Chapitre VIII - Xanthia
À peine réveillée, Elvire tenta de remuer ses bras.
L’angoisse envahit tout son corps quand elle comprit qu’elle était attachée à une table d’opération. Pour quelle expérience diabolique allait-elle servir de souris de laboratoire ? Elle se mit à crier :
« Il y a quelqu’un ? Hé ! Répondez-moi. Je veux partir d’ici. »
Elle avait beau se débattre, ses chevilles et ses poignets étaient solidement entravés.
Au bout d’interminables instants, Xanthia apparut enfin, plus blonde que jamais. Elle avait changé sa robe noire de soubrette contre une blouse blanche d’infirmière.
« La demoiselle a-t-elle bien dormi ?
– Vous avez mis quelque chose dans le champagne ! Combien de temps ai-je dormi ?
– Pas longtemps. Juste le temps de vous transférer à la clinique du docteur Thanatos.
– Docteur Thanatos ? »
Elvire contempla un long moment le visage de l’étrange jeune fille, infirmière ou tortionnaire.
« Qu’allez-vous faire de moi ? »
Xanthia ne répondit pas. Elle était soigneusement occupée à remplir une seringue d’un liquide incolore, puis elle serra le bras de sa patiente avec un garrot de caoutchouc.
« J’espère que vous n’avez pas peur des piqûres. »
Elvire s’agitait.
« Ne remuez pas comme ça, sinon l’aiguille va faire mal en pénétrant.
– Qu’est-ce que c’est ? Vous allez m’euthanasier ? C’est ça ? Qu’est-ce qu’il y a dans cette seringue ?
– Laissez-vous faire. »
Elvire se débat désespérément, Xanthia lui assène une violente paire de gifles.
« J’espère que ça va vous calmer. Vous devriez avoir honte. Une grande fille comme vous ! »
Abasourdie et résignée, Elvire cessa de résister. L’aiguille pénétra dans sa veine. La diabolique infirmière pressa lentement sur le piston. Une chaleur agréable remonta jusqu’à son épaule, puis se dispersa rapidement dans sa poitrine, son ventre et ses jambes. Elle sentit son corps se détendre. L’injection tant redoutée lui apportait finalement l’euphorie.
« Alors, mademoiselle Saccuti, comment vous sentez-vous ?
– Très bien, je vous remercie. »
Xanthia commença à la délier.
« Vous voyez bien que ce n’était pas si terrible que ça. Il n’y avait pas de quoi vous énerver.
– Je suis environnée de bonheur.
– Bienvenue au paradis.
– Xanthia ! Que vous êtes belle ! Votre corps resplendit comme un diamant, vous êtes pure comme le cristal… vous ressemblez à un ange… un ange aux cheveux d’or… À moins que vous ne soyez un démon… un démon à la crinière de feu… le feu de l’enfer… comme vous avez de grandes ailes ! Xanthia ! Prenez-moi dans vos bras… emmenez-moi avec vous dans les airs… par-dessus les toits bleus… au-delà des océans roses… portez-moi sur vos épaules, envolons-nous ensemble… jusqu’à Tahiti, ou aux Seychelles… loin d’ici, toutes les deux… rien que nous deux… »
Xanthia l’aida à se redresser et la prit par la main. Elvire se blottit contre elle comme un enfant et lui caressa les cheveux. O’Marmatway entra dans la pièce.
« C’est fait ?
– Elle est cuite à point. Il n’y a plus qu’à laisser refroidir.
– Docteur Thanatos ! Comme vous êtes beau ! Avec votre barbe fleurie, vous ressemblez à Poséïdon, le dieu de la mer. À moins que vous ne soyez Zeus en personne… Je vous aime, Docteur, serrez-moi dans vos bras, que je vous couvre de mes lèvres… »
Elle se précipita sur Thanatos et le ceintura de ses bras au point de l’étouffer.
« Allons, allons, chère Elvire ! Comme vous y allez ! Euh… Xanthia, vous êtes sûre que vous n’avez pas forcé sur la dose ?
– Mon merveilleux amour, emportez-moi aux confins de l’univers, je suis prête à vous suivre dans les plus lointaines galaxies… d’ailleurs, j’y suis déjà… Je vois les nébuleuses, les quasars… Un trou noir va nous aspirer tous les deux dans l’inconnu, rien que nous deux… mon amour… »
Combien de temps dura cette phase amoureuse ? Qu’importe. Elle laissa rapidement place à la phase hyperactive. Elvire courait et sautait comme une petite fille dans la cour de récréation. Elle dansait, exécutait toutes sortes de flips et de saltos avant et arrière. C’est tout juste si elle ne marchait pas sur les murs comme une araignée.
Enfin, les effets remarquables du médicament du docteur Thanatos finirent par se dissiper. Elvire s’étendit sur un lit confortable laissé à sa disposition et tomba dans le même lourd sommeil qui avait suivi la coupe de champagne.
La blonde infirmière, vêtue cette fois en joueuse de tennis, la réveilla par quelques gifles presque amicales.
« Alors, ma chérie, ton voyage intersidéral s’est-il bien déroulé ?
– Qui êtes-vous, madame, et pourquoi suis-je ici ? répondit-elle d’une voix faible.
– Tu ne te souviens plus de rien ?
– Je me souviens d’avoir passé des moments merveilleux, et puis je me retrouve je ne sais comment, allongée sur ce lit.
– Je suis Xanthia, l’assistante de Thanatos, et tu es ma prisonnière.
– Comment ça, votre prisonnière ?
– Le maître t’avait chargée d’une mission.
– Le collier d’Olga ! Mais c’est ridicule !
– Il prend l’affaire très au sérieux, en tout cas. Et puisque tu n’étais pas très disposée à nous offrir ta collaboration, nous avons été au regret d’employer les grands moyens.
– Je ne comprends pas.
– Tu ne comprends pas ? C’est pourtant simple. Tu as vécu des instants paradisiaques, n’est-ce pas ? Et il ne tient qu’à toi de les revivre. Je t’ai injecté un mélange à ma façon qui va t’exploser les neurones. Demain je vais te faire une deuxième piqûre qui va te propulser au septième ciel, et après-demain une troisième. À partir de cette troisième injection, tu seras totalement dépendante. Autant dire, ma chérie, que tu es à ma merci. Si pour ton malheur tu refuses de m’obéir, tu seras privée de dessert : pas de piqûre ; et le manque provoquera une douleur insoutenable. Alors tu as intérêt à faire tout ce qu’on te dit. Nous voulons le collier. Fais en sorte que Lynda te donne les clés du coffre. Emploie la méthode que tu voudras : la ruse, la séduction, la trahison, la torture… la fin justifie les moyens.
– Vous êtes un monstre ! Ça ne se passera pas comme ça ! Je… je… »
Elvire regardait autour d’elle, comme cherchant du secours. Xanthia saisit son sac à main et le lui jeta avec mépris.
« C’est ça que tu cherches ? »
Elvire fouilla le sac d’une main fébrile. Son pistolet s’y trouvait encore. Elle l’arma et le pointa vers son ennemie.
« Laissez-moi sortir. Conduisez-moi dehors, ou je vous tue. »
Xanthia se mit à ricaner.
« Ma pauvre fille ! C’est avec ce jouet que tu veux me faire peur ?
– Ce n’est pas un jouet. Mains en l’air ! N’oubliez pas que je suis championne de tir.
– Tu étais. Ça, c’était avant que tu commences à te droguer. Regarde comme ta main tremble.
– N’approchez pas ! N’approchez pas ! Je vous préviens, je vais tirer. »
Un coup de pied en pleine face foudroya la pauvre Elvire qui s’abattit au sol. Désarmée, elle se releva péniblement, menaçant son adversaire de ses poings crispés.
Xanthia, disciple de Bruce Lee, tenta d’impressionner son adversaire par une de ces démonstrations gestuelles qui précèdent les combats.
« Tu veux te battre, ma jolie ! Mais je n’attends que ça ! Seulement, j’aime autant t’avertir que ma spécialité, ce sont les fractures. Je peux te régler ton compte en trois secondes où prolonger mon plaisir pendant des heures. Après je m’amuserai à recoller tes petits os. »
Elvire comprit qu’elle n’était pas à la hauteur. Elle desserra ses poings.
« Je ferai ce que vous voudrez. Ne me faites pas de mal. »
Xanthia la prit par le bras et la conduisit dans la salle où O’Marmatway l’avait reçue. Il l’y attendait :
« As-tu réussi à dompter cette tigresse ?
– Je l’ai apprivoisée. N’est-ce pas, charmante Elvire ?
– Oui, répondit-elle du bout des lèvres.
– Je suis heureux de constater que vous êtes enfin raisonnable, mademoiselle Saccuti. Vous resterez trois jours parmi nous, le temps que votre traitement soit efficace. Ensuite, vous prendrez toutes deux l’avion pour la Syldurie. Je suis persuadé que vous accomplirez votre mission avec zèle. Ma belle infirmière vous administrera votre injection quotidienne. À moins que vous n’ayez la mauvaise idée de faire votre tête de phacochère. »
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