Chapitre XI - Garde à vue

En garde à vue au commissariat, ils demeurèrent assis et menottés jusqu’à trois heures du matin. On contrôla l’identité des garçons, l’un après l’autre, les questionna, puis finit par les relâcher.

Vint le tour de Lynda, il était quatre heures.

« Et toi, qui as les clavicules si solides, qu’est-ce que tu as à nous dire ?

– Que tout ce chahut autour du palais de l’Élysée a dû troubler le sommeil du président, mais a-t-il troublé sa conscience ? »

Le soudard, peu habitué à ce genre de philosophie, frappa le sommet du crâne de Lynda avec l’annuaire téléphonique de Paris, lettres A à K, technique policière bien connue : ça fait mal et ça ne laisse pas de trace.

« Tu vas me payer ça, gros lard. Tu ne sais pas à qui tu as affaire.

 

– Ah oui ? Eh bien ! Tu vas commencer par me décliner ton identité, et plus vite que ça !

– Lynda.

– Elle se fiche de moi, en plus ! Lynda comment ?

– Lynda Lambert-Soussaschnick-Sassouschnikof, reine de Syldurie, il n’y en a qu’une seule, tu ne peux pas te tromper. »

Le policier éclata de rire.

« Et moi je suis Barak Obama ! »

Lynda ricana à son tour.

« Décidément, vous les pieuvres, vous manquez vraiment d’imagination. D’abord Sarkozy, puis Élisabeth II, Hollande, et maintenant Obama. Vous auriez pu me dire… je ne sais pas moi… “Et moi, je suis le prince du Liechtenstein”. Vous savez où c’est, au moins, le Liechtenstein ?

– Ah ! Mais ça suffit maintenant ! Ça va mal finir pour ton matricule. Montre-moi tes papiers. Et vite fait !

– Ça va ! Il n’y a pas le feu. Dans la poche intérieure de mon blouson. Et n’en profite pas pour hasarder un contact physique, sinon les beignes pourraient pleuvoir.

– Avec les mains liées, je ne vois pas comment tu pourrais faire.

– Fais quand même gaffe, dit son collègue, plus âgé et plus galonné, avec ce genre de nana, on ne sait jamais. »

Le jeune policier glissa prudemment la main sous le blouson de Lynda, prenant bien soin de ne pas effleurer son corps, et en tira son passeport.

« Tu es russe ?

– Syldure.

– Ah oui ! C’est vrai ! reine de Syldurie ! Nous voilà bien avancés avec ton papier écrit en chinois.

– Ce n’est pas du chinois, c’est du cyrillique, alors dépêche-toi de me trouver quelqu’un qui sache le lire. Tu sauras si je me prends pour la grande Catherine. Et je te préviens que votre ministre de l’Intérieur aura affaire à moi. »

Le vieux policier secoua la tête en maugréant.

« Donne-moi ça ! »

Il s’empara du passeport et disparut dans l’escalier, lequel document passa entre les mains de son chef, puis du chef de son chef, puis du chef du chef de son chef. Enfin, le commissaire divisionnaire descendit, accompagné de toute la hiérarchie.

« Je suis désolé, Messieurs, mais ce document authentifie que cette jeune personne est bien la reine de Syldurie.

– Ah ! » riposta Lynda avec un sourire moqueur.

« Et nous, nous sommes dans le purin jusqu’aux trous de nez. »

On aurait entendu une araignée marcher dans le grenier.

« Appelez-moi Bertoche ! » cria enfin le patron.

Le commissaire saisit le combiné, composa le numéro, et le tendit à son chef.

Conversation pénible : l’embarras du policier contrastait avec la colère du redoutable personnage.

« Il m’a dit de me démerder.

– Qu’est-ce qu’on fait alors ?

– On commence par lui enlever ses bracelets, imbécile ! »

L’un des policiers s’exécuta. Le commissaire divisionnaire bredouilla :

« Je… Nous… Votre Majesté… Nous sommes vraiment désolés pour cet incident et nous… nous espérons que votre Sire… que vous ne nous en tiendrez par rigueur. Voilà… On va vous raccompagner… Vous êtes libre.

– Comment ça ? Je suis libre ? Mais de qui se moque-t-on ? J’ai été témoin, dans un pays qui se prétend démocratique, d’exactions dignes de la Grèce des colonels. Votre soldatesque a maltraité un chef d’État. Et vous croyez que je vais me contenter d’une poignée de main et de trois mots d’excuse ? Mais ça ne va pas se passer comme ça, mon petit bonhomme ! Vous en entendrez parler, croyez-moi. La diplomatie française n’a déjà pas bonne presse, en ce moment. Tout cela n’arrangera rien. »

Le commissaire divisionnaire s’affala sur une chaise.

« Je suis perdu ! Avec une affaire pareille sur le dos ! Ma tête va tomber. »

Lynda jeta sur lui un regard de pitié.

« Ce n’est pas votre tête que je veux, c’est la liberté d’Aïcha Bendjellabah. Faites libérer Aïcha, et j’oublie tout.

– C’est que… ça ne se passe pas comme ça… La garce des Sceaux… vous comprenez…

– Voilà un lapsus qui pourrait vous conduire en prison, mon cher ami.

– La garde des Sceaux. C’est elle qui chapeaute tout ça.

– Je m’en moque ! Obéissez ! »

Nageant dans la sueur, le fonctionnaire saisit le téléphone et négocia longuement. Il se tourna enfin vers Lynda.

« Voilà ! C’est arrangé. Madame Bendjellabah quittera la Santé demain soir au plus tard.

– Merci. J’ai encore une chose à vous demander : que savez-vous de Zoé Duval.

– Zoé Duval, l’enfant disparu ?

– C’est cela. »

Le commissaire divisionnaire soupira :

« Pauvre fille ! »

Il rechercha des renseignements sur son ordinateur.

« Duval… Duval… Duval, Antoine… Duval, Prosper… Ah ! Duval, Zoé… née le 17 avril 1999 à Villeparisis, Seine-et-Marne… 116, rue de Paris, à Taverny, Val-d’Oise… 1m56, 48 kg. Yeux verts, cheveux roux… Eh bien ! Nous ne savons pas grand-chose sur elle : la thèse de l’enlèvement est privilégiée. Elle aurait été agressée alors qu’elle quittait son établissement scolaire : le collège Georges-Brassens, à Taverny. Son scooter a été trouvé abandonné sur la chaussée. Nous n’avons plus aucune trace de la jeune fille. Elle a certainement quitté la France. »

Puis il regarda Lynda d’un air résigné.

« Que pouvons-nous faire pour elle ? J’ai bien peur qu’elle ait atterri dans un claque en Thaïlande.

– C’est abominable ! »

 

Le policier cacha sa tête dans ses mains et poussa un profond soupir.

« Qu’est-ce que je vais dire à Toto, moi, maintenant ? »

 

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