Un drôle d'héritage
Un drôle d’héritage
Saynète en 2 tableaux
Timothée
Le facteur
Le Notaire
PREMIER TABLEAU
Scène première
(On sonne à la porte.)
TIMOTHÉE
Voilà ! Voilà ! J’arrive ! Qu’est-ce que c’est ?
LE FACTEUR
C’est le facteur.
TIMOTHÉE
Eh bien ! Vous n’êtes pas en avance ! Je commençais à croire que la boutique jaune était encore en grève !
LE FACTEUR
J’aimerais vous y voir ! Entre les citoyens qui ne paient pas leur eau, ceux qui ne paient pas leur électricité, ceux qui ne paient pas leur loyer, ceux qui ne paient pas leurs impôts, j’ai des tas de recommandés. D’ailleurs, j’en ai un pour vous.
TIMOTHÉE
Cela ne m’étonne pas. Je dois de l’argent à tout le monde. Cela vient d’où cette fois ?
LE FACTEUR
« Maître Aubouleau d’Audault, Boîte Postale 35, 28200... »
TIMOTHÉE
Un notaire à présent ! Je n’ai pourtant pas acheté de maison. Ce n’est pas avec mon salaire de la Paulstra...
LE FACTEUR
Vous signez là s’il vous plaît... Et l’accusé de réception... Voilà ! Merci. Bonne journée.
TIMOTHÉE
À vous aussi.
Scène II
TIMOTHÉE
Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
(Il ouvre la lettre.) Voyons !
« Monsieur.
J’ai l’honneur de vous informer que, consécutivement au décès de Monsieur votre père... »
Mon père est décédé ? Je suis le dernier à être au courant. Enfin ! Continuons !
« ...Consécutivement au décès de Monsieur votre père » et bla-bla-bla et bla-bla-bla... « en tant qu’unique descendant » etc., etc., « à mon étude dans les délais les plus brefs pour procéder à la lecture de son testament.
Veuillez agréer, Monsieur... » Etc., etc.
Signé : « Maître Marcel Aubouleau d’Audault, notaire ».
Enfin un facteur qui apporte une bonne nouvelle !
(Il appelle sur son portable.) Allô ! Sabrina ?... Oui, c’est moi, Tim. Tu vas bien ?... Oui, voilà pourquoi je t’appelle : je viens de recevoir une lettre d’Aubouleau... Oui, Maître Aubouleau d’Audault, le notaire. Il vient de m’apprendre que mon vieux vient de passer l’arme à gauche... Oui. Oh ! Non ! Pas besoin de condoléances. Ça fait des années qu’on ne se parlait plus... Oui... Tu ne le connais pas, l’ancêtre, il était vraiment spécial ! C’était un cas ! Il fallait se le farcir le pépé ! Ça oui ! À la maison ça ne rigolait pas. Tiens ! Par exemple. Chaque fois qu’on passait à table, on ne mangeait rien tant qu’il n’avait pas prié... Si, si ! Je t’assure ! Ça se passait comme ça. « Merci Seigneur pour ce repas », et patati et patata ! « Alléluia ! » par-ci et « Amen ! » par-là ! Et moi pendant ce temps-là, j’avais les crocs. C’est qu’il n’en finissait pas. Une fois j’ai chronométré : dix-sept minutes et huit secondes. Quand il avait fini, le gigot était froid. Il était rempli de l’Esprit Saint, qu’il disait. N’empêche qu’il était vachement long à se vider !... Comment ?... Oui, ça tu peux le dire. Je suis né dans une famille pieuse. C’est pour cela qu’on m’a trouvé ce prénom ridicule. Timothée ! Je vous demande un peu !... Enfin ! Voilà !... Oui au fait, je voulais te dire : puisque le paternel a cassé sa pipe, me voilà héritier... Oui... Ça arrange bien mes affaires. Je vais pouvoir payer ma facture de gaz... C’est ça !... Et puis, je ne changerai plus de trottoir quand je croiserai le patron du Crédit Lyonnais. C’est même lui qui va me faire la révérence. Tu sais, le vieux il n’avait pas de soucis d’argent. Il en avait des fifrelins ! Alors demain, j’irai chez le notaire récupérer le magot... Alors, oui, justement ! J’ai pensé, pour fêter ça, ce soir je t’invite au « Grand Monarque ». On n’hérite pas tous les jours. Alors, champagne, caviar... Oui, de l’Iranien, c’est le plus cher... Le préféré de notre président !... C’est d’accord ?... À ce soir alors... Bisous !... Moi aussi je t’aime.
DEUXIÈME TABLEAU
Scène première
LE NOTAIRE
Entrez !
TIMOTHÉE
Bonjour, Maître.
LE NOTAIRE
Bonjour Monsieur Rabroué. Asseyez-vous, je vous prie. Nous allons procéder à la lecture du testament de feu Monsieur votre père :
« Parvenu au terme de ma vie, usé par la vieillesse et la maladie, je sens venir, de plus en plus proche, le jour glorieux où j’entrerai dans le royaume éternel, dans la présence de mon Sauveur Jésus-Christ, auquel je rends continuellement grâces... »
TIMOTHÉE
Bon ! Passons les bondieuseries ! Venons-en au fait !
LE NOTAIRE
Au fait ? Bon ! Voilà :
« À l’association “Un foyer pour les sans-abri”, je lègue mes actions Péchiney.
– À la Croix Rouge, je lègue le contenu de mes comptes sur livret.
– À l’association “Sauvons nos banlieues”, je lègue mon manoir en Sologne, afin qu’elle y installe une colonie de vacances pour les enfants des quartiers défavorisés.
– Au comité d’aide aux victimes des inondations, je lègue mes meubles et ma garde-robe.
– À mon très cher fils Timothée... »
Voilà qui vous concerne :
« À mon très cher fils Timothée, je lègue mon bien le plus précieux : ma Bible, version Osterwald 1870. »
TIMOTHÉE
Hein ! Quoi ! Comment !
LE NOTAIRE
Votre père vous lègue sa vielle Bible : la voici.
(Il sort la Bible de son tiroir.)
TIMOTHÉE
Ce n’est pas vrai ! Dites-moi que ce n’est pas vrai ! Je rêve ! Je cauchemarde ! J’hallucine ! Je délire !
LE NOTAIRE
Votre père écrit que c’est son bien le plus précieux. Nous n’avons pas tous le même sens des valeurs.
TIMOTHÉE
Mais c’est un scandale ! Mais c’est une honte ! Mais c’est une infamie ! Mais c’est une trahison ! Me faire ça à moi, son seul fils ! Moi qui ai toujours été honnête, juste, obéissant ! Moi qui lui ai toujours prodigué tout mon amour ! Ça par exemple ! Le vieux grigou ! Le vieux pingre ! Le vieux débris ! Le vieux fossile ! Le vieux schnock ! Je n’en veux pas de son bouquin ! Qu’il aille au Diable !
(Il se dirige vers la porte.)
LE NOTAIRE
Attendez ! Attendez ! Ne partez pas comme ça ! Il y a une suite :
« Dans le cas, fort improbable, où mon très cher fils Timothée refuserait son héritage, celui-ci sera donné à l’Église de la Bonne Nouvelle ».
TIMOTHÉE
Eh bien c’est ça ! Qu’il la donne aux curés, sa vieille relique ! Ils la mettront dans une chasse.
LE NOTAIRE
S’il en est ainsi, je vous prierai de bien vouloir dater et signer ce document.
Ne cassez pas mon stylo.
TIMOTHÉE
Au revoir, Monsieur.
LE NOTAIRE
Maître.
Scène II
LE NOTAIRE
Voilà un héritier bien irrité !
(Il prend la Bible.)
Voilà un livre bien mystérieux : vénéré par les uns, haï par les autres. Imposture ou parole divine ? Allez savoir ?
(Il l’ouvre et lit au hasard.)
« Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où la teigne et la rouille détruisent, et où les voleurs percent et dérobent ; mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où la teigne et la rouille ne détruisent point, et où les voleurs ne percent ni ne dérobent. Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. »
Voilà qui est bien dit.
Tiens ! Il y a un bout de papier qui dépasse. Qu’est-ce que c’est ? Un billet de cinq cents euros !
(Il tourne les pages.)
Encore un ! Encore un autre ! Mais ma parole, c’est la banque de France ! Quel malin ce père Rabroué ! Il a caché toute sa fortune entre les pages de sa Bible. Il y en a là pour des millions. Je me souviens maintenant qu’il m’avait dit un jour que ce livre valait plus qu’un trésor. Et ce jeune écervelé, en la refusant, a laissé passer la chance de sa vie. Après tout, tant pis pour lui.
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