Chapitre premier - Mais où est donc passé Paul ?
Le biographe de la reine de Syldurie achevait sa Saint-Feuillien à sa table habituelle du Bis Trop, sur la place d’Havré, près de Mons. Avisant l’horloge, il se leva pour payer sa consommation. Il salua l’assistance après un dernier coup d’œil au chat de Philippe Geluck qui lui résumait sa philosophie en deux bulles :
« Si ma femme tenait un bistro… elle me verrait plus souvent. »
Il n’y a pas loin de la place à la station d’autobus. L’attente ne dure guère, notre biographe prend place à l’avant, non sans avoir cordialement salué le chauffeur, un vieil ami.
Le bus articulé accélère dans la longue ligne droite qui traverse le bois d’Havré. Le voilà qui s’engage sur le rond-point au centre duquel se dresse un cœur rouge, composé d’une multitude de boîtes de soda écrasées.
Les passagers poussent un cri de stupeur. Au lieu d’amorcer la courbe, l’autobus poursuit sa ligne droite et s’encastre à grand fracas dans l’empierrement.
Bousculade, cris d’effroi, contusions. Le pare-brise vole en éclats. L’émotion se dissipe. Quelques saignements, quelques bleus et quelques bosses, mais pas de blessures sérieuses.
« Mais où est donc passé Paul ?
– Il a été éjecté.
– Mais non ! Il n’y a personne. Il n’a tout de même pas pris la fuite. »
Paul, le chauffeur, est un habitué de la ligne. Jamais il n’avait commis le moindre impair de conduite. S’il a laissé son bus se détourner de sa course, c’est qu’il lui est arrivé un malaise. Les voyageurs le connaissaient bien, ce sympathique chauffeur, toujours aimable, même en face des mauvais coucheurs, qui a toujours dans sa poche un ou deux Nouveaux Testaments Gédéons à offrir aux clients qui l’interrogent sur sa façon d’être. Et le voilà comme volatilisé.
« C’est tout de même bizarre, cette affaire-là, dit un voyageur. J’espère qu’à part lui, tout le monde est là.
– Il y avait quelqu’un en face de moi, dit un autre. Un homme grisonnant, avec une barbe, et un œil plus petit que l’autre. Lui aussi a disparu. »
Ce barbu amblyope qui, lui aussi, manque à l’appel, c’est le biographe de Lynda.
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