4. La colère du fils aîné
Or, le fils aîné était dans les champs. Lorsqu’il revint et approcha de la maison, il entendit la musique et les danses. Il appela un des serviteurs, et lui demanda ce que c’était. Ce serviteur lui dit : « Ton frère est de retour, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il l’a retrouvé en bonne santé. » Il se mit en colère, et ne voulut pas entrer. Son père sortit, et le pria d’entrer. Mais il répondit à son père : « Voici, il y a tant d’années que je te sers, sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour que je me réjouisse avec mes amis. Et quand ton fils est arrivé, celui qui a mangé ton bien avec des prostituées, c’est pour lui que tu as tué le veau gras ! – Mon enfant, lui dit le père, tu es toujours avec moi, et tout ce que j’ai est à toi ; mais il fallait bien s’égayer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et qu’il est revenu à la vie, parce qu’il était perdu et qu’il est retrouvé. »
Luc 15.25/32
La parabole des deux fils est un texte biblique bien connu. Le récit du fils prodigue aura été prêché par des milliers d’évangélistes. Mais on connaît bien moins l’histoire du second fils, celui qui était resté bien gentiment à la maison.
Aucun des deux frères n’était le favori du père, tous deux ont bénéficié du même amour. L’un comme l’autre était promis au salut éternel, mais pour y parvenir, ils ont suivi chacun une voie différente. L’un a vagabondé sur une route pleine de détours, l’autre ne s’est jamais écarté du droit chemin.
Dieu fait-il une différence entre le chrétien qui est resté dès l’enfance sur les bancs de l’église et celui qui, avant de rencontrer Christ, s’est fourvoyé dans les profondeurs du péché ? Certains le croient. C’est du moins le cas du fils aîné chez lequel on observe trois attitudes répréhensibles.
Tout d’abord, il ne se réjouit pas du salut de son frère (verset 28) :
Le fils aîné n’a pas le vécu de son frère qui était sorti dans le monde ; il n’a pas connu les plaisirs faciles, ni la disette, ni les pourceaux. Certains chrétiens ont été préservés de ces choses. Enfants de chrétiens, ils ont été présentés au Seigneur, ils ont connu l’école du dimanche, puis les camps d’adolescents et les groupes de jeunesse. Devenus adultes, ils ont pris les eaux du baptême et choisi leur conjoint dans les rangs de l’assemblée. Nous ne saurions les blâmer d’avoir vécu ainsi. Ils ont eu ce privilège d’avoir été gardés, dès leur enfance, des séductions du monde, bien qu’ils aient été, eux aussi, des pécheurs. Ils ne fumaient pas, ne buvaient pas, ne fréquentaient pas les boîtes de nuit, n’ont pas eu d’aventure avant leur mariage. Que Dieu soit béni pour de tels chrétiens ! Néanmoins, ils courent un danger : ayant toujours vécu à l’écart du monde, ils en sont si éloignés que certains de ces enfants de Dieu ne réalisent pas sa misérable condition. Ils en éprouvent de l’écœurement, mais pas de compassion.
Quand, tout jeune converti, je cherchais un moyen de me rendre utile pour le Seigneur, j’ai participé à un « café-bar chrétien » à Paris. Des passants de tous bords, invités dans la rue venaient se faire offrir une tasse de thé en écoutant la parole de Dieu, et les participants, membres du groupe de jeunesse de l’église, avaient pour tâche de les accueillir et de s’entretenir avec eux pour les réconforter et les introduire à l’Évangile. Un jour, un clochard descendit l’escalier pour s’asseoir à une table. Dans la Seine coule beaucoup d’eau, mais pas encore de savon. Mes frères et sœurs ne se sont pas précipités pour accueillir cet homme qui avait pourtant bien besoin de Jésus. Ils me l’ont gentiment laissé.
Le fils aîné était également indifférent à l’état de perdition de son frère. Qu’il aille au paradis ou en enfer cela lui était égal ! Ainsi, certaines églises se sont retranchées dans leur égoïsme et ne se soucient pas non plus de ce que des hommes soient perdus. « Il y avait de la place pour cent chaises dans la salle quand nous l’avons achetée. Actuellement, nous avons cent personnes au culte, à quoi bon continuer à évangéliser : nous avons fait le plein ».
Tout comme beaucoup de chrétiens aujourd’hui, ce jeune homme avait perdu la notion de la gravité du péché. Et parce qu’il avait perdu cette notion, il ne se rendait pas compte de l’immensité de la grâce que le Père lui avait offerte. Quand on a perdu la notion de la perdition, on ne se réjouit pas de voir les âmes échapper à l’enfer.
Lorsqu’autrefois je donnais mon témoignage au cours de réunions d’évangélisation, je précisais les détails de ma tentative de suicide, et j’étais offusqué de constater que ce récit faisait rire l’auditoire. Je ne parviens pas à comprendre que pour beaucoup d’enfants de Dieu, témoignage soit devenu synonyme de « franche rigolade ». Qu’y a-t-il de si risible dans le péché, la mort et la perdition ? Moi qui ne pouvais plus voir passer un train sans avoir envie de me jeter à genoux pour remercier Jésus, j’en étais désagréablement surpris. J’ai finalement résolu, à l’avenir, de survoler cet épisode.
Le fils aîné, enfin, ne comprenait pas non plus l’expérience de son frère. Parce qu’elle est différente de la sienne, elle est forcément mauvaise !
Cookie Rodriguez était une jeune fille des bas-fonds new-yorkais. On aurait pu l’appeler « la fille prodigue ». C’était une meneuse de gang. Un jour, elle s’est battue contre un policier qui s’en est tiré avec quelques semaines d’hôpital et de nombreux points de suture. Une vraie tigresse !
Elle a pourtant connu la grâce du Seigneur par le ministère de « Teen-Challenge », qui n’était alors qu’une œuvre naissante et méconnue. Elle reçut un appel pour servir Dieu parmi les jeunes filles de basse condition. Après bien des difficultés, elle fut admise dans une école biblique située dans le Colorado. Tous les élèves de cette école biblique étaient issus de bonne famille, la plupart étaient des enfants de pasteurs, ils étaient venus là dans l’espoir de trouver l’âme sœur et n’imaginaient pas que l’on puisse avoir seulement la pensée de servir le Seigneur. Quand ces élèves ont entendu son témoignage, ils n’y ont rien compris, sinon qu’elle avait des progrès à faire pour maîtriser la grammaire. La barrière d’incompréhension entre ces deux mondes fut quelque peu pénible à franchir.
En second lieu, ce jeune homme espère une récompense pour ses œuvres (verset 29) :
« J’ai vécu mon purgatoire sur la terre ! » « S’il y en a un qui mérite d’aller au ciel pour tant de souffrances, c’est bien moi ! »
C’est la religion du mérite.
Je suis le meilleur des chrétiens, je donne la dîme de mon salaire, je ne manque pas une seule réunion !
Le fils aîné était finalement un pharisien. Il n’en avait peut-être pas le titre, mais il en avait la manière de penser : « Moi, je n’ai jamais désobéi à tes ordres. »
Il dit encore cette parabole, en vue de certaines personnes se persuadant qu’elles étaient justes, et ne faisant aucun cas des autres : « Deux hommes montèrent au temple pour prier ; l’un était pharisien, et l’autre publicain. Le pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : “Ô Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont ravisseurs, injustes, adultères, ou même comme ce publicain ; je jeûne deux fois par semaine, je donne la dîme de tous mes revenus.” Le publicain, se tenant à distance, n’osait même pas lever les yeux au ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : “Ô Dieu, sois apaisé envers moi, qui suis un pécheur.” Je vous le dis, celui-ci descendit dans sa maison justifié, plutôt que l’autre. »
Luc 18.9/13
Comparé à son frère sur le plan des œuvres, il était certainement le meilleur. Les gens respectables de la ville le citaient en exemple : « Voilà au moins un jeune homme vertueux et bien élevé, c’est un bonheur d’avoir un tel fils ! » Et ils ne manquaient pas d’ajouter : « Ce n’est pas comme l’autre, ce petit voyou ! Vous rendez-vous compte ? Aller demander à son père sa part d’héritage pour aller se débaucher avec des respectueuses ! Moi, madame, si j’avais un tel fils, je vous l’aurais envoyé en maison de correction ! »
Parce qu’il se sait le meilleur, il veut attirer l’attention du père sur ses mérites, tout en se comparant à celui qui ne mérite rien. Certains voudront ainsi attirer l’attention de leur Dieu sur ce qu’ils ont fait de bien, en essayant de lui cacher ce qu’ils ont fait de mal. Et le Seigneur Jésus les met tous en garde :
Car quiconque s’élève sera abaissé, et celui qui s’abaisse sera élevé.
Luc 18.14
La colère du fils aîné a aussi des motivations matérielles : « C’est pour lui que tu as tué le veau gras ! » On tuait le veau gras pour fêter un événement exceptionnel. À notre époque, on aurait sabré un magnum de champagne. Ce jeune homme avait échafaudé des projets : « Quand je me marierai, on tuera ce veau gras. C’est normal, mon père me doit bien ça ! »
Et nous voyons ici la faiblesse de sa religion. Il sert son père et lui obéit sans défaillance, non par amour, mais par intérêt, en vue de la récompense. Ainsi se sont comportés les ouvriers loués dès la première heure : « Nous avons travaillé toute la journée, nous ! Nous avons transpiré. Et ceux-là, qui ont à peine pris le temps de soulever la pioche et de la reposer, vont toucher le même salaire que nous ! C’est vraiment trop injuste ! »
Car le royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui sortit dès le matin, afin de louer des ouvriers pour sa vigne. Il convint avec eux d’un denier par jour, et il les envoya à sa vigne. Il sortit vers la troisième heure, et il en vit d’autres qui étaient sur la place sans rien faire. Il leur dit : « Allez aussi à ma vigne, et je vous donnerai ce qui sera raisonnable. » Et ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers la sixième heure et vers la neuvième, et il fit de même. Étant sorti vers la onzième heure, il en trouva d’autres qui étaient sur la place, et il leur dit : « Pourquoi vous tenez-vous ici toute la journée sans rien faire ? » Ils lui répondirent : « C’est que personne ne nous a loués. – Allez aussi à ma vigne, » leur dit-il. Quand le soir fut venu, le maître de la vigne dit à son intendant : « Appelle les ouvriers, et paie-leur le salaire, en allant des derniers aux premiers. » Ceux de la onzième heure vinrent, et reçurent chacun un denier. Les premiers vinrent ensuite, croyant recevoir davantage ; mais ils reçurent aussi chacun un denier. En le recevant, ils murmurèrent contre le maître de la maison, et dirent : « Ces derniers n’ont travaillé qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous, qui avons supporté la fatigue du jour et de la chaleur ». Il répondit à l’un d’eux : « Mon ami, je ne te fais pas tort ; n’es-tu pas convenu avec moi d’un denier ? Prends ce qui te revient, et va-t’en. Je veux donner à ce dernier autant qu’à toi. Ne m’est-il pas permis de faire de mon bien ce que je veux ? Ou vois-tu de mauvais œil que je suis bon ? » Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers.
Matthieu 20.1/16
Il ne réalise pas que, s’il sert uniquement par devoir, il risque d’être un jour devancé par son frère faute d’avoir saisi comme lui le salut offert à tout pécheur, même au plus impie.
Que vous en semble ? Un homme avait deux fils ; et, s’adressant au premier, il dit : mon enfant, va travailler aujourd’hui dans ma vigne. Il répondit : « Je ne veux pas. » Ensuite, il se repentit, et il alla. S’adressant à l’autre, il dit la même chose. Et ce fils répondit : « Je veux bien, seigneur. » Et il n’alla pas. Lequel des deux a fait la volonté du père ? Ils répondirent : « Le premier. » Et Jésus leur dit : « Je vous le dis en vérité, les publicains et les prostituées vous devanceront dans le royaume de Dieu. Car Jean est venu à vous dans la voie de la justice, et vous n’avez pas cru en lui. Mais les publicains et les prostituées ont cru en lui ; et vous, qui avez vu cela, vous ne vous êtes pas ensuite repentis pour croire en lui. »
Matthieu 21.28/32
Enfin, il juge son frère selon son passé (verset 30) :
Fort heureusement pour nous, le Seigneur Jésus a oublié notre passé, et s’est livré sur la croix pour nous en délivrer et nous donner une vie nouvelle. Les hommes ne manquent pourtant pas une occasion de nous le rappeler et de nous le reprocher : « Ton fils que voilà a dévoré ton bien avec des prostituées. »
Un jeune chrétien voulait entrer dans le ministère, il avait aussi le projet de se marier. La jeune femme, qui était mal voyante, avait été divorcée avant sa conversion. Si elle avait connu cinquante aventures avant de rencontrer Christ, on ne lui en aurait fait aucun reproche. Mais les règles, dans l’église concernée, étaient ainsi établies : un homme qui a divorcé (avant ou après sa conversion) ne peut devenir pasteur. Une femme qui a divorcé (avant ou après sa conversion) ne peut devenir une épouse de pasteur, même si l’un ou l’autre n’avait jamais eu que ce premier conjoint dans leur vie. Ce jeune homme a donc été convoqué par le Sanhédrin. On lui a enjoint de choisir entre sa fiancée et son ministère. Après de longues hésitations, il a finalement rompu ses fiançailles. Le chagrin ajoutant à la maladie, la jeune femme a perdu totalement la vue. Le jeune homme n’est jamais devenu pasteur.
Les chrétiens doivent, hélas, souvent subir les conséquences de leur passé. Combien ont pu dire avec tristesse : « Il y a tant de malheur que j’aurais évité si j’avais rencontré Jésus quelques années plus tôt ! »
Nous rencontrons des hommes et des femmes qui, bien que sauvés par le sang de Jésus-Christ, traînent encore le fardeau de leur passé. Avons-nous reçu pour mission de les écraser davantage, ou bien de les soulager et les conduire à la victoire, quel que soit ce passé qui les accable ?
Ayons l’attitude spirituelle qui consiste à nous réjouir du salut accordé à tous. Le Seigneur nous a remis notre dette : que nous importe qu’elle soit de dix mille talents ou de cent deniers, il nous a rachetés au prix fort. Que de joie dans le ciel quand Jésus a dit au brigand crucifié :
Je te le dis en vérité, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis.
Luc 23.43
Un pasteur se réjouissait un jour d’annoncer à son auditoire qu’un prisonnier avait fait la paix avec Dieu, qu’il allait bientôt être libéré et qu’il allait prendre les eaux du baptême. Mais une brave sœur l’attendait à la sortie du culte :
« Je ne remettrai plus les pieds dans votre assemblée. Je croyais que c’était une maison sérieuse, et voilà que j’apprends qu’on y accueille des repris de justice ! » Cette personne ignorait tout de la grâce de Jésus-Christ. Sachons le remercier pour les brigands et les prisonniers qu’il accueille dans son ciel de gloire.
Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle création. Les choses anciennes sont passées ; voici, toutes choses sont devenues nouvelles. Et tout cela vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par Christ, et qui nous a donné le ministère de la réconciliation. Car Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même en n’imputant point aux hommes leurs offenses, et il a mis en nous la parole de la réconciliation.
2 Corinthiens 5.17/19
Ressembles-tu au fils prodigue ? Loue ton Dieu ! Il t’aime d’un amour sans limites, d’un amour sans condition. Si ton passé est lourd à porter, confie-le lui. Les hommes prennent plaisir à y ajouter d’autres fardeaux encore plus pesants. Mais Christ a porté la lourde croix pour toi.
Ressembles-tu au fils aîné, qui a eu la chance de ne pas s’être vautré dans la fange de ce monde ? Loue ton Dieu ! Aime ton prochain comme Christ t’a aimé au point de livrer ses pieds et ses mains aux clous et son front aux épines.
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