Chapitre X - Les chaînes d’Elvire
Xanthia avait demandé à Elvire de venir la voir pour faire le point.
« As-tu un peu avancé ? Crois-tu que nous pourrons bientôt nous emparer du collier ?
– J’ai employé la manière douce en pure perte. En dépit de notre amitié, Lynda ne lâche aucune prise. Elle ne fait confiance à personne.
– Tu ne crois pas qu’il serait temps d’essayer la manière forte ?
– Sans doute, sans doute… je n’ai pas le choix. Il faudra que vous m’aidiez. Je n’aurai jamais la force d’affronter Lynda… ni le courage… Donnez-moi une dose, maintenant, s’il vous plaît. J’en ai besoin. Je vous promets de vous apporter le collier. J’emploierai les grands moyens.
– Tu as intérêt. Le maître commence à s’impatienter. Quand tu lui auras donné ce qu’il veut, tu seras largement récompensée. Allez, amène ton bras. »
Sitôt seule, Xanthia appela son maître.
« Le collier ? Vous l’aurez bientôt, c’est promis. La petite grue est cuite à point. Je l’ai gonflée au maximum. Elle ne peut pas échouer. Et quand elle m’aura donné ce fameux collier, je la récompenserai à ma façon : deux doses pour le prix d’une. Elle mourra dans le plaisir et l’extase. »
Lynda était fatiguée, elle venait de se farcir une réunion parlementaire où l’on avait longuement parlé de l’URBC, du veto royal et du mouvement populaire qui se durcissait. Ces événements rappelaient de bien mauvais souvenirs à notre jeune souveraine. Après cette pénible réunion, elle se retira dans la solitude de son bureau. Elle avait vraiment besoin de rechercher le conseil de Dieu.
Au lieu de prier, elle laissa divaguer ses pensées dans le désordre, puis s’assoupit.
La sonnerie du téléphone la réveilla.
« Allo ! Ly… Lynda ? C’est Elvire. Il ffffffaut que… qu’on… Il faut qu’on se voie. Ssss… c’est t… t… très important.
– Toi, tu n’as pas l’air d’aller. Ne bouge pas de chez toi, ne fais pas de bêtises, j’arrive tout de suite. »
Elle téléphona à Julien pour lui demander de coucher les enfants et de ne pas l’attendre. Puis elle se précipita dans sa voiture. Il faisait déjà nuit.
« Qu’est-ce qui arrive à Elvire ? Et ce bégaiement dont elle n’est pas coutumière… je n’y comprends plus rien. »
Elle arriva chez son amie.
« Alors, ma petite Elvire ? Qu’est-ce qui ne va pas ?
– Lynda, donne-moi le… le… le code. J’en ai besoin. Jjjje veux voir le co… le collier… le toucher. Donne-moi le code. D… d… donne-le moi, je t’en sssssss… supplie.
– Est-ce que tu sais que tu commences à me briser souverainement les rotules ? Ce n’est vraiment pas le moment de me bassiner avec ça ! Tu n’auras pas le collier, ni toi ni personne d’autre !
– Ah ssss… c’est comme ça ? Eh bien ! je vais te les briser les ro… rotules, pou… pour de bon. »
Elle exhiba son pistolet.
« Donne-moi le code ! cria-t-elle.
– Elvire, tu as bu.
– C’est ça ! traite-moi d’i… d’ivrognesse ! Donne-moi le code.
– Je te préviens que je suis de mauvaise humeur. Range ton pétard.
– Donne-moi le code, sssss… sinon ça va sssss… sssss… ça va sssssaigner. »
Lynda soupira, elle désarma son amie et lui asséna une gifle. Elvire s’effondra lourdement.
« Celle-là, tu l’as cherchée. Allez ! Debout ! »
La jeune femme demeurait inerte.
« Elvire ! Elvire ! Relève-toi ! »
Lynda se pencha sur le corps étendu.
« Elvire ! Ce n’est pas possible ! Je n’ai pas frappé si fort ! Elvire ! Seigneur ! Je l’ai tuée ! »
Lynda prit un miroir de poche qu’elle plaça devant la bouche de sa victime. Rassurée, elle appela une ambulance.
Le docteur Ivanov arriva rapidement sur les lieux du drame. Il inspecta les bras d’Elvire.
« Elle a eu des prises de sang, récemment ?
– Pas à ma connaissance. »
Lynda l’accompagna dans sa chambre d’hôpital, téléphona de nouveau à Julien, puis décida de passer la nuit avec elle.
Elvire s’agitait dans son lit, se tournait et se retournait, riait, pleurait, murmurait des soliloques peu cohérents :
« Lynda, ô Lynda ! Comme tu as de grandes mains ! C’est pour mieux te gifler, mon enfant… Xanthia ! où es-tu ? Xanthia, ma belle Xanthia ! Grande guêpe aux cheveux jaunes. Viens ! Viens ! Enfonce ton dard dans ma peau ! La piqûre est douloureuse, mais le venin est si doux… elle ne veut pas… à moi, sa meilleure amie… elle ne veut pas… ce n’est pourtant pas grand-chose… le collier… un tout petit collier de rien du tout… elle n’a même pas voulu me le donner… elle ne donne rien du tout… seulement des baffes… Kougnonbaf Bifenbaf… Thanatos… Thanatos est vivant… il revient pour châtier la terre… il prend Le Pirée pour un homme, ce c. ! Il croit que La Rochelle, c’est une fille… »
Elvire finit par s’endormir. Lynda la suivit dans le sommeil. Le lendemain matin, la malade avait retrouvé sa lucidité.
« Que t’est-il arrivé ? Tout a basculé si vite depuis ton retour de Grèce. Qu’est-ce qui s’est passé là-bas ? Et puis cette fille mystérieuse que tu nous as ramenée, tu la suis comme un petit chien. Elle n’est sûrement pas étrangère à tout ça. Ce n’est pas très clair, votre relation.
– Je ne suis pas homosexuelle, si c’est cela qui t’inquiète.
– Même si tu l’étais, cela ne changerait rien à notre amitié.
– Je suis toxicomane. »
Lynda ne répondait pas. La remarque du docteur Ivanov avait fait naître en elle une vive inquiétude. C’était donc vrai !
« C’est Xanthia. C’est elle qui a la seringue. Elle me tient en laisse comme un chien. Je suis à sa merci. Elle m’a piquée de force. Je suis obligée de lui obéir, sinon elle me refuse l’injection.
– Et c’est elle qui te réclame le collier ?
– Oui.
– Et Thanatos ? Tu as parlé de lui.
– Thanatos ! Je ne suis pas encore complètement folle ! Tu as bien vu son cadavre dans la grotte aussi bien que moi.
– Oui.
– Thanatos est vivant. Il s’est laissé pousser la barbe, je ne l’ai pas reconnu immédiatement, mais c’est bien lui. C’est lui que j’ai rencontré à Athènes. »
À ce moment, la porte s’ouvrit, coupant court à cette étrange conversation. Le docteur Ivanov entra, invitant Lynda à quitter la chambre, puis, ayant examiné sa patiente, il lui demanda un entretien en privé.
« J’ai une très mauvaise nouvelle à vous annoncer. Votre amie a franchi le point de non-retour. Elle a consommé des drogues très lourdes. »
Il baissa la tête et la secoua négativement.
« Pauvre fille ! Démolir sa vie comme ça ! Une femme si jeune ! Quel gâchis ! »
Puis il regarda de nouveau Lynda en face.
« Je n’ai pas d’autre choix que de la faire interner en hôpital psychiatrique. Je suis vraiment désolé. »
Il marqua un nouveau silence.
« À moins que votre Dieu ne fasse un miracle. Priez ! Priez ! Priez sans cesse. »
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