Acte premier

Premier tableau

Babylone. Décor de Dimitri Plogrov Acte IV premier tableau. La statue de Plogrov apparaît dans le paysage urbain. Des ouvriers enlèvent la toile de Brueghel et la remplacent par un tableau voilé. Entrent Plogrov et Bafanov, ils observent la statue avec des jumelles.

Scène Première

PLOGROV – BAFANOV

PLOGROV

Elle apparaît au loin, brillant en sa splendeur.
J’ai nommé vice-roi son habile fondeur.
Inondée de soleil, brûlante comme flamme
Illumine la ville, et les corps, et les âmes.
C’est la puissante voix, hurlant la vérité,
De l’Antéchrist, le roi, mort et ressuscité.

BAFANOV

Il est vraiment ressuscité !

PLOGROV

                                       La tombe obscure
N’a su me retenir, indigne sépulture.
À mes adorateurs, de toutes nations
Elle assure santé, bonheur, protection.
Ô divine effigie, vois-tu comme elle est belle ?

BAFANOV

Belle, elle peut bien l’être avec ce beau modèle.

PLOGROV

S’entassant à ses pieds l’inepte ramassis
Et gravé sur son front six cent soixante-six.
Animaux que l’on brûle au fer rouge à la tête
S’empressent de porter la marque de la bête.
Hommes sans volonté ! Ô stupides moutons
Menés par le licol ou bien par le menton
Pour devenir esclaves en la rue se bousculent !

Misérables mortels ! Peuplades ridicules !

BAFANOV

C’est parti ! La bagarre ! Ils en viennent aux mains !

PLOGROV

Qu’ils sont bas descendus, lamentables humains !
Pour entrer les premiers dans le cachot fétide
Se livrent volontiers entre mes mains cupides.
Je ne me lasse pas d’observer ces fourmis
S’épuisant sous le fouet. Courez, mes bons amis !
Achetez des carcans, des chaînes, des entraves,
De solides gourdins pour vous rosser, mes braves !

BAFANOV

Mais par quelle magie, par quel enchantement
Ces futiles ovins accourent prestement
Vers le fer du boucher ? Et par quel artifice
Ils foulent avec joie l’autel du sacrifice ?

PLOGROV

Ils chérissent la nuit et le jour leur fait peur.
Le monde, hormis Babel, les glace de terreur.
Qu’on regarde à Paris ou vers Tananarive ?
À Moscou, à Berlin, même jusqu’aux Maldives,
D’horribles phénomènes, cataclysmes affreux,
Révolte sans espoir de ce Dieu des Hébreux,
Défigurent la terre. Les volcans se réveillent,
Les flots ont ravagé Barcelone et Marseille.
La panique est partout. Il n’est qu’un seul abri ;
Sous l’aile de Nimrod venez, peuples chéris,
La vengeance de Dieu ne pourra vous atteindre ;
Il a trop peur de moi, je sais m’en faire craindre.
Construisez votre tour sur l’éternel rocher
Et le Dieu des Hébreux n’osera la toucher.
À propos de celui dont j’ai conquis l’empire,
J’attends ma bien-aimée. J’ai trois mots à lui dire.

BAFANOV

Justement, la voici.

(Entre Esther. Sort Bafanov sur un signe de Plogrov.)

Scène II

PLOGROV – ESTHER

PLOGROV

                             Entrez, charmante Esther,
La plus belle furie empruntée aux enfers.
Je voudrais te parler, je t’offre cette chaise.
Installe-toi, ma biche et mets ton corps à l’aise.

ESTHER

Une chaise ! Allons donc ! Admirable présent !
Une chaise en cadeau, bonne idée, c’est plaisant !
Chaises et tabourets manquent à mon ménage.

PLOGROV

Foin de bouffonnerie ! Calmons-nous, soyons sages.
Dans ce noble décor n’as-tu rien remarqué ?

ESTHER

Non. Ah si ! Le Brueghel, pourquoi l’a-t-on masqué ?

PLOGROV

C’est à toi qu’il convient de retirer le voile.
Que nulle autre avant toi n’admire cette toile.
J’en étais saturé de ce maître flamand.
À ma vue ce tableau dressait insolemment
De l’œuvre d’autrefois la carcasse éventrée.
Bâtisseurs dispersés et la tour délabrée ;
Image pitoyable, sombre velléité
Et Nimrod offensé quant à Sa Majesté,
Comme vaincu par Dieu ce prince à l’agonie.
Alors j’ai fait venir cet artiste, un génie.
Reléguant au grenier le vieux Pierre Brueghel,
Il fit pour notre gloire un ouvrage éternel.
Je n’en suis pas déçu, c’est une bonne affaire.
Tire sur ce cordon, je crois qu’il va te plaire.

ESTHER

Connais-tu bien mes goûts en termes de beaux-arts ?

PLOGROV

Tire donc ! Cette toile est digne d’un césar.
Nous l’inaugurerons de manière officielle.
Ce chef-d’œuvre est à toi, découvre-le, ma belle.

(Elle tire sur le cordon dévoilant le tableau. Il représente une femme portant une couronne, armée d’une épée et d’un bouclier, chevauchant un dragon rouge. Cette femme a les traits d’Esther.)

ESTHER

Quelle horreur ! Mais c’est moi ! Quel est ce barbouilleur
Qui dessine si laid ? J’en aurais des frayeurs.
Ce Picasso manqué, sans nulle retenue,
Sans ma permission m’a peinte toute nue.

PLOGROV

Ma chère, s’il te plaît, n’entre pas en fureur.
Ce large bouclier protège ta pudeur.
Il faut de la peinture comprendre le symbole,
Trouver la métaphore, cerner la parabole.
Ce monstre au front cornu qui foule sans merci
Les peuples, c’est Babel, dont le trône est ici.
Babylone accomplit sa cruelle vengeance.
Malheur à qui refuse une pleine allégeance !
Il répand sous ses pieds des rivières de sang.
Aucun n’est épargné, il n’est point d’innocent
Car ils ont méprisé Nimrod le magnanime.
Chevauchant le dragon, cette fille sublime,
C’est la reine. En présent je t’offre la cité.
Tu te bats pour le roi, tu l’as donc mérité.
Je domine le monde et la planète entière,
Mais pour sa capitale, Babylone si fière,
Il faut un gouverneur et je veux partager
Le pouvoir avec toi.

ESTHER

                               C’est fort bien m’obliger.

PLOGROV

D’une main sans pitié gouverne cette ville,
Écrase sous ton pied les manants indociles,
Déchire de tes griffes ainsi qu’un léopard,
Qu’aucun ne te résiste. Attire en ses remparts
Les Juifs premièrement, tue les tous, ils m’outragent ;
Ceux qui servent le Christ, pourfends-les dans ta rage.
Je croyais enlevés ces croyants, ces bandits
Mais ceux qui sont restés, ces tartuffes maudits,
À la tête du clan le traître Théophile
Aidé comme il se doit de sa femme Priscille,
Tout comme le chardon et comme le chiendent
Croissent dans mon jardin. Je hais ces dissidents.
Contrains-les par le fer, par le feu, la torture
De renier leur Christ et qu’en leur sépulture
Ils retrouvent leur Dieu qui fut crucifié.

ESTHER

En ce tyran vaincu oser se confier !

Déchirer tous ces gens, ce projet m’intéresse.
Je répandrai leur sang, je t’en fais la promesse.

(Entre Bafanov.)

 

 

Scène III

PLOGROV – ESTHER – BAFANOV

BAFANOV

Le rabbin d’Israël insiste pour vous voir.
Il prétend qu’en vous seul est son unique espoir.

ESTHER

Celui-ci tombe bien. Allons ! Qu’on l’introduise !

BAFANOV

Sa requête, dit-il, sera claire et concise,
Mais il veut vous voir seule.

ESTHER

                                         Eh bien ! Retirez-vous.

(Bafanov introduit Rosenfeld, puis sort avec Plogrov.)

Scène IV

ESTHER – ROSENFELD

ESTHER

Il vient pour se vautrer sous les pattes du loup.
Faire face à mes yeux, sa mort est arrêtée.

(À Rosenfeld)

Vous êtes en ces lieux personne mal grattée,
Courageux, téméraire, ou bien vous êtes fou.
Ne craignez-vous donc pas Dimitri, mon époux ?
Le timbre de sa voix vous combla d’épouvante,
Comme un lièvre fuyez lorsque sa statue chante.
Qu’attendez-vous de moi ? Que voulez-vous, Rabbin,
Juif au corps délabré, détestable larbin ?

ROSENFELD

Le roi Nimrod, un jour, me fit cette promesse,
Un pacte nous signâmes, honorable princesse,
Il devait protéger notre peuple, Israël ;
C’est un engagement, un traité solennel.
Or, malgré ses discours, ce tyran plein de grâce
A rompu son accord.

ESTHER

                                   Que veux-tu que j’y fasse ?

ROSENFELD

Tu es Israélite et te nommes Esther.

ESTHER

Si j’étais Cunégonde, Hortense ou Jenifer,
Qu’importe ?

ROSENFELD

                  Cette Esther, de Mardochée la nièce[1],
Souveraine Persane au cœur plein de noblesse,
– Tu es Juive comme elle – Auprès du puissant roi,
Au péril de sa vie… Intercède pour moi,
Donne compassion au monarque insensible,
Qu’il délivre tes frères du Haman invisible.
Ton peuple, pauvre Esther, à ce monde est vendu.

ESTHER

Pauvre je ne suis point. Israël est perdu.
N’as-tu pas proclamé que Nimrod, le grand maître
Est le Messie promis ? Réponds ! L’as-tu dit, traître ?

ROSENFELD

Sous le charme méchant de la fourbe Yvonnick,
Jeune magicienne à la langue d’aspic,
J’ai perdu la raison, ma foi dans les paroles
Sur la pierre gravées. Ô faiblesse frivole !
J’ai cru que c’était lui, le Sauveur envoyé.
Sur l’apostat chemin je me suis fourvoyé.

 

 

ESTHER

C’est assez, vieux chenu ! Je suis lasse d’entendre…
Nimrod l’a décidé, race de scolopendre !
Pour vous tous l’esclavage, la corde ou la prison.

(Elle l’atteint d’un dard tiré d’une sarbacane de la taille d’une cigarette.)

Prends ceci dans ton sang !

ROSENFELD

                                        Qu’est-ce là ? Un poison ?
Esther, tu m’assassines d’une flèche au curare.

ESTHER

J’attends que le sommeil de ton esprit s’empare.
Juste un médicament dosé pour t’engourdir,
Pour affaiblir tes muscles et t’empêcher de fuir.
Tu seras empalé au pied de l’effigie.
Mille juifs avec toi. Nous ferons belle orgie
Avec le sacrifice. Nimrod sera content.
Au peuple nous offrons un spectacle éclatant
Et ta chair aux vautours pour l’exemple, grand-père.

ROSENFELD

À tes armes impies, effroyable vipère
Il manquait les crochets injectant le venin.

(Rosenfeld perd connaissance.)

ESTHER

Beau travail mon Esther ! Dors bien mon gros lapin.

 

 

Second tableau

L’entrée d’une caverne dans le Périgord. Le paysage alentour est verdoyant.

Scène V

THÉOPHILE – PRISCILLE

THÉOPHILE

Que de renversements ! Priscille, quelle vie !

PRISCILLE

Les hommes des forêts nous porteraient envie.
Chassés de Babylone, menacés et bannis,
Dans le Périgord noir nous fîmes notre nid.
À l’écart de ce monde et de sa dictature,
Nous vivons sans soucis pour notre nourriture.

THÉOPHILE

Adieu belle maison, adieu notre confort,
Et lingots et bijoux dans notre coffre-fort,
Nos richesses d’antan réduites en poussière !

PRISCILLE

Nous avions assemblé tant de biens sur la terre,
L’église avait promis paix et prospérité,
Trésor que le voleur dérobe, en vérité.
Eussions-nous écouté de l’Époux la promesse,
Nous serions près de lui, et le cœur en liesse,
Nous aurions dans nos vies de précieux trésors.

THÉOPHILE

Priscille, devons-nous pleurer sur notre sort ?
Nous subissons ce joug et ce n’est que justice,
Mais où est le malheur, où est le préjudice ?
Nous vivons séparés de ce monde pervers,
Loin des villes souillées, dans ce théâtre vert,
Nous avons retrouvé la vie de nos ancêtres.
Dieu pourvoit chaque jour aux ressources champêtres.
Comme Ève et comme Adam, chassés du paradis,
À la sueur du front cultivons nos radis,
Ensemençons de blé la terre généreuse
Et cuisons notre pain ; et la chair savoureuse
De cailles, de perdrix tombées dans les filets,
Des fruits de la Vézère, carpes truites, brochets
Se nourrissent nos corps. Toute cette abondance
Est pourvue par le ciel et par sa providence.

PRISCILLE

Cette large vallée, voilà notre verger ;
Sur son peuple, là-haut, veille notre berger.
La caverne est à nous pour impériale suite,
L’eau, pour nous abreuver, tombe des stalactites.

THÉOPHILE

Sur les sites anciens, jusques à Bergerac,
À Cro-Magnon, Lascaux, aux Eyzies de Tayac
Où sur le roc humide, étranges signatures,
Les hommes découvraient les arts de la peinture…

PRISCILLE

N’entends-tu pas au loin comme un bruit de moteur ?

THÉOPHILE

Un étranger ?

PRISCILLE

                    Qui est-ce ?

THÉOPHILE

                                      Vite, à l’abri !

PRISCILLE

                                                           J’ai peur !

(Théophile et Priscille se cachent dans la grotte. Un motocycliste s’arrête à l’entrée, il met pied à terre, enlève son casque, découvrant le nombre 666-9 tatoué sur son front, et sort du coffre un grand sac.)

Scène VI

THÉOPHILE – PRISCILLE – APOLLOS

THÉOPHILE

Apollos !

PRISCILLE

              Il est seul, chargé comme une mule.

THÉOPHILE

Ce traître est-il venu nous briser les rotules ?
Hélas ! Par quel démon nous est-il envoyé ?

PRISCILLE

Nous n’avons pas besoin de ce front barbouillé.

THÉOPHILE

Vois-tu la trahison qui marque sa figure ?
Sa visite, crois-moi, n’est pas de bon augure.
Restons dissimulés, peut-être il partira.

APOLLOS

C’est ici qu’ils demeurent, un repère de rats.
Ils avaient résidence autrefois plus cossue.
Se coucher chaque soir sur la pierre moussue
Avec tous les proscrits blottis au fond du val,
Vivant de leur sagaie comme Neanderthal.
Je préfère et de loin demeurer dans la ville.
Holà ! Quelqu’un ? Holà ! Priscille ! Théophile !
Vous êtes là, je sais, à quoi bon vous cacher.
Auriez-vous peur de moi ou seriez-vous fâchés ?
Je ne viens pas ici pour vous chercher querelle
Mais j’apporte pour vous d’importantes nouvelles.

(Théophile et Priscille sortent de la caverne.)

Vous habitez ici, le décor est charmant.
Êtes-vous satisfait de votre appartement 

THÉOPHILE

Bien sûr. Et que nous vaut l’honneur de ta visite ?

APOLLOS

On dit que des croyants dans ces lieux troglodytes
Se cachent par milliers, fuyant la dure loi
Du prince de ce monde, ennemi de leur foi,
Défiant Babylone et ceux qui la gouvernent.
On dit que chaque jour, dans ces vastes cavernes
On ouvre en grand secret le livre défendu.
Vous partagez la Bible.

THÉOPHILE

                                   Eh oui ! Bien entendu.

APOLLOS

Armés de vos guitares, vous chantez des cantiques.
On vous nomme rebelles, sectateurs fanatiques,
Et malgré les efforts du pouvoir plogrovien
Votre secte interdite progresse vite et bien.

PRISCILLE

N’êtes-vous point pasteur, vous devriez connaître
La parole du Christ, celui qui fait renaître.

APOLLOS

Habile meneur d’hommes et prêcheur éloquent.
J’ai connu l’Évangile et j’ai choisi mon camp.
Servir la Babylone est chose difficile,
Il faut être souvent caméléon, Priscille.
De tous ces dissidents à la chaude ferveur,
On dit qu’en leur milieu vous êtes les meneurs
Et menez votre orchestre en parfaits virtuoses.
On dit enfin de vous…

THÉOPHILE

                                   On dit beaucoup de choses.
Meneur je ne suis point. Nous sommes serviteurs,
Servant comme le fit Jésus, notre Seigneur,
Qui pour tous les pécheurs s’offrit en sacrifice.

APOLLOS

Sacrifice ! Voilà du chrétien le service !
Serviteur jusqu’au bout, servant jusqu’à mourir.
Et voilà justement où je veux en venir.
L’Antichrist a nommé reine de Babylone,
Esther, la juive impie, corruptible couronne !
Serpent des plus cruels, avide de pouvoir,
D’exterminer les Juifs se fait tout un devoir,
Par le fer, par le feu, par d’horribles supplices
De les faire périr elle fait son délice.
Il en meurt à ses pieds chaque jour plus de cent,
Reine dégénérée, toujours ivre de sang,
Ribaude dépravée, prostituée frivole,
Maîtresse sanguinaire, elle est devenue folle.
Pour les servants du Christ point de sécurité.
Vous vivez à l’écart de toute société
Et croyez ne pouvoir dépendre de personne,
Mais c’est d’autre façon que l’ennemie raisonne
Et, faute de pouvoir vous vaincre par la faim
Elle a d’autres projets pour venir à ses fins.
Soldats et mercenaires parcourent monts et plaines,
Missionnés à trouver votre occulte domaine,
Vous aurez donc besoin de ma protection.

THÉOPHILE

Notre seul protecteur est le roi de Sion,
Il guérit les aveugles et fait perdre la vue.
Des soudards de Plogrov ne craignons la venue ;
Il sait quand il faudra nous cacher à leurs yeux.

APOLLOS

Qu’il envoie donc ses anges pour vous garder au mieux.
Quant à moi, je voudrais vous aider à survivre :
À titre de secours prenez ces quelques vivres.

(Il leur donne son sac.)

PRISCILLE

De ces conserves-là nous n’avons nul besoin.
Soyez remercié, cher ami, pour vos soins.
Nous n’accepterons rien de la part de Tartuffe ;
Au pied des chênes, là, nous ramassons des truffes.
Quel prix les payez-vous ? Nous les mangeons gratis.
Alors, à quoi vous sert, au front ce triple six ?

APOLLOS

Le triple six… Je sais… Ma pauvre âme égarée…
Ô démarche insensée, cervelle évaporée !
La marque refusée, vous fîtes le bon choix,
J’écoutai du malin la séductrice voix,
Ainsi, pour effacer de mon forfait la honte
J’aide comme je puis chacun d’une main prompte,
Apportant du café, du pain, du riz, du sel
Et j’espère attirer quelque pitié du ciel.
Tout ce que ma main trouve à donner je le donne ;
Je bénis les croyants, que le Ciel me pardonne.
Adieu, j’ai fort à faire, amis, priez pour moi ;
Je sers un roi mortel et vous le Roi des rois.
Priez Jésus pour moi, intercédez sans cesse,
Priez avec ferveur, faites-m’en la promesse.

(Il repart sur sa motocyclette.)

Scène VII

THÉOPHILE – PRISCILLE

THÉOPHILE

Hélas ! Pauvre Apollos ! Quelle folie l’a pris ?
Il achète son pain chez Delhaize, à quel prix !

PRISCILLE

Séduit par les attraits d’une ignoble réclame,
Pour un sac de lentilles il a vendu son âme.

 

 

THÉOPHILE

Il essaie maintenant de gagner le pardon
Du ciel en apportant des aumônes, des dons.
Œuvre futile et vaine, inutile démarche.
Lorsque la passerelle fut retirée de l’arche
Était-il encor temps de frapper sur le bois :
« Noé, nous avons peur, reçois-nous sous ton toit. »
Il est pour notre Dieu – qu’y pourrions-nous donc faire ? –
Des points de non-retour, et l’Écriture est claire :
Point de salut pour ceux que le diable a scellés.

« L’ange sur un ton fort et bien articulé
Dit : maudit qui adore la bête et son image,
Qui reçoit sur la main ou bien sur le visage
La marque de l’impie, il s’enivre du vin
De la rage terrible et du courroux divin.
Il sera tourmenté dans le soufre et la flamme,
Préparés pour Satan et ses servants infâmes.
Devant le Saint Agneau et les anges bénis
Durant l’éternité ceux-là seront punis.
Ainsi l’a décidé le Seigneur des armées
Jusqu’au siècle des siècles on verra la fumée.
Pour avoir adoré l’image du démon,
Pour avoir accepté la marque de son nom. »
Le pasteur Apollos, ô coupable faiblesse
A perdu tout espoir.

PRISCILLE

                                Mon Dieu ! Quelle tristesse !

THÉOPHILE

L’hiver paraît si long, attendons le printemps.

PRISCILLE

Le Livre dit aussi pour tous les résistants :

« Je vis placer des trônes, des juges s’y assirent.
Tous ceux qui sur la terre ont subi le martyre,
Tous ceux qu’on a tués, brûlés, décapités
Pour avoir témoigné du Christ ressuscité,
Pour avoir proclamé de Jésus le message,
Pour n’avoir adoré la bête et son image,
Pour n’avoir au Seigneur infligé cet affront
De porter du malin la marque sur le front,
Tous ressusciteront pour la vie éternelle
Et régneront mille ans, merveilleuse nouvelle. »

 

[1] Sa cousine, pour être bibliquement plus exact.

 

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