Deuxième tableau
Calais, la boutique de Chabanut.
Scène première
CHABANUT
Le jour se meurt sur la ville
Et nos besognes serviles
S’éteignent avec la nuit.
Calais s’assoupit sans bruit.
Le port abaisse ses voiles,
S’estompe sous les étoiles.
Quel bon jour pour un drapier !
J’ai bien vendu quelques pieds.
Dans cette étroite venelle
S’éloigne la clientèle.
Après le jour de labeur
Voici l’ombre de la peur.
Le danger dans ces rues sombres,
Et les brigands en grand nombre.
Chacun s’enferme chez lui
Et verrouille bien son huis.
v
Antoine, cet étourdi, a encore oublié de fermer le volet. Qu’arrivera-t-il si un voleur s’introduit dans la boutique ? C’est vrai qu’il m’a fallu bien du courage pour ouvrir mon commerce dans ce quartier si mal fréquenté. Mais je suis un homme à me défendre. Et puis, en cas de danger, chacun ici peut compter sur ses voisins.
Mais, j’entends des pas sur le pavé. Qui peut bien venir à cette heure ? Sans doute un étranger, car les gens d’ici n’ont pas de souliers.
(On frappe, Chabanut ouvre. Entre Charles de Chassagnac.)
Scène II
CHABANUT – CASSAGNAC – CHOEURS
CASSAGNAC
Je cherche la boutique du Drap d’Or. Pourriez-vous me renseigner ?
CHABANUT
Vous y êtes ici même. Maître Chabanut, pour vous servir.
CASSAGNAC
Peut-on causer ?
CHABANUT
Entrez, Messire, entrez, vous êtes le bienvenu.
CASSAGNAC
Je suis Charles de Cassagnac, de La Rochelle, et je viens directement d’Anvers.
v
Du grand port de l’Escaut je suis venu ce soir,
J’ai traversé la Flandre, il me fallait vous voir.
Je voudrais vous parler de mon oncle Pierre
Qui, voilà bien longtemps, partit pour l’Angleterre
Et que jamais nous n’avons revu.
CHABANUT
Je m’en souviens.
CASSAGNAC
Qu’est-il donc devenu ?
Car depuis dix-huit ans nous n’avons que silence.
A-t-il quitté la France ?
A-t-il été repris par les prévôts du roi ?
Mourut-il aux galères ? Je crains que pour tous trois
Ne soit advenu le pire
Et qu’en mer ils ne périrent.
CHABANUT
Tous trois ?
CASSAGNAC
L’ignorez-vous ? Alors qu’ils comptaient fuir,
Quelques mois avant de partir
Tante venait de mettre au monde une fillette,
Ma cousine Idelette.
v
CHABANUT
J’ai remis votre oncle et votre tante aux bons soins de Merlu, de Wissant. Ils devaient se rencontrer pour embarquer à Audresselles. Un triste sire, ce Merlu, mais le meilleur marin de toute la côte. Il ne m’a pas dit qu’il y avait un enfant avec eux. Tout ce que j’ai appris de lui, c’est que, malgré la terrible tempête, ils ont voulu prendre la mer. Et ce qui devait arriver s’est produit. On a retrouvé la barque brisée, ainsi que les deux corps, tout près du Gris-Nez.
v
CHŒURS
Dans l’angoisse
Et la nuit
Le vent passe
Et s’enfuit.
Que de carnages !
Que de naufrages !
Sur les rochers
Tant de nochers
Se sont brisés
Loin du rivage.
CASSAGNAC
Quand j’imagine cette nuit,
Nuit de terreur et de naufrage,
Je vois s’abîmer à grand bruit
Cette barque sur le rivage.
CHŒURS
Oh ! Quel effroi !
Quel désarroi !
Rames brisées !
Voile arrachée !
S’engouffrent les flots dans le bois trépané
Des navires éperonnés.
Les victimes damnées
Dans le gouffre abîmées...
Cette nuit-là, y songes-tu ?
Le Cran-aux-Œufs, tel un fétu,
Brisa de tes parents la fragile nacelle.
Les vois-tu, Cassagnac, Baron de La Rochelle ?
CASSAGNAC
Hélas ! pauvres parents !
Hélas ! pauvre Idelette !
Perdus en un instant !
Noyés dans la tempête !
Mais il me faut savoir.
Je veux garder l’espoir.
Qu’on me trouve un bateau voguant sur Audresselles !
De ce drame il me faut dénouer les ficelles.
CHŒURS
Dans l’angoisse
Et la nuit
Le vent passe
Et s’enfuit.
Que de carnages !
Que de naufrages !
Sur les rochers
Tant de nochers
Se sont brisés
Loin du rivage !
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