Chapitre XX - Élie

Ce n’est qu’à la célébration du dimanche suivant, au moment des annonces et sujets de prière, que Lynda apprit qu’Élie, victime d’une agression, avait été hospitalisé à Boris II.

Elle promit de lui rendre visite, ce qu’elle fit, avec Julien, dès l’après-midi.

Élie, sous morphine, avait les yeux pochés et le visage enveloppé de pansements.

Le créole réunionnais est certainement la seule langue au monde à utiliser le même mot pour « faire l’amour » et pour « casser la figure ». Le jeune homme avait été victime d’un cruel malentendu. Sa partenaire l’avait « coqué » à plates coutures.

« Mon pauvre Élie ! Qui est-ce qui t’a arrangé comme ça ?

– Judith.

– Judith ? Mais je croyais qu’entre vous deux c’était l’harmonie cosmique ? Les chakras et tout le bataclan ?

 

– Tu avais bien raison : les chakras, ça craint !

– Et pourquoi est-ce qu’elle t’a bousillé comme ça ? Tu lui as dit que ton père est pasteur ?

– Ce n’est pas moi qui le lui ai dit. Elle l’a su je ne sais comment. Mais ce n’est pas la seule raison. Tu sais qu’on a volé le collier de la reine Olga.

– Oui, on m’en a parlé. Il y a un rapport ?

– Je m’étonne que ça ne t’émeuve pas plus que ça. C’est moi qui ai volé le collier.

– C’est toi, petit chenapan, qui a volé le collier d’Olga ! Tu mériterais que je te donne une bonne fessée. Dommage que cette érinye m’ait doublée sur ce coup-là !

– J’ai une autre mauvaise nouvelle pour toi. Le collier d’Olga…

– Eh bien ?

– C’est du toc. Quand on le frotte sur le verre, ça grince. Si c’était du diamant, ça l’aurait coupé.

– Je le savais.

– Tu le savais ? Tu aurais pu me prévenir !

– Je ne pouvais pas deviner que tu voulais le voler. Je savais que tu n’étais pas fini, mais à ce point-là ! Ce n’est pas une case, qu’il te manque, mon ami, c’est tout l’échiquier !

– Ce n’est pas le moment de me dire ça ! Si tu savais ce que j’ai subi !

– Donc, résumons-nous : la grande Judith convoite le collier. Je le sais parce qu’elle m’a demandé de le lui donner. J’ai refusé, bien entendu. Alors, elle m’a dit : “Puisque c’est comme ça, j’irai le chercher moi même”. Elle t’envoie le voler. Bien que tu sois un bon à rien, tu y parviens tout de même, et là, j’applaudis. Une fois que tu lui as rapporté le collier, elle s’aperçoit qu’il est faux. Ça la contrarie. Elle se venge en te faisant un gros câlin d’amour.

– Oui. En gros, c’est comme ça que ça s’est passé.

– Le collier d’Olga est depuis des générations un objet de vénération, de superstition et d’idolâtrie liées au royaume et à la royauté. L’un de mes premiers soucis, car en tant que reine de Syldurie, je me sentais personnellement concernée, fut de démystifier cet objet. Mais on n’efface pas en deux paroles plusieurs siècles de traditions obscures. Ma première idée fut de le faire disparaître, tout comme Gédéon a détruit l’idole de son père, mais je ne pouvais pas balancer à la déchèterie un bijou de cinq ou six cents milliards de couronnes. Alors, j’ai décidé d’en faire une copie. Je l’ai substitué à l’original que j’ai mis dans un coffre, en un endroit secret. Cela ne change pas grand-chose, me diras-tu, mais le symbole a son importance. »

Il se fit un long silence. Élie et Lynda se regardaient. Élie dit enfin :

« Tu as raison, Lynda, je suis un voyou et un bon à rien. »

Puis, après un nouveau silence :

« Pourtant, j’ai beaucoup réfléchi à ce que tu me disais : “On ne naît pas chrétien, on le devient”. C’est Tertullien qui disait ça. N’est-ce pas ?

– En effet.

– Vois-tu, à force de réflexions, j’ai fini par comprendre que dans le fond de moi même, je souhaitais changer ma vie comme tu as changé la tienne, mais j’étais totalement possédé par cette femme. Elle avait ligoté mon cœur.

– Et maintenant ?

– Maintenant qu’elle m’a éjecté de sa vie, je n’ai plus de compte à lui rendre. Je suis libre d’accepter le Sauveur. »

Lynda sourit.

« Ah ! Lynda, si j’avais écouté mes parents, et si je t’avais écoutée plus tôt, je me serais épargné une bonne dégelée. »

Une larme coula sur la joue de Lynda. Elle saisit la main d’Élie :

« Je voudrais t’offrir un baiser amical et fraternel, mais je ne trouve pas de place. »

 

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