Chapitre XXIX - Le dernier combat

Son chant achevé, Lynda s’allongea sur sa paillasse où elle dormit aussi bien que dans son lit royal à baldaquin. La lumière du jour à travers l’étroit soupirail la tira de son sommeil. Le cachot n’avait jamais été aussi bien éclairé par le soleil et il lui semblait se trouver dans son salon panoramique. Elle regarda la grille qui la maintenait captive, et constata que les barreaux, en bon état quand elle avait commencé à chanter, étaient totalement ruinés par la rouille. Il ne lui fallut aucun effort pour les desceller et s’extraire de sa geôle. Elle s’introduisit ensuite dans l’ignoble chapelle de Samantha. En évidence parmi les objets de culte se dressait un crucifix de bois dont l’effigie du Christ avait été remplacée par celle de la fausse prophétesse.

Lynda soliloquait :

« Sitôt délivré, Manassé a détruit les idoles en Juda, et moi je détruis le temple de Satan en Syldurie. 

D’un coup sec, elle brisa l’objet blasphématoire contre son genou. Puis, d’un puissant coup de pied, elle renversa l’un des petits autels de marbre. Elle saisit ensuite le deuxième autel à peine mains.

« Comme c’est lourd ! » se dit-elle.

Concentrant tous ses efforts dans ses bras, elle parvint néanmoins à le soulever au-dessus de sa tête. Elle le projeta contre le grand autel, qui se fracassa.

Lynda battit des mains. Puis elle s’éloigna, gravit d’interminables escaliers hélicoïdaux. Une lourde porte cadenassée séparait la crypte de l’univers insouciant du palais.

« Et comment vais-je l’ouvrir, cette porte ? À coups d’épaule ? »

Elle s’en approcha, incrédule, et constata que la porte avait été laissée entrebâillée. Négligence ou providence ?

Voici notre Lynda arpentant ce beau château qui n’était plus le sien, mais qu’elle avait bien l’intention de reconquérir. Elle s’enferma dans une salle d’eau et se fit couler un bon bain. Elle en sortit transformée : lavée, parfumée, coiffée, habillée. Il faut dire que dans son cachot, elle s’était un peu négligée. Portant toujours sa chère Bible sous le bras, elle entra dans la chambre du couple royal et la posa précieusement à sa place habituelle, sur son secrétaire.

« Il est temps que je mette un peu d’ordre ! »

En effet, Lynda qui était un peu à cheval sur le rangement, n’était pas satisfaite de l’état de sa chambre. Sabine se l’était appropriée, avec tout son contenu. Des effets personnels de la nécromancienne traînaient un petit peu partout dans l’armoire et sur les chaises.

« Ça sent un peu le renfermé ici. »

Elle ouvrit la fenêtre et jeta dehors tout ce qui ne lui appartenait pas, y compris l’ordinateur et le téléphone portable de Sabine.

« Allez ! Hop ! Du balai ! »

Elle écarta les rideaux du lit, sursauta, puis se ravisa.

Dimitri qui, à cause d’elle, n’avait pas très bien dormi, se rattrapait en faisant la grasse matinée dans le lit de Lynda.

« Allez ! Debout là-dedans ! Ce n’est plus l’heure de dormir, cria-t-elle en le secouant par sa veste de pyjama.

– Hein !... Lynda ?... Qu’est-ce que tu fais là ?

– Ce serait plutôt à moi de te poser la question, non ? Je te trouve occupé à ronfler au milieu de mon pucier. Je ne t’y ai pas invité, autant que je sache ! Allez ! Dehors ! »

Elle l’éjecta du lit manu militari, lui passa une bonne paire de gifles et le défenestra.

Non, mais ne vous inquiétez pas pour lui, la chambre est au rez-de-chaussée.

Lynda eut bien assez de la journée pour se remettre de ses émotions. Elle se reposa dans sa chambre où personne ne vint la déranger.

La nuit venue, quatre anges, toujours en uniforme gris-bleu impeccable, rendirent visite à Julien.

« La reine désire te voir. »

Sous cette bonne escorte, Julien quitta la prison et se laissa conduire, dans une limousine noire, jusqu’au palais.

Solennellement installée sur le trône, couronne au front et sceptre en main, Sabine attendait le ci-devant Prince consort.

« Julien Lambert, qu’attends-tu pour te prosterner devant la reine du monde ?

– Je ne me prosterne que devant le Roi des rois.

– Comme tu as tort ! J’avais décidé, dans ma grande magnanimité, de te rendre la liberté, mais puisque tu le prends sur ce ton, tu seras mis à mort, pour punition de ta rébellion et ton orgueil.

– Christ est ma vie, et la mort m’est un gain.[1]

– Cela dit : Tu dois te douter de la raison de ma convocation : c’est cette nuit la pleine lune, et je vais sacrifier à la Toute-puissance ta sauterelle et tes deux mioches. Je trouve normal de t’accorder une permission pour assister à l’événement. »

Julien ne répondit rien. Une paix surnaturelle, venue d’en haut, avait anesthésié son cœur.

Deux autres serviteurs en uniforme introduisirent David et Léa. Les effusions furent brèves.

« Allons-y ! » dit-elle.

Elle se leva, marchant lentement, suivie des quatre servants qui encadraient Julien et les deux autres, portant les enfants dans leur bras.

Le sinistre cortège déambulait dans le palais, jusqu’à la non moins sinistre porte de bois, laissée entrouverte.

« Quel est l’imbécile qui a oublié de verrouiller cette porte ? »

Les six anges se regardaient les uns les autres, embarrassés.

« Bon, nous réglerons cela plus tard. Nous n’avons pas de temps à perdre. »

Une surprise désagréable attendait la prophétesse omnisciente qui, bien entendu, ne se doutait de rien.

« Trahison ! Trahison ! Conspiration ! » hurlait-elle en découvrant le cachot vide et le sanctuaire profané.

Julien n’osait pas éclater de rire, mais n’en pensait pas moins.

« Trouvez-moi Lynda, démolissez-lui le portrait, et amenez-la-moi vivante, que je l’éventre, que je l’étripe, que je l’empale, que je l’écorche vive et que je la grille à petit feu ! »

Les anges de Samantha ne se montraient pas pressés d’obéir.

« C’est moi que tu cherches, Sabine Mac Affrin ? »

Lynda se tenait debout derrière elle. La captivité n’avait pas affecté sa beauté.

« La voilà ! Saisissez-la ! Mais saisissez-la ! Qu’est-ce que vous attendez ? Bande d’empotés ! »

Après un interminable silence d’une dizaine de secondes, l’un des anges dit enfin :

« Nous avons décidé de ne plus t’obéir, Samantha Low. Tu n’es qu’une illuminée complètement ringarde, et d’ailleurs, tu es déjà vaincue.

– Ah c’est comme ça ! Finalement c’est aussi bien. Je vais lui régler son compte, ensuite je vous ferai écarteler. Mieux ! Je vous écartèlerai tous les six, membre après membre, à la seule force de mes mains. Ainsi vous comprendrez, dans la douleur, que la Toute-puissance demeure en moi. »

Inconscients du drame qui se jouait, David étreignit les jambes de sa mère et Léa pleurait dans les bras de l’homme qui la portait.

« Emmenez les enfants jouer dehors. Ce qui va se passer ici n’est pas de leur âge. »

Les deux soldats étaient plus prompts à obéir à Lynda qu’à leur maîtresse. David et Léa furent écartés du lieu maudit.

« Tenez-moi ça ! » dit Sabine en tendant à ses sbires le sceptre et la couronne, emblèmes royaux qui la gênaient plutôt qu’autre chose.

Les deux femmes, prêtes à s’affronter, se tenaient maintenant face à face, se défiant du regard.

« La dernière correction que je t’ai donnée aurait dû te laisser des souvenirs, Lynda de Syldurie. Puisque tu as si peu de mémoire, il va falloir que je recommence. »

Samantha empoigna son adversaire, comme la première fois, mais ne parvint pas à la soulever.

« Ta force de titan t’a abandonnée, et tes hommes ne t’obéissent plus. As-tu une explication à cela ? »

Fièrement campée sur ses jambes, brandissant ses poings crispés devant le visage de son ennemie jurée qui, elle aussi se préparait à l’attaque, elle lui lança cette petite phrase préparée depuis si longtemps :

« À nous deux, Samantha ! »

Avec une rapidité surprenante, Samantha décocha deux coups de poing. Lynda encaissa le premier et esquiva le second. Aussitôt, elle riposta par une droite en pleine face.

« Celui-ci, c’est pour David. »

Samantha recula de quelques pas, abasourdie. Son corps oscilla, prêt à basculer. Mais elle se ressaisit, retrouva son équilibre, frappa une nouvelle fois dans le vide.

Lynda lui asséna encore un crochet du gauche. Samantha tournoya sur elle-même et se laissa projeter contre la paroi, derrière elle, ses deux mains frappant la pierre.

« Celui-là, c’est pour Léa. »

À demi assommée, l’infâme prophétesse tenta une nouvelle fois de frapper. Mais l’uppercut de Lynda l’étendit au sol, inanimée.

« Et celui-là, c’est pour moi. »

Lynda se frappait les mains en signe de satisfaction. Julien applaudissait sans retenue. Elle enjamba le corps inerte de son ennemie.

« Debout, reine du monde ! C’est l’heure de l’abdication. »

« Attention ! » s’écria Julien.

En l’espace d’une seconde, Samantha avait replié ses jambes sur elle-même et les détendit comme un ressort, projetant Lynda en arrière.

Lynda perdait le souffle. Un boulet de canon semblait lui avoir percuté l’estomac.

Une dague fendit l’air en sifflant et se ficha dans sa cuisse, lui arrachant un cri de douleur. D’instinct, elle arracha le poignard de son corps, au prix de nouvelles souffrances et le projeta de toutes ses forces en direction de la sorcière à nouveau debout. La lame meurtrière s’enfonça, jusqu’à la garde, dans la poitrine de Samantha.

Sabine s’effondra en poussant un cri aigu. Lynda, blessée, fléchit les genoux et s’abattit épuisée sur le sol, les deux ennemies mêlant leur sang en un fleuve cramoisi.

Julien étreignit le corps de Lynda avec un cri de désespoir. L’un des anges déchus, secouriste par surcroît, lui appliqua un point de compression. Un autre appela une ambulance.

 

[1] Philippiens 1.21

 

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