Chapitre XV - Thanatos amoureux
« Maintenant que tu es admise à la Salamandre, il va falloir sans tarder que tu passes au château gonflable.
– Je suis peut-être un peu trop grande pour ce genre de jeu. »
Malgré ses protestations, ses nouveaux amis placèrent Félixérie au milieu de cette installation pneumatique. Ils lui demandèrent d’ôter son bracelet de communication. C’est le seul endroit où elle pouvait le faire sans risque d’électrocution. L’appareil fut alors désactivé, puis jeté, avec les autres, dans un tonneau de métal. Le tyran perdait à ce moment son contrôle sur elle.
« Au fait ! Pourquoi la Salamandre ?
– C’est très simple. Nous avons trouvé refuge dans le château de François Premier, dont la Salamandre était l’emblème. »
Dans un autre château historique, à Blois, le colonel Laure Anjade avait demandé une entrevue à l’empereur...
Pour une fois, ce n’est pas une étourderie, j’ai bien dit « colonel ». Certains connaissent très bien les bonnes combines pour gagner rapidement du galon.
« Thanatos, j’en ai assez à la fin ! Je me suis fait agresser par cette petite chipie qui court dans la nature, puis par cet imbécile de blondinet. Et qu’est-ce que tu fais, toi, pendant ce temps-là, au lieu de me défendre ? Tu continues à le protéger.
– Ne te fâche pas comme ça, mon Bibichounet d’amour. Je sais très bien ce que je fais. Tout ceci fait partie de mon plan que je suis le seul à pouvoir comprendre. Et d’ailleurs, tu as la tête assez dure pour résister à quatre ou cinq coups de gamelle.
– J’ai peut-être la tête dure, mais pas le cœur tendre. Je crie vengeance. Et en attendant, c’est mon autorité qui est bafouée.
– Sois un peu patiente, j’ai besoin du jeune Sigur pour mener à bien mon expérience. Quand ce sera terminé, je te l’offrirai dans un emballage cadeau. Tu en feras ce que tu voudras.
– Il y a intérêt.
– Allons, ma Bibichoupette adorée ! Pour te consoler, ton gros Lapounet va te faire un gros gros câlinou d’amour. »
Il la souleva dans ses bras comme on prendrait un petit enfant. Il couvrit son beau visage de retentissant claquouillards, il la porta jusque dans sa chambre et la fit rebondir sur son lit de roi de Basan.
Tandis que Thanatos s’amusait, Sigur s’ennuyait ferme. L’absence de Félixérie lui pesait lourdement. Son basson était resté démonté dans son étui : le trio de Glinka, en solo, n’avait vraiment plus rien de pathétique. Il décida, d’ailleurs de quitter la rue des Pervenches et de regagner son appartement.
Il avait, bien entendu, repris son travail à G. Dégodaski-Prenloo. Tout en travaillant, il pensait à elle. Quand on lui demandait où elle était, il répondait qu’il n’en savait rien. Rentré chez lui, il s’ouvrait une boîte de ravioli, comme tout célibataire qui se respecte, et le soir, il se coiffait de ses écouteurs, satisfaisant son âme de la musique des dieux.
Un long cri d’effroi déchira le silence à l’entour du château de Chambord.
Frédo sortit :
« Félixérie ! Que se passe-t-il ? »
Félixérie courut se jeter dans les bras du colosse.
« Là !... Dans le bassin... C’est horrible ! »
Elle venait de trouver, flottant dans l’eau croupie, le cadavre cruellement mutilé d’une jeune femme.
« Ah ! Ça ? Mais ce n’est rien. C’est l’agent Nicole Niclou, que Thanatos avait envoyée pour nous infiltrer. Sandra lui a proprement réglé son compte.
– Qu’est-ce que ce serait si elle le lui avait réglé salement ! » répondit Félixérie en pleurant.
Sigur venait de recevoir un textal de Thanatos, lequel lui envoyait parfois même plusieurs textaux dans la journée :
« Alors, mon jeune ami, que pensez-vous de Scriabine ? »
Sigur s’empressa de répondre. Contrairement à sa camarade qui n’avait pas le privilège de compter parmi les favoris de l’empereur, il avait accès, non seulement à la musique des dieux, mais aussi à la langue des dieux. Son nouveau bracelet de communication était équipé d’un clavier tactile alphabétique et il maniait le stylet avec autant de dextérité qu’une dactylographe, car Thanatos considérait que pour ses proches collaborateurs, un homme azerty en valait deux.
« C’est un peu compliqué pour moi.
– Je vous encourage à persévérer. La musique de Scriabine a la particularité d’apporter à celui qui l’écoute le bien-être et le réconfort. Et je sais que vous en avez besoin, car je viens d’apprendre que votre petite amie vous a quitté. »
Au terme de sa triste journée, Sigur connecta ses haut-parleurs et, installé confortablement dans le fauteuil familial, écouta, à tête reposée, le Poème de l’extase.
Son protecteur avait finalement raison, cette audition lui avait procuré, sinon l’extase, une profonde paix intérieure.
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