Chapitre XX - Maurice fait sa tête de cochon
Wilbur n’a plus d’autre préoccupation que de faire vénérer sa divinité. Abandonnant les affaires de l’État pour lesquelles il est payé, il passe son temps dans la rue et sur les places, afin de s’assurer que le peuple lui accorde l’adoration qui lui est due. Il contemple avec plaisir le peuple vautré devant lui.
« Très bien, très bien, fidèles sujets. Je suis content de vous. »
L’orgueilleux prince passe devant l’atelier du menuisier.
« Bonjour, Prince. Votre Altesse se porte-t-elle bien ? Et Son Altesse votre épouse ?
– Fort bien, merci. Comment se fait-il, manant, que vous ne soyez pas prosterné ?
– J’ai mal au genou. Une ancienne luxation, vous comprenez. Quand il fait humide, la douleur se réveille.
– Non, je ne comprends pas. Je ne tolère aucune excuse. Demain, je repasserai à la même heure, et si je ne vous trouve pas prosterné, vous aurez affaire à moi.
– Je souhaite une bonne journée à Votre Altesse, et j’ai bien envie d’ajouter Sérénissime.
– Ne vous gênez surtout pas. »
Mais le lendemain, Wilbur trouva Maurice, toujours aussi poli, mais toujours debout.
« Ne me dites pas que ce sont vos rhumatismes. De quel droit refusez-vous d’obéir à la loi qui exige qu’on se prosterne devant le prince Wilbur ?
– Ni devant un prince, ni même devant le roi. Je ne me prosterne que devant Dieu.
– Vous n’avez pas de Dieu. »
Wilbur s’éloigna en jurant comme un charretier, ce qui s’accorde mal à la divinité à laquelle il prétend.
Dans l’espoir d’apaiser le conflit, Maurice décida de travailler à l’intérieur, même aux jours ensoleillés, et de prendre sa pause sur le trottoir après le passage de Wilbur. Mais au bout de quelques jours, la porte de l’atelier s’ouvrit. L’important personnage y pénétra en conquérant.
« Je craignais que vous ne fussiez malade, menuisier ; ça me fait plaisir de vous revoir.
– Eh bien ! pas moi, Wilbur. Je vous préfère absent.
– Quoi ? Vous osez ?
– Que faut-il pour votre service ? Je vous préviens, j’ai beaucoup de commandes, en ce moment. Les délais risquent d’être longs.
– Pour la dernière fois, ponceur de bois, à genoux.
– Il y a de la sciure par terre. Je vais me salir.
– Ignorez-vous que j’ai le pouvoir de vous faire mettre à mort ?
– Ce n’est pas la mort que je crains, c’est la perdition et l’enfer.
– Je vous promets les trois. »
Exaspéré au plus haut point, Wilbur rentra dans ses appartements en claquant la porte. Il fit irruption dans la cuisine et fracassa la moitié de la porcelaine. Puis il entra dans le salon et donna un violent coup dans le vaisselier.
« Ouh ! là ! là ! » cria-t-il en tenant son pied droit des deux mains et sautant sur son pied gauche.
« Ça ne va pas, mon biquet, intervint Sabriana, alertée par tout ce vacarme.
– Eh ! toi ! C’est bon ! Ce n’est vraiment pas le moment.
– Je le vois bien que ce n’est pas le moment. Alors, tu vas me faire le plaisir de te calmer, et tu vas raconter à ta petite Sassa ce qui te met dans un tel état. »
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