Chapitre IX- Le rêve de Lynda
Une heure s’était écoulée. Lynda s’était réveillée et les deux sœurs s’étaient retrouvées dans une des galeries d’art du château. Elles parlaient du nouveau projet de Lynda. Éva n’était pas convaincue de son opportunité.
Pendant qu’elles échangeaient leurs points de vue, la porte s’ouvrit sans qu’aucune d’elle n’y prenne garde. Le marquis de Kougnonbaf s’était engagé à entrer, espérant s’y trouver seul. Il n’était certainement pas d’humeur à supporter la compagnie de Lynda, il recula discrètement et referma la porte derrière lui. Plus exactement, il la laissa entrebâillée. Comme un enfant mal élevé, il aimait bien écouter aux portes.
« Mais tout de même, est-ce une sage décision ? demandait Éva tout inquiète.
– C’est une folle décision, répondit sa sœur avec fierté.
– Quelle décision cette folle nous a-t-elle encore prise ? s’interrogeait le marquis qui avait saisi la discussion au vol.
– Tu le reconnais ? Renonceras-tu à ce projet, ou du moins, le reporteras-tu à un moment plus favorable ?
– Je partirai sans tarder. Mon absence ne durera que quelques jours. Elle ne sera même pas remarquée en Syldurie, et je traverserai la France inaperçue, comme la première fois.
– Ah ! Lynda ! Ta tête est aussi dure qu’une enclume. Inutile de tenter de te convaincre.
– Pas sûr ! pensait Ottokar. Je crois que l’une contre l’autre, c’est l’enclume qui casserait.
– Fais-moi confiance, Éva, si j’agis avec folie, c’est en fonction de mes certitudes et de ma foi.
– Qui jouera ton rôle quand tu seras évaporée ?
– Mais toi, ma grande !
– Cette cruche ? Je vois d’ici le tableau !
– Je n’en serai pas capable.
– Je t’investis d’une mission, et je suis convaincue que tu la rempliras parfaitement. Je serai proche de toi, même éloignée. Confie-toi en Dieu, écoute les sages conseils de maître Wladimir, notre Salomon de Syldurie, et surtout, méfie-toi des marquis et de leur hypocrisie. »
Ottokar avait envie de crier son indignation :
« Des marquis et de leur hypocrisie ! Je t’en donnerais, moi !
– Je mettrai tout en œuvre pour être digne de ta confiance.
– Je mettrai tout en œuvre pour qu’elle trahisse ta confiance.
– J’ai un petit secret que je ne raconterai qu’à toi seule. Ainsi comprendras-tu mieux mes motivations.
– Un petit secret ? »
Le marquis commençait à se frotter les mains.
« Me voici dans les petits secrets de Lynda ! Voilà qui devient intéressant. »
« Un rêve obsessionnel me poursuit depuis plusieurs jours. Je n’y ai d’abord prêté aucune attention, mais il s’incruste dans mes nuits. Je vois une table garnie d’une nappe blanche sur laquelle sont disposés une coupe et un morceau de pain. Quatre personnes, trois hommes et une femme, se tiennent debout autour d’elle. C’est alors que je m’approche à mon tour. Je brise le pain et le partage avec eux, puis je distribue la coupe. Ensuite, la table et les personnages s’estompent et je me réveille avec une grande joie dans le cœur. Les premières fois, ces quatre personnages m’apparaissaient dans le flou, mais au fil de mes nuits, leurs visages deviennent de plus en plus nets et familiers. Je connais ces gens. Quatre personnes qui ont marqué mon séjour dans le métropolitain. Ce sont Mohamed et Mamadou, les sympathiques voyous. Les deux autres sont des policiers. Ce sont eux qui m’ont arrêtée : Fabien, l’amateur de belles chansons, et sa collègue Fabienne, qui ne partage pas son cœur de poète.
– En voilà un galimatias ! disait tout bas le marquis.
– Ma chérie, tu as reçu un appel. Il faut y répondre immédiatement.
– Un appel ! Cette tête de pioche a reçu l’appel !
– Je savais que tu me comprendrais. D’une part, comme je l’ai dit, je veux que la France m’enseigne la liberté, d’autre part, je veux retrouver ces brebis égarées que le Seigneur m’a confiées.
– Mon Dieu, mon Dieu ! persiflait Ottokar.
– Comment vas-tu les retrouver ?
– L’Esprit-Saint me guidera.
– Amen ! dit Ottokar
– Mais d’abord je veux leur écrire : leur rendre témoignage de mon salut.
– Alléluia !
– Tu ne connais pas leur adresse, objecta Éva.
– Non.
– Dans le ciel, il doit bien se trouver un ange facteur, murmura Kougnonbaf, toujours aussi moqueur.
– Je vais déjà écrire mon courrier. Pour l’adresse, je verrai bien. Mohamed Bendjellabah, il ne doit pas y en avoir cinquante-six.
– Il y a deux millions d’habitants, à Paris, banane !
– Prépare ton courrier, prépare tes valises et aiguise ta foi. Ton Seigneur s’occupe du reste, » conclut Éva.
Le marquis de Kougnonbaf ne supportait pas ce genre de propos. Il s’éloigna en maugréant :
« Voilà notre Syldurie bien lotie avec ces deux fissurées du bocal ! Il est temps que je m’empare du pouvoir avant que ces deux filles ne fassent de nous les citoyens d’une république betteravière. »
Puis il poursuivit :
« Ainsi, ma chère Lynda, aussitôt intronisée dans ta nouvelle fonction, tu retournes te cacher dans le métro parisien comme un lapin dans son terrier. Eh bien ! Bon voyage, petite garce ! Ce n’est pas moi qui te supplierai de rester. Bien au contraire, tu me rends le travail plus facile. Je pourrai comploter à souhait sans crainte que tu ne découvres mes plans. Quant à la petite gourde, je n’aurai aucune peine à la mettre hors course.
Inutile de révéler à ce lourdaud de Bifenbaf ce que je viens d’apprendre. Allons trouver Sabine. Elle m’aidera de sa science pour m’emparer du pouvoir absolu. »
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