Prologue
La forge. Soir de tempête.
MAUPRAT – MICHEL – CLAIRE – CHŒURS
CHŒURS
Dans l’angoisse
Et la nuit
Le vent passe
Et s’enfuit.
Que de carnages !
Que de naufrages !
Sur les rochers
Tant de nochers
Se sont brisés
Loin du rivage !
MAUPRAT
Nuit d’angoisse
Et de mort,
De menaces,
De remords !
Que de carnages !
Que de naufrages !
Sur les rochers
J’ai vu broyés
Tant de nochers
Loin du rivage !
CHŒURS
Dans l’angoisse
Et la nuit
La mort passe
Et s’enfuit.
MAUPRAT
Le marteau bat l’enclume
Et les ancres de fer.
Le vent pousse l’écume
Et déchire la mer.
CHŒURS
Oh ! Quel effroi !
Quel désarroi !
Rames brisées !
Voile arrachée !
S’engouffrent les flots dans le bois trépané
Des navires éperonnés.
Les victimes damnées
Dans le gouffre abîmées...
Cette nuit-là, t’en souviens-tu ?
Le Cran-aux-Œufs, tel un fétu,
Brisa des huguenots la fragile nacelle.
T’en souviens-tu, Mauprat, forgeron d’Audresselles ?
MAUPRAT
Ah ! Taisez-vous vents furieux,
Et vous, remous tumultueux,
Lames qui frappez la craie,
Chants de mort lugubres qui m’effraient !
Quand je repense à cette nuit d’horreur
Se fige mon sang de terreur.
Et je revois, sous ce lourd ciel d’orage
Cette coque broyée, ces deux corps qui surnagent,
Et cet enfant...
Que puisse mon marteau couvrir de ces brisants
Et de ces vents de mort les sinistres trompettes,
Et mon puissant soufflet dévier la tempête !
v
(Entrent Claire et Michel.)
MAUPRAT
Vous n’êtes pas au lit, vous deux ?
MICHEL
Comment pourrions-nous dormir avec tout ce vent ?
CLAIRE
Père Louis, j’ai peur ! Par moments, j’ai l’impression que la tempête va emporter toute la maison.
MAUPRAT
Cette cabane est pauvre et mal bâtie, mais c’est une maison de marin. Aucun vent ne peut l’ébranler.
CLAIRE
Mais tout de même ! De ma vie je n’ai jamais vu les vents et la mer dans une telle furie.
MAUPRAT
C’est parce que tu es jeune. Moi, je suis un vieux de la côte. J’en ai vu des tempêtes et des naufrages ! Cette nuit surtout ! Cette terrible nuit !
CLAIRE
Cette nuit où tu m’as trouvée ?
MAUPRAT
Tu t’en souviens, Michel ?
MICHEL
Oui, je m’en souviens.
v
Je n’oublierai jamais cette nuit furibonde
Où sur les gris écueils se fracassaient les ondes.
MAUPRAT
Au milieu du fracas de l’enclume et des flots
Deux êtres à l’abri sous d’épais paletots
Frappèrent cette porte.
« Qui sont ces étrangers ? Le diable les emporte !
– Nous devons rencontrer, pour un marché conclu
Un dénommé Merlu.
– Qui ? Merlu ? Ce fripon digne de la potence ?
– Nous n’avons d’autre choix, pour notre délivrance
Que voguer à son bord.
– Quoi ? Par telle tempête ! Vers quel but ? Pour quel port ?
– Nous devons cette nuit rejoindre l’Angleterre.
– Voyageurs téméraires !
Nul marin n’osera, aux démons malfaisants
De la mer en courroux, aux lames, aux brisants
Sacrifier sa vie.
– Merlu nous conduira. – Non, ce n’est que folie ! »
CHŒURS
Trésor inestimable au couple infortuné,
Dans un panier de jonc, un enfant nouveau-né.
T’en souviens-tu, Mauprat, forgeron d’Audresselles ?
MAUPRAT
Je revois cette fille, innocente et si belle !
CHŒURS
Avec ce pauvre enfant sur l’esquif agité,
Ces humbles voyageurs, qu’avaient-ils emporté ?
MAUPRAT
Un lourd coffre de cèdre aux solides ferrures.
Comme il m’en a tenté d’en briser la serrure ?
v
CLAIRE
Mon père et ma mère se sont donc embarqués avec ce Merlu, et m’ont prise avec eux !
MAUPRAT
Merlu n’était pas du voyage. Il a refusé de les accompagner, à cause de la tempête. Ton père lui a racheté sa barque et il l’a pilotée seul.
CLAIRE
Mais pourquoi n’a-t-il pas attendu l’accalmie ? Ne pouvait-il pas reporter la traversée au lendemain ?
MICHEL
Ils devaient quitter la France au plus vite. L’Armée royale était à leurs trousses.
CLAIRE
Étaient-ils donc des criminels ?
v
MAUPRAT
C’étaient des hérétiques, ennemis de la foi,
Maudits par le Saint-Père et bannis par le roi.
MICHEL
Obscur était le ciel
Quand j’entendis mon père
Crier : « Debout, Michel !
Apporte la lumière. »
MAUPRAT
Il fallait relever les casiers des homards.
CHŒURS
Relever à cette heure ! Était-ce raisonnable ?
Au Cran, que faisais-tu, dans la nuit, misérable ?
MAUPRAT
La marée n’attend pas. Il est presque trop tard.
v
MICHEL
Nous avons marché dans le vent et la pluie, je suivais mon père, chacun portant sa lanterne. Je n’avais que six ans. Je craignais que le vent ne m’enlève et me précipite à la mer.
CLAIRE
Quelle enfance tu as eue !
MICHEL
Nous parvînmes enfin au Cran-aux-Œufs, promontoire enfoncé tel un poignard dans la Manche. La mer, sans pitié se brisait sur le mur de craie à la manière d’un bélier. Les gerbes s’élançaient au-dessus du roc comme pour nous engloutir.
CLAIRE
Comme tu devais avoir peur !
MICHEL
J’étais épouvanté.
v
Soudain, au milieu des nuages
Apparut l’astre de la nuit.
Nous vîmes tout près du rivage
S’abîmer la barque à grand bruit.
CHŒURS
Oh ! Quel effroi !
Quel désarroi !
Rames brisées !
Voile arrachée !
Le Cran-aux-Œufs, tel un fétu,
Brisa des huguenots la fragile nacelle.
T’en souviens-tu, Mauprat, forgeron d’Audresselles ?
v
MAUPRAT
De la barque de Merlu, il ne restait plus rien. Des morceaux de coque et de voile avaient volé tout alentour.
v
CLAIRE
Mes chers parents !
MAUPRAT
Avalés par les flots.
Tel fut le sort du couple parpaillot.
Nous n’avons pu sauver que la cassette.
CHŒURS
Un trésor chargé de piécettes ?
MAUPRAT
Un énorme bouquin
Et quelques parchemins.
Et dans cette nacelle une petite fille.
MICHEL
L’océan me donna cette sœur si gentille !
CHŒURS
Dans l’angoisse
Et la nuit
Le vent passe
Et s’enfuit.
Que de carnages !
Que de naufrages !
Sur les rochers
Tant de nochers
Se sont brisés
Loin du rivage !
CLAIRE
Nuit d’angoisse
Et de mort,
De menaces,
De remords !
De déchéance
En espérance !
Nuit de naufrages !
Sur les rochers, fille trouvée,
Je fus sauvée
Sur ce rivage.
CHŒURS
Dans l’angoisse
Et la nuit
La mort passe
Et s’enfuit.
MAUPRAT-MICHEL-CLAIRE
Le jour se lève, le vent s’apaise.
Les vagues meurent, les flots se taisent.
Adieu la peur, adieu la nuit.
Adieu terreurs, passez sans bruit.
Dans le jour pâle
La mer d’opale
Garde un horrible souvenir
Du naufrage et de ses martyrs.
CHŒURS
Le jour se lève, le vent s’apaise.
Les vagues meurent, les flots se taisent.
Adieu la peur, adieu la nuit.
Adieu terreurs, passez sans bruit.
Dans le jour pâle
La mer d’opale
Garde un horrible souvenir
Du naufrage et de ses martyrs.
Créez votre propre site internet avec Webador