Chapitre XXVIII - Petite fille en colère

 

Les rebelles de la Salamandre, voyant le danger écarté, se rassemblèrent à nouveau sur la place, poussant des cris de joie, acclamant Sigur et Félixérie. La liesse se trouva vite interrompue quand une silhouette inquiétante apparut au fond de la rue de la République : celle de Thanatos, suivi de tous ses partisans.

« Il s’est tout de même décidé à venir, ironise Frédo.

– Il envoie d’abord sa musaraigne au charbon ! Quel courage ! » enchérit Sandra.

Thanatos avance à pas lents. Le voilà maintenant sur l’esplanade.

« Alors ! Où se cache-t-elle, votre petite fille en colère ? »

Personne n’a remarqué le rayon de lumière pâle qui éclaire les fenêtres sans vitres de la Renaissance. On entend le bruit sourd d’un bélier qui frappe, de l’intérieur, le mur de façon régulière. Tout à coup, la façade du prestigieux restaurant s’effondre dans un fracas de pierre et de poussière, poussée par les épaules d’une géante, entraînant tout l’immeuble dans sa chute.

Les amis, tout comme les ennemis de la prophétesse, crient son nom avec stupeur :

« Zoé ! »

Zoé se tient debout au milieu des décombres. Elle dénoue ses cheveux qui dévalent le long de son corps, diffusant une agréable lumière blanche.

Thanatos, prévoyant, protège ses yeux par une paire de lunettes de chaudronnier.

« Quelle grande petite fille ! » dit Félixérie.

Zoé exécute avec grâce plusieurs flips avant qui la propulsent au milieu de l’arène.

Les deux ennemis sont maintenant face à face. Zoé dépasse son adversaire d’une tête, mais elle a gardé la morphologie et le visage d’une jeune fille de douze ans. Elle a l’avantage de la taille, mais Thanatos celui de la masse musculaire.

« Son poing est plus gros que ma tête, s’exclame Sigur. Qu’est-ce qu’elle va lui mettre à l’autre abruti ! »

Zoé défie son adversaire d’un regard menaçant, puis elle pointe sur lui un index autoritaire :

« Katepophè o thanatos eis nikos. Pou sou thanaté to nikos. Pou sou thanaté to kentron. »

« Qu’est-ce qu’elle a dit ? 

– Elle a dit : “Thanatos a été englouti dans la victoire. Thanatos, où est ta victoire ? Thanatos, où est ton aiguillon ?’’ répond Nicole. C’est dans le Nouveau Testament[1].

– Ça va être sa fête, » réplique simplement Sigur.

Zoé se met à danser. Elle danse et tournoie avec la même élégance que lorsqu’elle dansait au parc de Beauval. Sa longue chevelure, élevée par la force centrifuge, se gonfle de lumière. Jamais elle n’a été aussi vive qu’à ce moment. La nuit a totalement disparu. Il fait jour comme par un après-midi d’été. Les amis de Zoé l’acclament, tandis que ses ennemis ne peuvent supporter son éclat. Les uns s’enfuient, les autres se jettent à plat ventre, le visage collé contre le sol.

Zoé danse et tourne toujours. Thanatos comprend que sa flamboyante crinière est devenue une arme dangereuse.

Zoé danse, et tout en dansant, elle frappe de son pied gracieux le visage de Thanatos, envoyant ses lunettes voler jusqu’à Saran.

Aveuglé, l’empereur déjà déchu cache son visage derrière ses mains.

Zoé ne danse plus : elle cogne.

Une volée impressionnante de gifles et de coups de poing. Thanatos est incapable de riposter. Il s’écroule lourdement.

Les salamandres applaudissent. Zoé pousse des cris de joie. Comme une petite collégienne qu’elle est, elle frappe dans ses mains et saute avec allégresse, soulevant des nuages de poussière.

Péniblement, Thanatos se relève. Toujours aveuglé, il envoie quelques coups de poing dans l’air. Zoé les esquive facilement. Elle rit.

S’étant suffisamment amusée de l’impuissance de son ennemi, elle tire une nouvelle salve de torgnoles. Thanatos tombe à nouveau.

Zoé danse et rit, elle s’amuse comme une petite folle. Thanatos, lui, ne trouve pas ce jeu amusant du tout. Il se relève, Zoé frappe. Il tombe et se relève à nouveau, instable sur ses jambes tremblantes, haletant comme un chien assoiffé.

Les amis de Zoé scandent son nom avec un enthousiasme frôlant le délire. La petite fille en colère tient à présent le tyran à sa merci. Un dernier uppercut l’étend définitivement au tapis.

Zoé fait plusieurs tours sur elle-même, levant ses deux mains rougies par le sang du vaincu. Puis elle s’accroupit près de lui, saisit sa tête gémissante, la cale sur son genou. Elle élève sa main qui, telle un couperet, lui brise la nuque.

 

[1] 1 Corinthiens 15.54-55

 

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