Épilogue - vers Rome
La Crète
Actes 27.1/12
On confia l’apôtre aux soins d’un centenier
De l’Auguste cohorte avec les prisonniers.
Il quitta son pays sur un puissant navire
Qui devait les mener jusqu’au cœur de l’empire.
Julius lui permit d’accoster à Sidon,
Recevoir des amis quelques soins, quelques dons.
Puis on reprit la mer, longeant la Cilicie
Pour arriver enfin à Myra, en Lycie.
Et durant de longs jours, navigant lentement,
Il leur fallut subir l’avarice du vent.
Adieu Cnide ! Il nous fit échouer l’abordage,
Au large de Salmon nous trouver un passage.
Ils gagnèrent la Crête et, brisés par l’effort,
L’ancre de bronze enfin jetèrent à Beaux-Ports.
Le temps s’étire et meurt, le bateau reste à l’ancre,
S’accumulent au ciel de lourds nuages d’encre
Et s’allongent les heures, et s’écoulent les jours,
L’hiver est bientôt là, on a passé Kippour.
Le danger serait grand à déplier les voiles ;
Le plan caché divin au captif se dévoile :
« Si nous quittons le port, si nous laissons l’abri,
En voguant nous devrons affronter maints périls
Et pour ce beau bateau, et pour la marchandise,
Et surtout pour nos vies. – Parle donc à ta guise,
Répond le capitaine, je connais mon métier.
Mes marins ne voudront passer l’hiver entier
Sur ce triste rivage, car pour votre gouverne,
Dans ce sombre village, pas même une taverne,
Pas de vin, pas de filles, pas un lieu de plaisir
Pour tromper notre ennui et combler nos désirs.
Passer l’hiver ici ! Pour tout l’or de l’empire
La fureur de Neptune même ne serait pire.
Appareillons ! D’orient souffle déjà le vent
Il saura nous porter si nous partons à temps
Larguons donc les amarres, déployons la voilure.
Nous serons à Phénix en quelques encablures. »
Naufrage
Actes 27.13/44
C’était un si beau jour ! Avec un bruit léger
Un doux vent du midi commençait à souffler.
Au loin se profilait le rivage de Crète.
Marins et capitaine avaient le cœur en fête,
Car chacun se croyait maître de son destin,
On rêvait de délices, on rêvait de festins
Et l’on voyait de loin le soleil sur la ville
Lorsque l’Euraquilon se déchaîna sur l’île.
À quoi bon gouverner, à quoi sert de lutter,
À telle violence nul ne peut résister.
Homme, où est ton orgueil ? Où est ton arrogance ?
Qu’as-tu fait de ta force ? Où donc est ta puissance ?
Toi qui, la veille encore déclarais : « nous irons !
Sus aux flots en courroux ! nous les dominerons ! »
Et te voilà soumis ! et tu deviens esclave !
Le caprice éolien dirige ton étrave.
De l’île de Clauda tu as manqué le port,
Tu as beau répéter d’inutiles efforts,
Baisser toutes les voiles afin qu’il ne chavire,
De cordes et de chaînes ceinturer le navire,
Les vagues le soulèvent et le jettent à bas,
Hurle et siffle le vent. Ô terreur ! vain combat !
La foudre avait frappé le mât, brisé la hune
Les Juifs prient Élohim et les Romains Neptune
Mais la lourde birème volait tel un fétu
Percuté par la houle, par l’ouragan battu.
On entend flageller les haubans qui se brisent
Et commence à jeter toute la marchandise.
Qu’importent tous ces biens que nous aurions vendus ?
L’argent peut-il sauver alors qu’on est perdu ?
Inutile abandon, hélas ! vain sacrifice
De vases de parfum, de tapis et d’épices
Qui n’a su de la mer apaiser la fureur.
Après deux jours encor d’angoisse et de terreur
Il faut s’y résigner, par-dessus bord on lance
Rames et gouvernail, cruelle déchéance.
Tel un fantôme noir, navire abandonné,
Tel un cadavre gris, vaisseau désemparé,
Au désespoir livré le sinistre équipage
Attend la mort, attend l’abîme, le naufrage.
Parmi ces conquérants éperdus, terrassés,
L’apôtre, se levant, dit : « En voilà assez !
Marins et capitaine, où est votre courage,
Vous auriez évité ce péril, ce dommage
Vous auriez échappé à cet horrible sort
En écoutant ma voix et restant à Beaux-Ports.
À présent, saisissez la force et la vaillance,
Fortifiez vos cœurs et votre intelligence
Levez-vous officiers, matelots et captifs !
S’il est vrai que la mer détruira votre esquif
Dieu vous dit maintenant que sans voile et sans rames,
Il sauvera vos corps, veillera sur vos âmes.
Un ange cette nuit m’a dit : “Paul, ne crains plus
Car tu dois comparaître, et je l’ai résolu,
De par devant Néron, lui parler face à face,
Afin qu’aux yeux de tous il éprouve ma grâce.”
Aussi, ne tremblez point, en Dieu vous confiez :
Sur une île bientôt nous poserons le pied. »
Après quatorze nuits de crainte et de misère
L’équipage sentit le parfum de la terre
Et, craignant de briser le bois sur les récifs,
Ils jetèrent quatre ancres au bas de leur esquif.
Comme le jour pointait, dans leur impatience,
Pour échapper plut vite, méprisant la prudence
Larguent une chaloupe et s’y jettent d’un bond
Livrés comme une proie aux brisants furibonds.
Paul dit au centenier : « s’ils s’enfuient de la sorte,
Vous perdrez, c’est certain, votre entière cohorte.
Restez dans le navire et vous-y restaurez.
Sur une plage, enfin, vous vous reposerez. »
À la force des bras manœuvrant leur épave,
Ils trouvèrent un lieu pour échouer l’étrave.
La mer brisait la poupe sous ses coups de boutoir,
Et les hommes gagnaient le banc de sable noir.
Les premiers prenaient pied déjà sur le rivage,
Mais d’autres essayaient d’échapper à la nage.
Déjà les prisonniers tentèrent de s’enfuir
Et les archers romains ajustèrent leur tir.
Le centurion, craignant la mort du missionnaire
Fit déposer les armes à ses légionnaires.
La cargaison perdue et le bateau détruit,
L’équipage à dormir sur la roche réduit,
Meurtri, abandonné, de souffrance assouvie,
Mais chacun louant Dieu d’avoir gardé la vie.
Malte, Rome
Actes 28.1/15
Le capitaine avait retrouvé son sextant,
Les étoiles, ainsi qu’aux nuits calmes d’antan
Guidaient les naufragés de leur vive lumière,
Ils reconnaissaient donc cette étape dernière :
C’était Malte. Et déjà des hommes accouraient,
Voulaient porter secours autant qu’il se pourrait.
Méprisés de l’empire, déshérités de Rome,
Insulaires sans loi, barbares on les nomme.
Trouvant nos voyageurs engourdis par le froid
Ramassent aussitôt des herbes et du bois
Car, pour leur infortune, une glaciale bruine
Comblait dans leur malheur la peine et la ruine.
Auprès du feu chantaient ces hommes épuisés,
Dans la chaleur vantaient tous leurs dieux apaisés.
La flamme parée d’or danse et le bois grésille.
Paul, pour l’alimenter, saisit quelques brindilles.
Tiré de son sommeil il en sort un serpent.
Paul secoue l’animal qui s’enfuit en rampant.
Mais déjà dans sa main la vipère cruelle
A craché son venin, cette liqueur mortelle.
L’aspic dans le brasier se tordait de douleur
Et tous les compagnons s’écriaient : « Quel malheur !
Fallait-il que sa vie aujourd’hui soit sauvée
Pour que les dieux châtient son âme dépravée ?
Pour quel horrible crime est-il ainsi frappé ?
Bientôt ses mains raidies et ses membres crispés
Sècheront comme bois, durciront comme pierre. »
Mais comme ils l’observaient une journée entière,
Et que Paul n’était pas descendu aux enfers
Ils crurent à présent qu’il était Jupiter.
Dans un cossu palais, tout en haut, dans les terres
Habitait Publius, un puissant dignitaire.
Il prit les naufragés, les reçut sous son toit
Paul devint son ami, lui parla de sa foi.
Son père, justement, souffrait à l’agonie,
Abattu par la fièvre et la dysenterie
Médecins et sorciers l’avaient soigné en vain.
Paul vint à son chevet, posa sur lui les mains
Le vieil homme recouvre et vigueur et courage,
À tous les insulaires en donne témoignage.
Paul annonce du Christ l’amour et le pardon,
Il prêche le salut, porte la guérison.
Au bout de trois mois, Paul embarque pour la Sicile. Puis il navigue sans encombre jusqu’à Pouzzoles. Des frères y étant venus à sa rencontre, ils poursuivent leur voyage par voie terrestre jusqu’à Rome où il restera deux ans en « liberté surveillée ».
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