Chapitre VIII - Du côté de chez Éliséa

La forêt d’Engartot, la clairière au sanglier, le petit chemin dans les fourrés, la cabane délabrée. Axel entre comme chez lui. Personne. Alors, il s’égare dans les profondeurs forestières. Fatigué, il s’adosse contre un vieux hêtre. Une flèche perce l’air en sifflant et se fiche dans l’aubier avec un bruit sec. Il lève la tête et ne peut retenir un cri de stupeur. Avant de pénétrer dans le tronc, le projectile y a cloué la tête d’un énorme serpent constricteur qui s’apprêtait à tomber sur lui de tout son poids. Éliséa sort de sa cachette en riant et, dédaignant le prince blême et tremblant, récupère son trait maculé de sang et de débris de cervelle, et prends dans sa main la tête de l’ophidien terrassé.

« Toi, au moins, tu ne séduiras plus ni Ève ni Adam. »

Puis elle regarde Axel, moqueuse.

« Tout va bien, beau prince ? Vous n’avez pas eu trop peur ?

– Voilà déjà deux fois que tu me sauves la vie. On dit que tu es un démon, mais tu serais plutôt un ange protecteur, un ange aux ailes froissées.

– Qui vous a dit que j’étais un démon ?

– Les gens du village. »

Nouvel éclat de rire.

« Les villageois sont bêtes, ivrognes et superstitieux. Ils croient que les cheveux roux sont une malédiction et que les rouquines portent malheur. C’est pourquoi ils m’ont peint ce mot “sorcière” sur le front. Mais vous, mon prince, vous ne croyez pas de telles sottises, au moins ?

– Non, tu as raison, ce sont des bêtises.

– Alors, marchons jusqu’à mon château, si Votre Altesse accepte mon hospitalité. »

Le prince et la jeune fille marchent à présent côte à côte. Éliséa bande son arc et en menace son compagnon.

« Gardez vos distances, beau prince, et n’abusez pas de l’amitié que je vous accorde. S’il vous prend la mauvaise idée de me toucher, je vous plante cette flèche en plein milieu de la cuisse. »

« Il n’y a pas de danger que je la touche, pense le prince, elle sent trop mauvais. »

Tout en marchant, ils poursuivent leur discussion :

« Ils disent aussi que tu es une impie, et je veux bien les croire, car je n’ai rien vu dans ta maison qui évoque l’image que nous devons adorer. Tu ne crois donc pas en Dieu.

– Je n’adore pas ce veau coiffé d’une assiette, cela ne veut pas dire que je n’adore pas Dieu. L’univers est trop petit pour le contenir, et vous croyez qu’en se serrant un peu, il pourrait entrer dans une statue qui n’a même pas la taille d’un gros chien ?

– Mais il faut bien qu’il soit visible, sinon personne ne peut croire en lui.

– Il m’a dit un jour : “Heureux ceux qui ont cru sans avoir vu.”

– Il t’a dit ! Tu parles donc avec Dieu ? C’est ton petit copain ? Tu serais bien la seule !

– Nous, je ne suis pas la seule, nous sommes un grand nombre réparti dans le royaume. Nous n’avons pas besoin de veau ni de mouton, il vit en nous, il est présent dans nos cœurs, il dirige nos vies.

– Pardonne-moi, ma petite, mais là, je suis complètement noyé dans tes discours. Nous en reparlerons plus tard. »

Les voici justement parvenus à la cabane. En bonne hôtesse, Éliséa prépare au prince une tisane chaude. Axel la regarde faire. Les idées voyagent dans son esprit.

« Elle n’est pas si laide que cela, en fin de compte. Si seulement elle s’arrangeait un peu, et si elle se passait de temps en temps un peu de savon sur la figure et un coup de peigne dans les cheveux ! »

Un jeune homme entra dans la cabane, il s’approcha d’Éliséa le temps d’un baiser furtif sur la joue, puis se positionna à distance respectueuse.

« Et celui-là, s’indigne Axel, il a le droit de te toucher sans risquer de se prendre une flèche dans le quadriceps.

– Celui-là, c’est différent. Il est de la famille. C’est Maurice.

– Regarde, ce que je t’ai apporté de bon, dit celui-ci en ouvrant un grand sac, sans se soucier de la présence du prince. Des melons, du pain frais, des oignons, du fromage.

– Et des flèches ! poursuivit Éliséa, tu as pensé à mes flèches. Je commençais à en manquer. J’en ai encore égaré une dans l’épaule d’un bûcheron qui s’apprêtait à m’empoigner.

– Un bûcheron a donc osé pénétrer dans cette forêt que l’on croit maudite ?

– À peine à l’orée du bois : vaillant, mais pas courageux. Il s’est enfui en hurlant avec ma flèche sous la clavicule, et il me l’a échangée contre sa cognée. »

Et la jeune fille exhiba l’outil, trop grand et trop lourd pour qu’elle ait eu la force de le manier.

Le soir tombant, le prince prit congé de cette étrange compagnie et revint à son château.

On lui apprit le décès du roi Philémon.

 

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