Acte III
Premier tableau
Décor du tableau précédent. La statue de Plogrov est très inclinée et soutenue par des étais.
Scène Première
PLOGROV – BAFANOV
PLOGROV
Elle est fort inclinée.
BAFANOV
Elle va s’effondrer.
Que ces étais de bois puissent la préserver
De l’engloutissement et de la lourde chute.
PLOGROV
Le fruit de nos efforts, de nos peurs, de nos luttes,
L’effigie que l’on doit adorer comme un dieu,
Animée de la vie du maître précieux,
Dont la voix fait trembler les dix rois de la terre,
Dominant Babylone, ville forte et prospère…
Que dira-t-on de moi si cela croule au sol ?
BAFANOV
Le roi de l’Univers passe pour un guignol !
PLOGROV
Quoi ? Ma divinité, mon prestige et ma gloire,
La face dans la boue ? Enfer et purgatoire !
Il faut sauver ce monument.
BAFANOV
Par quel moyen ?
PLOGROV
Redressez ce colosse, Allons !
BAFANOV
Cela n’est rien !
C’est aisément parler. Que faut-il que l’on fasse ?
PLOGROV
Des tonnes de rochers pour en porter la masse.
Jusqu’à la fin des jours qu’elle inspire la peur,
Une crainte sans faille à nos adorateurs.
Parle-t-elle encor ?
BAFANOV
Oui, mais d’une voix de chèvre ;
Des propos insipides et des paroles mièvres.
C’est un signe, vraiment. Cela n’est pas normal.
PLOGROV
L’idole, fièrement, sur son haut piédestal
Dressera pour toujours son front plein de blasphèmes.
Eh bien ? Qu’attendez-vous pour régler ce problème ?
(Sort Bafanov, entre Esther.)
Scène II
PLOGROV – ESTHER
ESTHER
Eh ! doutez-vous encore de son inclinaison ?
Elle va s’écrouler. N’avais-je pas raison ?
PLOGROV
Nous en avons assez parlé, reste tranquille.
ESTHER
Le poing de l’Éternel s’abat sur notre ville,
Et je viens d’engager Kashi Surimoto
Qui devra m’apporter son rapport au plus tôt.
PLOGROV
Me sors-tu ce gaillard du fond de la Corée ?
Avec tous ces Chinois, c’est le raz de marée !
ESTHER
Nuance ! Un Japonais. Un grand maître Shinto.
PLOGROV
Eh ! qu’ai-je à faire, moi, de ce Yamamoto ?
ESTHER
Surimoto ! Il sait des sciences orientales
Démêler tous les nœuds, lire dans les étoiles,
Il sait interroger des dieux presque oubliés.
À ses oracles sûrs nos destins sont liés.
Qu’il donne son avis ce soir sur Babylone
Et sur ton trône d’or, sur ma riche couronne.
(Entre Surimoto.)
Scène III
PLOGROV – ESTHER – SURIMOTO
SURIMOTO
Est-il question de moi ?
ESTHER
Vos dieux ont-ils parlé ?
SURIMOTO
Le dieu de la nature à moi s’est révélé.
Je puise mon savoir dans toute la matière,
Je parle avec les vents, les monts et les rivières.
Je sais tout de la vie, je sais tout de la mort.
ESTHER
Où en est aujourd’hui l’activité du port ?
Combien ont cette nuit débarqué de navires ?
Sans fouiller vos papiers sauriez-vous me le dire ?
SURIMOTO
Par le puissant Soleil et par la création,
Pour un sage devin quelle étrange question !
J’en aurais attendu de plus spirituelles.
Combien donc de cargos, combien de caravelles ?
Dix-sept.
PLOGROV
Comment ? Pas plus ?
ESTHER
Hier ?
SURIMOTO
Quarante-deux.
ESTHER
La semaine dernière ?
SURIMOTO
Quatre cents.
ESTHER
C’est fâcheux !
PLOGROV
C’est la morte-saison, voyez-vous, chère amie ?
ESTHER
Enfin, qu’arrive-t-il à notre économie ?
Vingt navires par jour, peut-être dix demain !
PLOGROV
C’est la morte-saison.
ESTHER
Laissons là ce refrain.
Nous devons redresser cette barre au plus vite.
Je vous le dis tout droit : Babylone est maudite.
PLOGROV
Billevesées, ma chère !
ESTHER
Par le nom de Bélial !
Qui pourra relever ce royaume infernal ?
Babel sur l’Antéchrist a fondé sa puissance,
Ne craint du Dieu des cieux la sinistre vengeance.
Elle s’est enrichie. Les marchands par millions
Débarquent de l’Afrique ou du septentrion,
Vendent l’or et l’argent, les perles précieuses,
L’ivoire et l’écarlate et la soie merveilleuse,
D’ébène et d’acajou toute espèce de bois,
Drogues à rendre fou les plus dignes des rois.
Nous trafiquons surtout pour compléter la somme,
Les plus beaux corps de femme et les âmes des hommes.
Vendeurs aux mœurs cupides, à l’esprit dissolu,
Aux portes de Babel ne s’arrêteront plus.
PLOGROV
La ville est engourdie, voilà qui nous inquiète.
Explique-nous cela si tu es grand prophète.
SURIMOTO
Prophète si je suis ? Ma foi je ne suis point ;
Pour être Jérémie par Dieu je ne suis oint
Mais pour être omniscient je me brise à la tâche,
Confucius, Lao-Tzeu j’étudie sans relâche.
Je puise ma science en de chers parchemins,
Par d’antiques pensées je me fraie mon chemin.
Les dieux m’ont révélé pour éclairer vos doutes
Un vieux grimoire obscur où nul ne comprend goutte.
Un sage de Judée à l’exil condamné,
Sur une île de Grèce, songeur illuminé
Aux temps anciens reçut la visite d’un ange…
PLOGROV
Venez-en vite aux faits, ces détails me dérangent.
Ce livre sibyllin, que t’a-t-il révélé ?
SURIMOTO
Il en vit sept ouvrir de longs rouleaux scellés,
Quatre chevaux montés de cavaliers horribles
Portant la mort, la guerre, des bourreaux insensibles…
Cataclysmes, martyres… Malheur au genre humain !
Voici les sept trompettes, un concert de terreur.
Des démons Babylone est devenue repaire,
De tous oiseaux impurs, un antre de vipères…
Tous les rois ont goûté le vin de sa fureur,
Les peuples ont vécu le règne de l’horreur
Mais voici pour combler la divine colère
Sept coupes bien remplies pour inonder la terre.
Babylone croit-elle échapper en ce jour ?
Elle sera frappée pour tomber à son tour.
Un ulcère malin, douleur insupportable
Frappera tous les hommes – Le songe est véritable –
Qui auront sur le front la marque fait graver.
Où qu’ils courent et s’enfuient qui pourra les sauver ?
ESTHER
D’y penser seulement l’épiderme me gratte.
N’avez-vous rien de mieux ? Prophétie scélérate !
SURIMOTO
Une seconde coupe il verse dans la mer
Et transporte ses eaux en un poison amer.
C’est du sang, oui, du sang, et tous les poissons meurent.
Les lacs, les océans…
ESTHER
Cette vision m’écœure !
À la troisième coupe, que va-t-il se passer ?
Car avec ces deux plaies en voilà bien assez !
(Entre Bafanof)
Scène IV
PLOGROV – ESTHER – SURIMOTO – BAFANOF
BAFANOV
Dimia, je viens de voir une chose effroyable,
On n’a jamais rien vu de plus abominable.
PLOGROV
Quoi encore ?
BAFANOV
L’Euphrate, le fleuve, c’est du sang !
Tous les poissons périssent en ses flots rougissants.
PLOGROV
Tu nous as déjà fait, marquis, cette alchimie.
La carpe a succombé à l’hyperglycémie*.
BAFANOV
C’est malin ! Cours au quai m’en rapporter un broc.
C’est bien du sang, te dis-je et non point de sirop.
ESTHER
Vous touillez, mon ami, une immangeable soupe.
Le fleuve devient sang !
SURIMOTO
C’est la troisième coupe ;
Parlant à l’exilé l’ange venu du ciel :
Le juste Dieu remplit un jugement cruel
Car tu versas le sang des saints et des prophètes.
PLOGROV
Quoi ? Des prophètes ? Moi ? Qui te l’a mis en tête ?
SURIMOTO
C’est écrit dans le livre et c’est votre leçon,
Car le sang des martyrs sera votre boisson.
ESTHER
Japonais ! N’as-tu rien de plus drôle à nous dire ?
SURIMOTO
Les autres visions, madame, sont bien pires
Car sept vases sont pleins, nous n’en sommes qu’à trois.
Quatrième, à présent : les manants et les rois
Verront leur peau rougir d’une brûlure intense ;
Au zénith le soleil et sa fournaise immense
À leur tour sont frappés par la main du grand Dieu.
Qui pourra supporter la chaleur et le feu ?
Les hommes contre lui blasphèment et maudissent,
Ils se tordent le corps de douleur et vomissent.
Je regarde, impuissant, leur chair s’empuantir.
Au lieu de rendre gloire et de se repentir,
Implorer le Seigneur qu’il accorde sa grâce,
Plutôt que de pleurer en regardant sa face…
ESTHER
As-tu bientôt fini, samouraï de malheur ?
SURIMOTO
Les méchants ne sont pas au bout de leurs douleurs.
Nouvelle coupe encore, et les eaux sont taries
Et ma foi, n’en déplaise à Votre Seigneurie,
L’Euphrate deviendra comme un fossé bourbeux.
Mais voici trois démons, des batraciens hideux,
Oui, de vos larges becs, grenouilles répugnantes
Se déversent. J’en ai le cœur plein d’épouvante.
Oui, vous êtes la bête, vous êtes le dragon.
PLOGROV
Assez, Surimoto ! Je m’extrais de mes gonds,
Car je sais tout cela, c’est écrit dans la Bible,
Œuvre de gribouilleurs se croyant infaillibles.
C’est dans l’Apocalypse et vous n’inventez rien,
Jaune privé d’esprit, Nippon mangeur de chien !
Pour m’avoir diverti par tant de balivernes,
Que nos vaillants soldats le mènent en caserne
Et que sans jugement il y soit fusillé.
ESTHER
Qu’en l’Euphrate sanglant il soit plutôt noyé.
Les sinistres histoires sont ici malvenues.
Vilain petit chinois, disparais de ma vue !
(Deux soldats, escortés par Bafanov, emmènent Surimoto. Le théâtre est brusquement plongé dans l’obscurité.)
Scène V
PLOGROV – ESTHER
PLOGROV
Oh ! Que se passe-t-il ?
ESTHER
À trois heures du jour
Le soleil s’est éteint. Il fait nuit tout autour.
PLOGROV
C’est la sixième coupe[1] et c’est la fin du monde,
La fin de mon royaume et la colère gronde.
Dieu nous lâche ses chiens, mon trône est ébranlé.
Dans l’abstrus parchemin les faits sont révélés.
ESTHER
Quoi ? La sixième coupe ? Que sera la dernière ?
PLOGROV
C’est l’ultime combat, nous y perdrons la guerre.
Le Christ, à Megiddo, bientôt sera vainqueur.
Esther, serre-moi fort dans tes bras, car j’ai peur.
Dieu dans sa tyrannie nous prive de lumière.
« Qu’elle soit ! » Elle fut. Il retourne en arrière.
L’Éternel a donné, l’Éternel a repris.
J’ai joué contre Dieu, j’ai perdu le pari.
Esther, console-moi, ma détresse est si grande !
Cette ville est un four et nous sommes la viande.[2]
Second tableau
Le Mur des Lamentations. Ténèbres.
Entrent Priscille et Théophile, invisibles.
Scène VI
THÉOPHILE – PRISCILLE
THÉOPHILE
Priscille, où sont passés nos bruyants guides noirs ?
PRISCILLE
Un vol noir dans le noir ! Hélas ! comment les voir ?
Qu’en est-il de leurs voix, douce cacophonie,
Leur croa disgracieux, chanson sans harmonie,
Torture du tympan, j’en venais à l’aimer.
THÉOPHILE
Les corbeaux se sont tus.
PRISCILLE
Devrons-nous les blâmer ?
Ils se sont dispersés sur cette ville obscure.
THÉOPHILE
Ils nous plantent sur place, indignes créatures.
PRISCILLE
Par où faut-il marcher ? Quel est notre chemin ?
Je crains de m’égarer. Ne lâche pas ma main.
THÉOPHILE
Où sommes-nous ?
PRISCILLE
Jérusalem ?
THÉOPHILE
Sans aucun doute
Car tant qu’il faisait jour nous en suivions la route.
Scène VII
THÉOPHILE – PRISCILLE – SALOMON
PRISCILLE
J’entends venir au loin ? N’entends-tu pas chanter ?
Un chant qui se rapproche. Nous devons l’écouter.
SALOMON
Toi Bethléem ! Ô Bethléem !
Bethléem, village oublié,
Vois-tu le grand roi qui va naître ?
Il règnera, glorifié.
Fils de Juda, voici ton maître.
Ô Bethléem !
THÉOPHILE
L’oracle de Michée inspira ce cantique.
Il chante le Sauveur, poème prophétique.
SALOMON
Jérusalem ! Jérusalem !
La pierre d’angle qu’on rejette,
Pierre pesante, lourd fardeau,
Elle t’écrasera la tête,
Te brisera comme un marteau.
Jérusalem !
PRISCILLE
Cet homme-là craint Dieu. Chantons à notre tour.
Que le son des cantiques, en l’absence du jour
Nous fasse retrouver. À défaut de lumière
Qu’il réchauffe en nos cœurs un esprit de prière.
(Ils chantent en duo.)
Sur l’Invitation au voyage d’Henri Duparc et sur les rimes de Charles Baudelaire
Adonaï, Seigneur,
Divin Rédempteur,
Un jour, nous irons ensemble
Au ciel, te servir,
Vers toi, nous unir,
Car c’est toi qui nous rassembles.
Plus d’esprit souillé,
Plus de cœurs brouillés,
Dans ce pays plus d’alarmes.
L’ami merveilleux,
Le Dieu glorieux
Lui-même essuiera nos larmes.
Là, dans la sainte cité
Tout est paix, félicité.
Dans les lieux d’en haut
Nous verrons bientôt
Celui dont la grâce abonde.
C’est pour nous guérir
Qu’il a dû souffrir,
Cloué sur la croix immonde.
Le pécheur méchant
Qui vient repentant
Lui offrir sa vie entière
Ne craint plus la mort,
Dans la ville d’or
Verra sa pleine lumière.
Là, dans la sainte cité,
Tout est paix, félicité.
SALOMON
Combien je me languis de la cité des cieux !
Ses portes de cristal ! Son palais radieux !
Seigneur, prends en pitié nos languissantes âmes,
Car des bûchers maudits nous subissons la flamme.
Oui, viens bientôt, Jésus, Seigneur Emmanuel !
Satan règne sur terre, ton royaume est au ciel.
Dans la ville d’en bas tout est peine et souffrance,
Vers la ville d’en haut monte notre espérance.
Vers l’admirable roi nous élevons nos mains.
Sauve-nous du tyran, sauve-nous du Romain.
Des yeux du peuple juif, Seigneur, essuie les larmes ;
Protège le chrétien par tes divines armes.
Scène VIII
THÉOPHILE – PRISCILLE – SALOMON – ARIEL
(Un chant, venu du ciel, se fait entendre. Une étoile perce l’obscurité. La lumière s’intensifie à mesure que le chant se rapproche. Enfin, l’ange chanteur, Ariel apparaît, enveloppé de lumière.)
ARIEL
Sur « Du bist die Ruh’ » de Franz Schubert
Tu es, Seigneur, le vrai repos,
Tu as porté mon lourd fardeau
Quand à la mort, pour moi tu t’es livré.
Pour mon péché, sur la croix tu t’es donné.
Sur la croix, tu t’es donné.
Dans le tombeau, on t’a porté,
La lourde pierre on a roulé.
Oh ! Quel tourment, pour moi sombre pécheur !
J’ai crucifié le saint homme de douleur !
Le saint homme de douleur !
Jésus, toujours tu vis en moi, ô Fils de Dieu !
Ô ressuscité ! Ô ressuscité !
(Attiré par la lumière qui se dégage de lui, le peuple s’attroupe.)
Point de paix dans ce monde et le repos banni.
L’univers est malade et les hommes punis.
La planète subit du Seigneur la colère
Et l’on vendrait sa vie pour un jour de lumière.
Hommes, cherchez la paix et vous la trouverez ;
Recherchez le repos, pécheurs, persévérez
Point de tranquillité pour l’impie, l’adultère,
Pour le méchant, jamais de repos sur la terre,
Il n’en trouvera point au profond de l’enfer,
Le maudit s’est vendu au sombre Lucifer.
Vous chérissez la nuit, vous craignez la lumière ;
Hommes ! Qu’avez-vous fait du Messie qui libère ?
Est-ce inutilement qu’il fut crucifié ?
Est-ce en l’or et l’argent que vous vous confiez ?
Vos trésors sont pourris, vos richesses rouillées,
Vos diamants, vos rubis et vos pierres taillées
Vous délivreront-ils aujourd’hui du malheur ?
Les coupes sont versées, ne restent que les pleurs,
Mais le ressuscité vous accorde une trêve,
C’est le matin de Dieu, voyez, le jour se lève.
Comme des papillons de nuit dans le brouillard,
Venez vous éclairer au lumignon blafard.
Ecoutez à présent le glorieux message,
Approchez-vous du feu. Manquez-vous de courage ?
Voici venir à vous le jour de l’Éternel :
Le jour du jugement, un instant solennel.
Écoutez, vous pécheurs qui traînez par la ville.
Venez, Juif Salomon, annoncez l’Évangile.
SALOMON
Le peuple qui marchait, aveuglé dans le noir
Vit au loin se lever le soleil de l’espoir.
Une grande clarté remplit la ville obscure ;
Le pays de la mort, de l’ombre, en un murmure,
Se réveille à la vie, chacun se réjouit
Comme le moissonneur récoltant de bons fruits.
Ce sont les cris de joie et des chants d’allégresse.
Le ciel envers son peuple a tenu sa promesse :
Le joug qui t’écrasait, qui te brisait le cou,
Le bâton qui rompait tes côtes sous ses coups,
La verge t’opprimant, celle du Madianite,
Ces armes sont brisées, l’ennemi prend la fuite.
Debout, peuple de Dieu, car l’enfant nous est né !
Le Messie d’Israël, ce Fils nous est donné :
Tout-Puissant, conseiller, – c’est ainsi qu’on le nomme, –
Admirable, éternel, régnant parmi les hommes.
Tout vêtement de guerre, par le fer et le feu,
Tout est anéanti par la main du grand Dieu.
Comme Ésaïe lui-même ne cesse de le dire :
Une paix sans limites il offre à son empire.
Par le zèle divin, la justice et le droit,
Ainsi s’élèvera le trône du bon roi.
Et toi, Jérusalem, capitale foulée
Par les peuples impies, vierge pure, immolée,
L’Éternel de Juda sera le bouclier,
L’inébranlable fort, le rempart, le rocher,
Et le plus faible enfant, tout craintif et timide
Sera comme David et sa maison solide.
L’Éternel combattra toutes les nations,
Ennemies de Juda, ennemies de Sion.
Dieu lèvera son bras, elles seront détruites.
Voici le désarroi, le désastre et la fuite.
Sur David et son peuple, alors, je répandrai
L’esprit de repentance et je déverserai
Sur la sainte cité, dans ses rues, sur les places,
Un esprit suppliant. Ils recevront la grâce,
Ils me reconnaîtront, Jésus ressuscité ;
Ils pleureront sur moi, celui qu’ils ont percé ;
Ils se repentiront de leurs actes iniques,
Pleureront comme on pleure la mort d’un fils unique.
Voyez, c’est aujourd’hui le jour du châtiment,
Aujourd’hui l’Éternel, Dieu qui jamais ne ment,
Une dernière fois déverse sa colère
Dont le feu, sans retour, anéantit la terre,
Et son bras courroucé ne se retiendra plus.
C’est le jour, Israël, le jour de ton salut.
N’attends pas à demain, reçois cette lumière,
Reçois le vrai repos qu’il t’offre au nom du Père.
(Un grand nombre de Juifs s’approche et s’agenouille. Bafanov, armé, apparaît au milieu de la foule.)
Scène IX
THÉOPHILE – PRISCILLE – SALOMON – ARIEL – BAFANOV
BAFANOV
Quoi ? Je ne rêve point ? Tous ces juifs prosternés,
Séduits par les discours de cet illuminé !
Maudits fils de Jacob ! Traîtres Israélites !
N’est-elle exterminée, cette race maudite ?
N’a-t-on pas ordonné qu’ils fussent tous tués ?
Ne sont-ils flagellés, enchaînés et roués ?
Même persécutés ils nous narguent sans cesse !
Se rient de notre reine, Esther, cette tigresse.
À Sion, en secret, par elle missionné
Pour lui dresser constat qu’ils sont exterminés.
J’espérais confirmer une belle victoire,
Mais je suis tout confus, je refuse d’y croire :
Non seulement le peuple est fort et vigoureux
Mais les voilà chrétiens, exécrables Hébreux !
Sanction sans appel, la mort sera brutale.
Je les abattrai tous d’une seule rafale.
(Ariel disparaît. La scène est de nouveau plongée dans les ténèbres.)
Eh ! On ne voit plus rien ! Soldats, qu’attendez-vous ?
Frappez de vos poignards ces hommes à genoux.
Même aveugles, frappez ! Tuez-m’en des myriades.
Ce sont nos ennemis.
Voix d’un SOLDAT
Nous sommes tous malades.
(On entend rire Ariel.)
BAFANOV
Malades ? Comment donc ?
Voix d’un SOLDAT
Un ulcère cruel.
ARIEL
Sixième coupe, amis ! C’est un cadeau du ciel.
BAFANOV
Je ne me sens pas bien, moi non plus. C’est étrange.
Je suis tout nauséeux et la peau me démange.
Ah ! C’est insupportable ! Je souffre, c’est fatal !
Y a-t-il en ce bled au moins quelque hôpital ?
(Bafanov s’enfuit. Le jour revient.)
Scène X
THÉOPHILE – PRISCILLE – SALOMON – ARIEL
ARIEL
Ils sont tous envolés ces insectes nuisibles,
Chassés à tous les vents, ne sont-ils pas risibles ?
Observez maintenant les signes dans le ciel
Car le Messie descend, glorieux, solennel.
Les armées de démons face à lui se rassemblent.
Voici le Christ guerrier, déjà le dragon tremble.
Voyez-vous s’avancer les sombres légions
Piétinant cette ville et toute sa région.
Jésus les combattra dans la vallée fertile
Qu’on nomme Harmaguédon. Résistance inutile !
[1] Pour des raisons liées à son art, l’auteur n’énumère pas exactement les sept coupes dans l’ordre biblique.
[2] Ézéchiel 11.7. Dans le contexte biblique, la prophétie concerne Jérusalem.
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