cet individiou, prwodouisant à l’Academy de faux doquiouments, ose prwétendeure que c’est un grwen… un frwancéille, qui a trwouvéille le loa avant Newton.
DUMOULIN
Scandélousse !
LE JUGE
Silence ! Monsieur Chasles, que répondez-vous à cette aquiousécheune, pardon, cette accusation ?
CHASLES
Je suis étonné, offusqué, choqué, et je dirais même offensé devant de tels propos. Tous mes autographes sont d’une authenticité incontestable. Monsieur Vrain-Lucas, qui est spécialiste en la matière, pourra vous l’attester. Le document que j’ai fourni à l’Académie des sciences est indubitablement de Blaise Pascal. J’ai formellement reconnu son écriture. D’autre part, je ne permets pas que l’on mette en doute la probité de Monsieur Vrain-Lucas. C’est un homme de science, et un scientifique ne saurait contrefaire la vérité.
HAWRDY
Ce Vraine-Lioucasse est un charwlatane.
LE JUGE
Silence !
LAUWREL
Un rascal.
LE JUGE
Silence !
HAWDRY
Un crapioule.
LE JUGE
Silence !
DUFOUR
Un bandit.
LE JUGE
Silence !
DUMOULIN
Un faussaire.
LE JUGE
Silence !
LAUWREL
Un frwouipouille.
LE JUGE
Silence !
HAWRDY
Un canaille.
LE JUGE
Silence !
LAUWREL
Un rwacaille.
LE JUGE
Silence ! Ou je fais évacuer la salle.
Continuez, Monsieur Chasles.
CHASLES
J’étais en train d’exprimer mon étonnement et mon indignation. Je suis surpris qu’on nous montre du doigt Monsieur Vrain-Lucas comme un coupable, lui qui s’est donné tant de peine pour faire éclater la vérité, lui qui a eu une enfance malheureuse et une jeunesse difficile, lui qui toute sa vie a fait face à l’adversité, lui que mes éminents collègues raillent et accusent alors que demain ils lui érigeront un monument. Car enfin, Messieurs, regardez cet homme dévoué, cet homme qui n’hésite pas à parcourir le monde en quête de pièces uniques qui bientôt feront la gloire de nos musées. De quel droit osez-vous fustiger un héros auquel la France doit tant ?
LE JUGE
Une chose m’échappe dans ce procès : Monsieur Chasles, êtes-vous la victime ou l’avocat de la défense ?
CHASLES
Victime certainement pas ! En quoi ai-je été spolié ?
LE JUGE
C’est bien à vous qu’on a vendu deux cent mille francs une simple feuille de papier ?
CHASLES
Une simple feuille de papier qui dans cent ans vaudra cent millions. Tenez, je vous ai apporté, parmi tant d’autres, une des plus belles pièces de ma collection. Je vous mets au défi de me prouver qu’elle n’est pas écrite de la main de Cléopâtre elle-même et adressée à Jules César lui-même.
(Il sort de sa poche une lettre qu’il donne au juge. Le juge lit, puis regarde le document à la lumière du jour et éclate de rire. Puis il la donne à l’avocat général qui, de même regarde la feuille à la lumière et se met à rire à son tour.)
LE JUGE
Vous avez remarqué, monsieur l’Avocat général ?
L’AVOCAT GÉNÉRAL
La même chose que vous, votre Honneur.
LE JUGE
Et qu’avez-vous remarqué ?
L’AVOCAT GÉNÉRAL
Un filigrane.
LE JUGE
Et que nous dit-il, ce filigrane ?
L’AVOCAT GÉNÉRAL
« Vélin d’Angoulême. »
[1] Contrairement aux allemands dans « le meunier Pélard », les anglais parlent français avec un accent « so british ». C’est la logique Lilianof.
[2] Dans la réalité, le procès s’est déroulé à Paris, et non à Chartres.
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