Chapitre XXXII - Un attentat
Voici Lynda et ses compagnons justement de retour. Elle ne cache pas son étonnement de trouver la belle Elvire en compagnie du bel Ottokar.
« Surprise de me voir, ma chérie ?
– Je ne me souviens pas de t’avoir invitée.
– C’est grand tort. Tu ouvres grandes les portes de ton palais à ces deux rastaquouères, tandis que tu me laisses pour compte, moi, ta meilleure copine. Comme tu me déçois, Lynda ! Comme je suis vexée !
– Ma meilleure copine ? Toi ? Première nouvelle !
– N’avons-nous pas vécu de bons moments ensemble ?
– Assurément, le jour où les faux jetons navigueront, tu seras amiral.
– Tu es injuste !
– Pour commencer, tu vas m’expliquer les raisons de ta présence ici. J’ai le pressentiment que tu ne m’apportes rien de réjouissant.
– Tu ne croyais pas si bien dire, pauvre cloche ! Je suis venue te tuer. »
Lynda lui répondit par un rire narquois.
« Me tuer ? Quelle est donc cette nouvelle invention ? Tu ne m’avais pas encore fait ce coup-là. »
Elvire dégaina son arme et la tendit en direction de sa rivale.
« Tu vas mourir, ravissante idiote.
– Il y a longtemps qu’on ne m’avait pas traitée de ravissante idiote, répondit-elle simplement, sans manifester aucune crainte.
– Elvire, s’écria Mamadou effrayé, je vous en prie, lâchez cette arme.
– Toi, le négro, tu la fermes ! »
Mohamed voulut intervenir à son tour, mais Elvire tourna son pistolet vers lui.
« Si jamais vous faites du mal à Lynda…
– Tu restes à ta place, ou je te taraude le nombril.
– Merci de votre aide, les garçons, dit Lynda, imperturbable, mais c’est une affaire entre elle et moi.
– Et cette affaire sera vite conclue, chienne ! À moi la vengeance et le plaisir de voir ton sang jaillir de ton corps ! »
Lynda regarda fixement son adversaire.
« Qui a pu mettre en ton cœur une telle félonie ?
– Ah ! Non ! Ne me regarde pas de cette façon-là.
– Pourquoi donc, ma grande ? Tu espérais lire la terreur et la supplication dans mon regard, et tu y trouves encore ce feu qui t’a déjà tant de fois consumée.
– Ne commence pas ! Tu n’es pas en mesure de me braver. L’arme qui va t’abattre est dans ma main.
– Misérable traîtresse, et maintenant meurtrière, tu vas découvrir comment meurt une chrétienne.
– Est-ce que ce n’est pas bientôt fini ? gronda le marquis. Finissez-en, Elvire ! Vous ne comprenez donc pas qu’elle est en train de vous distraire pour vous désarmer ? »
Toujours sous la menace d’Elvire, la jeune reine lui demanda :
« Accorde-moi la grâce de ne pas mourir idiote, et raconte-moi ce que cette larve de Kougnonbaf vient faire dans ta combine ?
– Tu auras ton explication, ce sera ta cigarette du condamné à mort : Ottokar de Kougnonbaf est prêt à tout pour te ravir ta couronne, et il me paie grassement pour t’éliminer. J’ai échoué une première fois quand tu nous as fait ton numéro du Lévitique, mais cette fois-ci, tu es fichue, ma jolie, je te tiens au bout de mon pistolet.
– Elvire Saccuti, lui lança Éva, vous n’êtes vraiment qu’une scolopendre.
– Attends un peu, petite bécasse, tu es sur ma liste, mais je n’ai que deux mains. Ton tour viendra. »
À ce moment, Julien, qui ne se doutait de rien, apparut à la porte, tout joyeux :
« Ma chérie, pour la marche nuptiale : Wagner ou Mendelssohn ?
– Mendelssohn. Non, Wagner. Non, Mendelssohn. Non, Wagner. Non, Mendelssohn. Non, Wagner.
– Wagner ? Tu en es sûre ?
– Oui.
– Allons-y pour Wagner ! »
Aussi rapidement qu’il était apparu, Julien sortit en chantonnant gaîment la célèbre marche nuptiale tirée de Lohengrin.
Elvire se moquait de lui :
« Celui-là, il plane vraiment dans la strato… »
Puis, après un court instant de réflexion :
« Eh ! Dis donc ! Rappelle ton copain !
– Mais… »
Elle pointa son arme vers Mohamed.
« Rappelle ton copain, ou je descends l’Arabe. »
La mort au cœur, Lynda se dirigea vers la porte et appela Julien. Celui-ci, revenant sur ses pas vit avec effroi son ancienne égérie, plaquant le canon de son arme contre la nuque de la nouvelle.
Elvire lui adressa un sourire cruel.
« Prends un siège, mon petit Julien, installe-toi bien. Je vais t’offrir un spectacle dont tu te souviendras toute ta vie.
– Qu’est-ce que c’est que cette comédie ?
– Une comédie ? Tu appelles ça une comédie ? Sanglante comédie en vérité ! Je vais abattre ta petite chérie devant tes yeux. Voilà qui mettra un peu de sucre glace sur le gâteau de ma vengeance. »
Julien se précipita sur elle, mais d’un geste rapide, elle le frappa d’un coup de crosse. Il tomba en criant de douleur.
Lynda n’eut pas le temps de réagir.
« Je ne te conseille pas de jouer les chevaliers servants. Retourne t’asseoir. On n’arrête pas les balles avec le poing. »
Elvire avait violemment plaqué Lynda face contre mur et lui enfonçait vigoureusement le canon entre les épaules.
« Ne te fais pas de souci, mon trésor ; ce n’est pas parce qu’elle a un lance-pierre qu’elle me fait peur. J’en ai brisé de plus solides.
– Assez perdu de temps en discussions ! cria le marquis. Elvire, exécutez votre contrat. Et allez faire ça ailleurs. Je ne supporte pas la vue du sang.
– Bonne idée. Passons dans la grande salle derrière. Nous y serons plus tranquilles pour régler nos comptes. »
Se sentant la plus forte, Elvire empoigna sa victime de sa main libre.
« Je t’aime, Lynda. Je t’aime, répétait Julien au bord des larmes.
– Moi aussi, Julien. Ne t’inquiète pas. »
Elle le regarda d’un air tendre et, plaçant ses doigts contre ses lèvres, fit signe de lui envoyer un baiser.
« Allez ! Avance ! » ordonna Elvire furieuse.
Elle la précipita dehors. Il y eut un silence écrasant qui semblait ne jamais finir.
Un coup de feu éclata.
On n’entendit plus rien que le cri de désespoir du jeune homme :
« Lynda ! »
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