Chapitre XXVI - Éva prend une gifle
Les Parisiens étaient émerveillés par le décor baroque du palais dans lequel ils avaient été introduits, particulièrement nos amis d’Afrique qui ne connaissaient que leur quartier et leur appartement insalubre. C’est donc dans cette grande maison qu’habitait leur amie.
« C’est Versailles, ici, fit remarquer Julien.
« Tout de même pas, répondit Lynda, mais la Syldurie est plutôt fière de son palais, de sa galerie d’art et sa bibliothèque royale, qui seront bientôt ouvertes à tous.
– C’est vraiment gentil de nous accueillir ici, dit Valérie. Mais loin de Youssouf, le plus merveilleux palais sera pour moi comme une prison.
– Ne sois pas triste. Youssouf te sera bientôt rendu, je te le promets.
– Merci.
– Traverser ton pays en avion valait le coup d’œil, ajouta le commissaire. La Beauce vue du ciel n’est pas si jolie. »
Lynda sourit.
« Mon pays est le plus beau pays du monde.
– Yssouvrez ne viendra pas nous chercher ici, c’est sûr », dit Yakouba.
Mamadou, se sentant bien à l’abri, fit part de sa satisfaction :
« Nous allons nous plaire dans cette maison.
– Malheureusement pour vous deux, Mohamed et toi n’y resterez qu’une nuit. Dès demain, je vous livrerai à la police royale qui vous conduira au centre de détention. Rassurez-vous, les conditions de vie y sont très humaines. Et cela fait partie de notre contrat.
– Nous ne l’avons pas oublié, Lynda, et nous ne voulons pas trahir ta confiance.
– Je veillerai à ce que vous soyez jugés dans les jours qui viennent. Et comme je vous l’ai dit, je témoignerai en votre faveur de votre repentir et de votre désir de commencer une nouvelle vie. Je saurai convaincre le juge. Et toi, ne t’avise pas de te présenter devant lui avec ta casquette à l’envers, ou tu auras affaire à moi ! »
Oubliant les aventures passées et les aventures à venir, nos amis se mirent à parler de toutes sortes de sujets. L’humeur était aux anecdotes amusantes et aux plaisanteries. Julien se leva pour admirer les beautés de ce salon et découvrit, sur une table, les trois verres et les quatre bouteilles vides.
« Mais dis-moi, Lynda, on n’engendre pas la mélancolie chez toi.
– Ces lamentables marquis ont profité de mon absence pour mettre la maison en désordre. Je les punirai sans aucune indulgence.
– S’il y a quelques baffes à donner, je suis toujours partante, » répliqua Fabienne.
Plus d’une heure s’était écoulée et Lynda, se rendant compte de la fatigue de ses hôtes qui venaient de subir un voyage et de nombreuses émotions, appela Antonia, la servante, et la pria de conduire chacun d’eux dans la chambre qui lui était réservée.
Se retrouvant seule, la jeune reine inspecta la table où les marquis avaient bu, et y trouva les journaux que, dans son émoi, Bifenbaf y avait laissés. Elle lut attentivement les articles la concernant et murmura :
« Ça mon petit père, tu vas me le payer ! »
Pendant sa lecture, Éva pénétra dans la salle. Comme elle était surprise de retrouver sa sœur face à elle !
Elle courut se jeter dans ses bras.
« Quelle joie ! Je te croyais morte.
– Morte ? Moi ? En voilà une idée !
– Tes aventures parisiennes se sont donc bien terminées. J’en avais reçu d’autres échos.
– Je te raconterai tout cela en détail.
– Oh ! Oui ! J’ai eu si peur ! Je croyais ne plus te revoir.
– Eh ! bien ! Tu m’as revue. La vie va reprendre son cours et nos péripéties, je l’espère, s’achèvent ici. Reposons-nous un peu avant de nous remettre au travail. »
Après un court silence, Éva essuya discrètement une larme à la commissure de son œil.
« Ma pauvre ! Si je t’avais perdue ! Mon deuil aurait assombri la bonne nouvelle.
– Mais enfin, de quoi parles-tu ? Quel deuil ? Quelle bonne nouvelle ?
– Je vais me marier ?
– Tu vas te marier ? Toi ? s’exclama Lynda tout excitée. En effet, si j’étais morte, je n’aurais pas pu venir à ta noce. Ç’aurait été dommage. Et qui est donc l’élu de ton cœur ?
– Otto.
– Otto ?
– Ottokar.
– Qui ça ? Ottokar ?
– Ottokar de Kougnonbaf.
– Quoi ?
– Ottokar m’a demandé ma main.
– Madame Éva de Kougnonbaf ! riposta-t-elle ironique. Je m’attendais à mieux. »
Éva se trouvait inquiète et déçue devant la brutale réaction de sa sœur.
« Tu n’aimes donc pas mon fiancé ? »
Le visage de Lynda, tel un ciel d’orage, s’était brusquement assombri.
« Ne t’avais-je pas mise en garde avant mon départ : “Méfie-toi des marquis et de leur hypocrisie,” t’ai-je dit. Et le mieux que tu trouves à faire, c’est de les épouser.
– Enfin, Lynda, tu es trop suspicieuse, répondit Éva, les yeux baignés de larmes. Ottokar est un homme charmant, et plein d’attentions pour moi. »
Lynda, qui cédait à la colère, lui brandit les journaux devant le visage.
« Regarde donc ce qui sort des rotatives de ton cher Otto !
– Je sais, je sais, acquiesça-t-elle, honteuse. Il m’a promis de régler ce problème.
– Il a intérêt ! Nous avons besoin de faire une petite mise au point, toutes les deux. Quand je lui aurai réglé son compte, tu passeras me voir dans mon bureau. »
Lynda quitta la salle en claquant vigoureusement la porte. Éva soupira :
« Celle-là, c’est la meilleure ! »
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