Prologue

Le palais du roi de Juda, à Jérusalem

ÉZÉCHIAS (54 ans) – MANASSÉ (12 ans)

MANASSÉ

Vous avez demandé, mon père, à me parler ?
Est-ce pour me punir ? Est-ce pour m’accabler ?
Aurai-je en mon devoir manqué d’obéissance
Ou fait quelque sottise en votre longue absence ?
Quel reproche sévère aurais-je mérité
Pour n’être pas soumis à votre autorité ?
Si je vous ai déçu, pardonnez-moi, mon père,
Je n’avais nullement dessein de vous déplaire
Car…

ÉZÉCHIAS

            Il n’est pas question, enfant, de te gronder,
Mais un grave sujet nous devons aborder.
Tu es fort jeune encore avec tes douze années
Mais tu dois piloter déjà ta destinée.
Ne t’avais-je point dit qu’un jour tu serais roi ?

MANASSÉ

Oui, quand je serai grand. En attendant, ma foi,
Je puis encor jouer aux jeux de mon enfance.
Gardons pour l’avenir le règne et la puissance.

ÉZÉCHIAS

Cet entretien, mon fils ne se saurait surseoir ;
J’ai quelque enseignement à te faire savoir :
Depuis que Roboam divisa cet empire
Des rois se sont suivis. Qui donc était le pire ?
Qui servait les faux dieux ? Qui servait l’Éternel ?
Qui brûlait les enfants au bélier cruel ?
L’histoire de nos rois t’instruira par l’exemple
Les uns servirent Baal, Astarté, dans leurs temples.
D’autres ont décidé d’abattre les pieux
Et ne sacrifier qu’à Yavéh, le seul Dieu,
Car il ne peut souffrir qu’on aime les idoles.
Comprends-tu, Manassé, l’esprit de mes paroles ?

MANASSÉ

Je comprends qu’Adonaï, notre Dieu, est le seul.

ÉZÉCHIAS

Achaz, indignement…

MANASSÉ

                                    Quel Achaz ? Mon aïeul ?

ÉZÉCHIAS

Achaz, l’ignoble roi, disions-nous, ton grand-père,
Fut un sombre apostat, idolâtre, adultère.

MANASSÉ

Je ne vous comprends plus, tant de mots compliqués !
Auriez-vous un moment pour me les expliquer ?

ÉZÉCHIAS

Achaz a refusé la pleine obéissance,
Imbu de sa couronne, enflé de sa puissance,
Pour complaire à ses dieux, leur rendre tout honneur,
Il fit passer ses fils par le feu.

MANASSÉ

                                               Quelle horreur !
Ton père a donc brûlé au milieu de la flamme
Ses malheureux enfants !

ÉZÉCHIAS

                                   C’est une chose infâme.

MANASSÉ

Mais pourquoi n’as-tu pas pris le feu, toi aussi ?
Tu courais le plus vite, il n’a pas réussi ?

 

 

ÉZÉCHIAS

Je fus seul épargné, car notre dynastie
Privée d’un héritier serait anéantie.
Il eut d’autres garçons, mais Dieu les fit périr.
Pour tant de cruauté, il fallait le punir,
Ainsi, contre Israël, il perdit la bataille,
Ils brûlaient nos cités, abattaient nos murailles,
Ils prenaient avec eux les enfants prisonniers.

MANASSÉ

Ceux d’Israël, nos frères ! À qui donc se fier ?

ÉZÉCHIAS

Et Tiglath-Pilnéser, le tyran d’Assyrie
Humilia Juda, son prince et sa patrie.
Crois-tu qu’en sa détresse il chercha le Seigneur ?

MANASSÉ

Il aurait dû.

ÉZÉCHIAS

                  Achaz, au plus fort du malheur
Plutôt qu’offrir à Dieu sa pauvre âme meurtrie,
Offrit des sacrifices aux dieux de la Syrie.
Rempli contre son Roi d’une injuste fureur,
Il déchargea sa haine envers le Créateur,
Du service il brisa jusqu’au moindre ustensile,
Verrouilla le saint temple.

MANASSÉ

                                       C’était un imbécile !

ÉZÉCHIAS

Dans tout Jérusalem il bâtit des autels.

MANASSÉ

Prétendait-il punir le Seigneur éternel ?

ÉZÉCHIAS

Il mourut sans honneur, et pour son imposture,

Loin des caveaux des rois trouva sa sépulture.

MANASSÉ

Il faut vivre en bon roi si l’on veut bien mourir,
C’est le Père éternel que seul il faut servir.

ÉZÉCHIAS

Tu as compris, mon fils.

MANASSÉ

                                     Et vous-même, mon père,
Vous régnez avec Dieu, aspirant à lui plaire ?

ÉZÉCHIAS

J’ai voulu le servir avec fidélité
Car fidèle il était dans mes difficultés ;
Comme le roi David, j’ai choisi dès l’enfance
De mettre en l’Éternel toute ma confiance.
J’ai d’abord nettoyé le temple abandonné,
Aux dieux des vils païens lâchement profané.
Je brisai Nehouchtan.

MANASSÉ

                                   Qu’est-ce donc ?

ÉZÉCHIAS

                                                             Le reptile,
Dans le bronze fondu, simulacre futile,
Par Moïse autrefois, objet de guérison,
Quand les serpents ardents brûlaient de leur poison,
Recevait des croyants une ferveur indigne.
Je le détruisis donc.

MANASSÉ

                               Et ce fut un bon signe !

ÉZÉCHIAS

J’ai battu l’Assyrien qui nous avait soumis,
Vaincu les Philistins, ces vaillants ennemis.
Lorsque Salmanasar assiégeait Samarie,
Le Dieu des cieux veillait sur la belle patrie.
Un jour, Senachérib, le despote Assyrien
Voulut nous enlever nos villes et nos biens,
Il marcha, conduisant une puissante armée,
Des moissons qu’il brûlait s’élevait la fumée.
Il vint jusqu’en Sion le peuple défier.
« Est-ce en Yavéh, dit-il, que vous vous confiez ?
Aucun roi, sur la terre, aucun dieu, aucun maître
Ne pourra vous sauver ? Vous devrez vous soumettre.
Où sont les dieux d’Héna, où ont les dieux d’Arpad ?
Ceux de Sepharvaïm, où sont les dieux d’Ivad ?
Les ont-ils délivrés du tyran de Ninive ?
Ô peuple vaniteux, ô nation naïve !
Votre Dieu ne saura jamais vous protéger. »

MANASSÉ

Ce roi parlait ainsi pour vous décourager.
Qu’avez-vous dit ?

ÉZÉCHIAS

                              C’était trop cruel à entendre.
Je me vêtis d’un sac et me couvris de cendre.
Je convoquai les prêtres au temple de Sion,
Le cœur empli de crainte et d’indignation.
Avecque la poussière pour couronner ma tête,
Je pris le fils d’Amots, Ésaïe, le prophète.
« Ainsi parle Éloïm, dit-il, ne t’effraie point.
Le prince enflé d’orgueil a méprisé son oint.
Elle se rit de toi, la vierge sainte et pure.
La fille de Sion à la noble figure
Du haut de son mépris foule ta vanité
Car le Saint d’Israël n’as-tu pas insulté ?
Tu dis : avec mes chars j’ai gravi des montagnes,
J’abattis du Liban, au fil de mes campagnes,
Les cèdres les plus hauts. J’abattrai tes cyprès,
De la plante du pied, le Nil je tarirai.
Mais je sais tout de toi, je sais quand tu te couches,
Je sais quand tu te lèves. Chaque mot de ta bouche
S’élève à mon oreille. Te voilà furieux.
Tu brandis contre moi, potentat odieux,
Un poing chargé de rage, et ton arc, et ta lance,
Et menace mon peuple avec ton arrogance.
À cause de mon nom, souverain protecteur,
À cause de David, fidèle serviteur,
Contre les Assyriens je déploierai mon zèle
Et sauverai Sion, ma colline éternelle.
Tu t’en retourneras dans la honte et le fiel
Pour avoir outragé le puissant d’Israël. »

MANASSÉ

Voilà qui est parlé ! Quel homme, ce prophète !
Et ce roi d’Assyrie n’était plus à la fête.

ÉZÉCHIAS

L’Ange de l’Éternel, en cette même nuit,
Frappa deux cent mille hommes et le tyran s’enfuit.
Au temple de Nisroc, de retour à Ninive,
Son fils Adramélec, malgracieux convive
Et Scharetser, son frère, en ses dévotions
Lui percèrent le dos. Cruelle sanction !

MANASSÉ

Et c’est bien fait pour lui ! Quel méchant caractère !
Mais le Dieu de Sion lui a fait son affaire !

ÉZÉCHIAS

As-tu vraiment compris la divine leçon
Qu’il te faut appliquer à ta vie, mon garçon ?

MANASSÉ

Seul le Dieu des Armées donne force et courage ;
Il châtie fermement l’ennemi qui l’outrage.

ÉZÉCHIAS

Il y a quinze années, j’étais près de mourir,
Et voici, Manassé, où je veux en venir :
Le ciel m’avait un jour, dans sa juste colère
Frappé sur tout le corps d’un purulent ulcère.

Je fis quérir en vain les plus grands guérisseurs
Mais leur science, hélas ! empira ma douleur.
Et je levai les yeux vers le Dieu de la vie
Qui manda près de moi le prophète Ésaïe.
Je disais : son esprit me réconfortera.
Mais il me répondit : c’en est fait, tu mourras ;
Ainsi en décida l’Éternel des Armées.
Je tournai vers le mur ma face déprimée,
Suppliant le Seigneur : répand ta charité,
Car toujours j’ai servi avec fidélité.
J’ai revêtu le sac en ma douleur ardente
Et versé jour et nuit des larmes abondantes.

MANASSÉ

Ta fervente prière est montée jusqu’au ciel.

ÉZÉCHIAS

Le prophète revint au nom de l’Éternel :
Voici, tu guériras, je t’en fais la promesse
Car j’ai pris en pitié ton deuil et ta détresse.
J’ai vu ton repentir, ton humiliation,
J’ai du ciel entendu tes supplications.
L’Éternel, aujourd’hui, change ta destinée
En prolongeant ta vie pour encor quinze années.
Je lui dis : donne un signe pour aviver ma foi.
– Si tu ne vois de signes, jamais tu ne le crois !
Des bienfaits de ton Dieu, sais-tu quel est le nombre ?
Sur les marches du temple, ainsi, tu verras l’ombre
De dix degrés demain reculer. C’est alors
Que le Maître offrira ton salut. Mais d’abord,
Une masse de figues applique sur ta plaie.
Ainsi dit le Seigneur, et sa parole est vraie.
Sans plus douter encore, à sa voix j’obéis.
Trois jours avaient passé, l’ulcère était guéri.

MANASSÉ

L’Éternel seul nous peut bénir en abondance
Et je le veux servir toute mon existence.

ÉZÉCHIAS

Cher enfant, les quinze ans déjà sont écoulés
Et pour cette raison je t’ai fait appeler.
Il te faut maintenant dégainer ton courage,
Lutter comme un lion en dépit de ton âge.
Saisis le bouclier, il est temps d’être fort ;
Demain tu seras roi, demain je serai mort.
Il te faudra servir l’Éternel avec zèle
Et régner sur Juda.

MANASSÉ

                              Mais sur un front si frêle
Une lourde couronne… J’ai tout juste douze ans.

ÉZÉCHIAS

Dieu combattra pour toi, n’est-ce pas suffisant ?
Cherche en lui ton conseil et, dans l’obéissance,
Contre tes ennemis trouve la délivrance.
Pratique la justice, combat l’iniquité,
Non pas comme un tyran, mais dans la charité.

MANASSÉ

Oui, je vous le promets.

ÉZÉCHIAS

                                     Jure-moi sur ta vie

De toujours protéger le prophète Ésaïe ;
Il fut toujours fidèle au milieu des tourments.

MANASSÉ

Je veillerai sur lui, et j’en fais le serment ;
Je saurais le traiter comme on honore un maître ;
À son juste conseil chaque jour me soumettre.

 

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